Petrie, Flinders: Egypt Exploration Fund. Twenty-sixth memoir — Ehnasya. In-4°, 41 p. et XLIV pl.
(London, Quaritch 1905)
Compte rendu par Georges Foucart, Revue Archéologique t. 6 (4e série), 1905-2, p. 378-382
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Egypt Exploration Fund. Twenty-sixth memoirEhnasya, by Flinders Petrie, with chapter by G. T. Currelly. London, Quaritch, 1905, in-4°, 41 p. et XLIV pl.


        M. F. Pétrie se proposait de continuer ses recherches sur la vieille Egypte en fouillant à Saqqarah. La permission ne lui fut pas accordée. Il dut se rabattre sur Ehnasyèh, appelé aussi Ahnas, qui fut jadis Heracleopolis Magna. L’entreprise n’avait rien de bien engageant. La ruine des antiquités est aussi extrême, en ce coin de la Moyenne Egypte, qu’elle peut l’être pour les temples du Delta. Ce ne sont que débris, arasements, lignes confuses d’édifices superposés, le tout enfoui sous des masses de terre dont la hauteur décourage à première vue (cf. pl. II). Ceci n’eût rien été pour un archéologue comme M. P. Ce qui était plus grave était qu’Ehnasyèh, ou Ahnas, avait déjà été fouillé, il y a quelques années, par le savant professeur Naville, et qu’une campagne d’un hiver avait assez démontré le peu de chances de faire jamais à Heracléopolis des découvertes bien sensationnelles. M. F. s’y résigna courageusement. Sa longue expérience fait qu’avec lui il n’y a jamais de fouilles improductives. Le terrain le plus ingrat en apparence finit toujours, grâce à sa patience, par donner sa moisson de faits nouveaux, de monuments curieux, et c’est ce que prouve une fois de plus la campagne de 1904 à Ehnasyèh.

          La série des édifices successifs qui furent le temple d’Harshafitou coïncide avec la séquence ordinaire, commune à toute l’Egypte, des grandes périodes de reconstructions. Si l’on n’arrive pas cette fois-ci jusqu’à la période thinite, on retrouve les traces des Memphites (VIe dynastie), des premiers Thébains (XIIe), des seconds (XVIIIe et Ramessides), des Saïtes et enfin des Romains, le tout parsemé de fondations secondaires, dues à tel ou tel Pharaon des périodes intermédiaires. L’Empire memphite a laissé à peine quelques traces, un bloc, un bas-relief (pl. XI) ; mais l’important, ici comme ailleurs, à Coptos par exemple, était la démonstration scientifique de l’existence d’un édifice datant de cette période, et le moindre fragment authentique était suffisant. La XIIe dynastie a fourni des restes beaucoup plus nombreux, grâce à ce fait qu’à Ehnasyèh, comme en tant d’autres localités, les Ramessides ont trouvé son œuvre trop parfaite pour la débiter en moellons et ont préféré la démarquer en se l’appropriant. A côté des débris proprement dits, tels que morceaux de bas-reliefs, de l’excellente facture propre à cette époque (pl. XI), linteaux, montants de portes, fragments divers (pl. XIII, XIV, XV), on trouve donc des monuments intacts transportés par Ramsès II dans le temple qu’il réédifia, des statues qui appartinrent au second ou au troisième des Ousirtasen, et surtout de magnifiques colonnes à chapiteaux à palmes (pl. X), dont les fouilles de Naville avaient déjà exhumé une partie et permis de constater la date réelle (1). Des scarabées d’Antouf V et un roi dit « des Aamou », (pl. IX a), un plan d’un pan de l’édifice du premier empire thébain achèvent de donner à tout ce premier groupe de découvertes un très réel intérêt.

          L’édifice de Thotmès III a presque entièrement disparu de la surface du sol, sauf le dallage (p. 8) mais il a laissé de nombreux et irrécusables témoignages de son existence sous forme de menus objets (p. 23-24). La découverte la plus curieuse pour cette seconde période a été celle d’un bloc de Khouniatonou (pl. XVI), à rapprocher de débris de colonnes à huit lobes, en granit ou en grès, que M. P. déclare exactement semblables à celles qu’il retrouva jadis à Amarna dans les ruines du palais d’Amenhotep IV (p. 23). Le plan du temple de Ramsès II a été dégagé très nettement. Outre de nombreux morceaux d’architraves ou de bas-reliefs d’une belle et large technique, on a pu retrouver sur le sol le dispositif essentiel de l’édifice, les salles principales, la cour, ses deux triades symétriques, sa double rangée de colosses debout, semblable à celle de Luxor, et surtout le grand portique à colonnes dactyliformes, dont on admirera la perspective grandiose dans la restauration qui en est présentée pl. VI.

          On a plus de peine à démêler la part exacte qui revient à chacun des constructeurs qui suivirent. Le fait certain est qu’il y en eut au moins deux, et que le second est Antonin, comme le prouvent des fragments à son nom. Pour le premier, M. P. hésite à le placer à la XXIIIe ou à la XXXe. Est-ce Pafdoubastit, le contemporain de Piankhi l’Ethiopien ? ou Nakhiti-hor-hebou ? Sans entrer ici dans une discussion impossible à résumer en quelques lignes, je pencherais pour une solution un peu différente. L’édifice ramesside aurait subi quelques remaniments [sic] de détails sous les Pharaons des dynasties XXII et XXIII, comme c’est le cas en mainte localité, et la XXVIe aurait exécuté une réédification totale du temple, attestée par Hor, fils du gouverneur de Mendès, Psamtik, et gouverneur lui-même d’Heracléopolis, dans la grande inscription gravée sur sa statue au Louvre (statue A 88). Les monarques qui vinrent ensuite se contentèrent d’élever çà et là, comme ils le firent à Thèbes, par exemple, qui une chambre secondaire, qui une chapelle monolithe ; tel, par exemple, l’Hakoris, de la XXIXe dynastie, qui nous a laissé un fragment de naos en basalte, dans le style excellent et bien connu d’ailleurs de cette période artistique (pl. XI et p. 28). Le tout subsista jusque vers le second siècle de notre ère, jusqu’au jour où Antonin exécuta, ou tout au moins commença, un nouvel et dernier édifice (pl. XXVIII). Pour cette période, la fortune a voulu récompenser M. P. de sa courageuse opiniâtreté, et elle lui a donné de retrouver sous les décombres un des objets précieux échappé au pillage millénaire du trésor d’Harshafitou. C’est une magnifique statuette d’or massif, peut-être la plus grande des images divines en métal précieux que l’on ait encore (un peu plus de six centimètres ; voir pl. I de belles reproductions de cette statuette sous ses différents aspects). La découverte est singulièrement intéressante, en dehors des mérites plastiques de l’œuvre en elle-même. Elle nous montre comment les particuliers consacraient des réductions en or ou en argent des images votives données au dieu par le Roi. C’est en effet la copie, à petites dimensions, d’une grande statue dédiée à Harshafitou, par Pafi dou Bastit de la XXIIIe dynastie, semblable à celles dont les inventaires illustrés de Medinet Habou, de Saft el Hennèh, de Bubastis, de Dendérah nous donnent les longues listes. Le fonctionnaire, Nofrioubastit, qui fit exécuter cette réduction, a copié, sans trop de soin, la dédicace royale de l’original et y a ajouté, pour son propre compte, une ligne de consécration personnelle. Tout cela vient fort utilement confirmer ce que nous savions déjà sur les consécrations d’images divines par les particuliers et sur l’usage de donner en statuettes des répliques des grandes statues du temple.

          Voilà, à grands traits, ce qui regarde le sanctuaire du dieu et son histoire. Il restait, pour compléter ce qu’on pouvait arriver à reconstituer de la vieille Heracléopolis, à rechercher les vestiges de sa ville des vivants et de sa ville des morts. Les maisons d’époque égyptienne sont de bien rares exceptions. Comme à Saïs, à Bubastis, comme un peu partout, il n’y a rien à Ehnasyèh qui remonte au delà de l’occupation romaine. Les résultats des recherches ne sont que résumés ici même (p. 26 sq.) ; l’étude des maisons et des antiquités romaines devant faire l’objet d’un mémoire spécial. A partir de là se déroule paisiblement et obscurément, mais toujours matériellement visible par ses ruines, l’histoire de ce qui fut jadis la très grande, la très célèbre Heracléopolis. On la voit décroître lentement avec l’Empire qui finit, puis, tous les trois ou quatre siècles, comme le fait est si fréquent en Egypte, les quartiers habités se déplacent de quelques centaines de mètres ; ils laissent derrière eux de longues buttes de décombres qui furent la série des Heracléopolis des générations d’avant, les omm el kimâm des fellahs d’aujourd’hui.

          La vieille cité d’Harshafitou change une troisième fois de nom ; après avoir été Hakhninsou, puis Heracléopolis, là voici ville copte et évêché d’ et c’est la Keniseh du monticule de Melaha. Elle décroît sans heurt comme, sans arrêt, devient simple petite ville arabe, prend le nom d’Ahnas  Sans gloires comme sans horreurs, elle glisse paisiblement jusqu’au village d’aujourd’hui, à cet Ahnasièh-el-Medineh, à cet humble chef-lieu de district de la moudirièh de Beni-souef que l’on aperçoit là-bas (pl. II), au delà des blocs de pierre, des débris anciens. Et Ehnasièh dort aujourd’hui dans la poésie coutumière des villages d’Egypte, au milieu des palmiers qui s’élancent au-dessus des masures en pisé, qui font comme un îlot au milieu de la vaste plaine dénudée dont les moissons ondulent au vent du Nord.

          Les efforts ont été infructueux pour reconstituer la cité des morts. Elle aussi semble s’être composée de plusieurs villes successives. M. P. n’a pas mieux réussi que M. Naville à retrouver les plus anciennes nécropoles et les cimetières de basse époque, pauvres en matériel, profondément ravagés, ont seuls été découverts. Ce qui est déconcertant, à première vue, est que l’on ait exhumé, sur l’emplacement même du temple, les restes de tombes antérieures à la XIIe dynastie, et de beaux fragments de bas-reliefs venant indubitablement d’un mastaba (ou de plusieurs mastaba) d’époque memphite. Est-ce à dire que la plus ancienne nécropole avoisinait le temple ? M. P. semble le croire. J’ai peine à partager son opinion. Théoriquement, rien ne s’y oppose. C’est plutôt la topographie qui constitue la grave objection. J’ai cherché jadis pour ma part, il y a douze ans, à retrouver la nécropole memphite ou protothébaine d’Heracléopolis, mais sans arriver à un résultat plus heureux. Si mes souvenirs sont exacts, le site où s’élevait le temple d’Harshafitou n’est pas de ceux que les Egyptiens auraient pris pour leurs tombes. Il y en avait, à portée, de beaucoup plus naturellement désignés pour recevoir les sépultures, et il faudrait plutôt choisir entre ces deux hypothèses ; ou bien les nécropoles les plus anciennes ont été complètement bouleversées à l’époque romaine, comme cela s’est vu en tant de localités, ou bien elles se cachent encore sur la lisière du désert, en tirant sur la route de Deshashèh. La présence de squelettes sous les fondations d’un temple s’est déjà vue assez souvent ailleurs. Celle de fragments de mastaba ne prouve rien de plus, en fin de compte, que le dépècement de monuments privés servant de matériaux pour l’édification d’un sanctuaire divin ; le fait n’a rien de nouveau non plus en Egypte, et ces fragments peuvent fort bien avoir été amenés là d’une nécropole assez lointaine.

          Tel est, en résumé rapide, le bilan de la campagne de fouilles de M. Pétrie. Ce sont là, pour la plupart, petits monuments et petits faits à première vue. Soudés à ce que nous savions déjà et présentés en suite historique, ils ont cependant une importance que sauront apprécier tous les archéologues. L’Egypte nous a gâtés et fausse trop souvent nos appréciations sur les résultats d’une fouille. Nous sommes trop accoutumés à y découvrir d’emblée des trésors compacts, pour peu que l’on se donne la peine de creuser une tranchée à Karnak, d’ouvrir une tombe au Biban el Molouk ou de déblayer les abords d’une Pyramide. Si cependant, dans le reste du monde classique, en Anatolie, en Grèce, en Italie, on retrouvait, en trois mois de fouilles et sur un même point d’une localité secondaire, une série archéologique dont les débris donneraient successivement les noms de toutes les périodes importantes, une série qui ajouterait aux faits généraux, déjà connus par ailleurs, une bonne vingtaine d’arguments probants, on estimerait partout, dans le monde savant, et à bon droit, que ces résultats sont été extrêmement fructueux. Ils feraient autorité et seraient désormais de ceux qu’il faut citer nécessairement. C’est bien le cas des fouilles d’Ehnasièh.

          Un petit chapitre additionnel nous transporte loin d’Heracléopolis, à Ibtou, sur les confins du Delta septentrional. M. P. croit depuis longtemps pouvoir identifier avec la fameuse Bouto de l’antiquité. On sait le nombre de recherches et de discussions dont l’emplacement de cette ville célèbre a été l’objet depuis les premiers travaux de l’égyptologie jusqu’à nos jours. M. P. est retourné à Ibtou l’an dernier, et en revient plus convaincu que jamais de l’exactitude de l’identification, qu’il a proposée l’un des premiers (2) ; il en décrit les ruines, d’assez basse époque, croit avoir retrouvé des vases de la première dynastie au milieu des matériaux réemployés par les Romains, et va jusqu’à trouver, dans les deux buttes actuelles de décombres, une trace des deux cités préhistoriques de Pou et Dapou, si souvent mentionnées dans les textes les plus anciens. Il me permettra de n’être pas convaincu. La célébrité religieuse, littéraire, héraldique de Bouto lui vient des mêmes causes que celle qui s’est attachée à El Kab et date de la même époque. Je veux dire par là qu’elle est née du fait que, dans la préhistoire de l’Egypte, Bouto et El Kab marquaient les deux points stratégiques de l’extrême frontière de la monarchie égyptienne, les deux forteresses qui étaient ses boulevards. Une ville de Bouto placée sur les confins nord, et par conséquent à égale distance des deux déserts arabique et libyque, ne correspondrait en rien à cette donnée. La mention d’une double ville, faisant avec Nakhen et Nkhafit de l’extrême sud une symétrie significative, est un indice à ne pas négliger non plus et qui doit, ce semble, orienter les recherches vers une place forte double, tenant les deux côtés d’un défilé ou les deux berges d’un bras du Nil. Suivant toute apparence, c’est sur les confins du Delta nord-est et vers la branche pélusiaque qu’il faut chercher l’introuvable Bouto.

                                                             G[eorges] F[oucart]

(1) Cf. Naville, Ahnas el Medineh, p. 10 et G. Foucart, Histoire de l’ordre lotiforme, p. 156. 

(2) Une légère erreur de bibliographie à signaler sur ce point. M. P. sait que Rochemonteix aussi a assimilé Ibtou à Bouto, mais n’en retrouve pas trace dans ses ouvrages. Il pourra voir cette assertion énoncée, au moins une fois à ma connaissance, très brièvement au reste, dans Rochemonteix, Buscir et Phanizait, in Journal Asiatique, t. X, p. 150. La même identification a été proposée à nouveau en 1893, sans citation d’origine, par Amélineau, Géographie de l’Égypte copte, p. 110 (Cf. ibid., p. 420 sur Shabâs de Garbièh).