Pigorini: Pani di rame provenienti dall’Egeo scoperti a Serra Ilixi in provincia di Cagliari, dans le Bull. di Paletnologia italiana, p. 91-107.
( 1904)
Compte rendu par Joseph Déchelette, Revue Archéologique t. 5 (4e série), 1905-1, p. 314-316
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Pigorini. Pani di rame provenienti dall’Egeo scoperti a Serra Ilixi in provincia di Cagliari, dans le Bull. di Paletnologia italiana, 1904, p. 91-107.


          Les découvertes mycéniennes continuent à projeter une lumière inattendue sur les antiquités préhistoriques de l’Europe méditerranéenne. Un récent article de M. Pigorini mérite à ce propos de retenir l’attention. Il est relatif à un fait nouveau, propre à élucider le difficile problème des origines de la civilisation de l’âge du bronze dans l’île de Sardaigne.

          On avait depuis longtemps signalé une série de saumons en cuivre rouge,

 

déposés au musée de Cagliari. Ces pains de métal, au nombre de trois, proviennent de Serra Ilixi, province de Gagliari, ainsi que deux autres de même espèce, aujourd’hui perdus. Ils affectent la forme de quadrilatères, aux côtés concaves, dont les angles portent des appendices destinés à en faciliter la préhension. Deux de ces saumons pèsent chacun 33 kil. 300 ; le troisième, 

27 kil. 100. Ils portent une marque simple ou double (fig. 1, a, b, c). Les marques a et b ont été gravées au ciseau, tandis que la troisième (c) a été estampée dans le métal chaud après la coulée. 

        MM. Perrot et Chipiez avaient décrit ces objets en 1887 (1). Contrairement à l’opinion d’autres archéologues, ils reconnaissaient avec raison de véritables marques de fabrique dans les signes que portent ces saumons ; mais on ne pouvait alors espérer que ces marques nous renseigneraient quelque jour sur l’origine des lingots. En 1896, un saumon semblable fut découvert par Murray à Enkomi, dans l’île de Chypre. Il provenait d’un atelier de fondeur. Son poids est de 37 kil. 094. Il porte sur une de ses faces la lettre si de l’alphabet cypriote, estampée dans le métal. A cette trouvaille, dit M. Pigorini, s’en ajoute une autre, survenue l’an dernier et beaucoup plus importante. La mission italienne qui a exploré la Crète, sous la direction de M. Halbherr, a recueilli dans quatre chambres du grand palais d’Haghia Triada dix-neuf de ces saumons de

 

 

 

 

cuivre. Cinq sont également marqués d’un signe incisé. Les poids varient de 27 kilos à 30 kil. 700. Voici (fig. 2 et 3) les dessins de deux des exemplaires contremarqués.

          En outre, le musée d’Athènes possède une série de dix-sept lingots de même métal (plus deux fragments), semblables aux précédents. Trouvés dans la mer, à Chalcis d’Eubée, ils avaient sans doute fait partie du fret de quelque navire détruit par un naufrage. Un autre, provenant de Mycènes, est conservé également au musée d’Athènes. Les saumons de Chalcis sont altérés par l’oxydation ; leur poids varie entre 5 et 17 kilos.

          Les observations et les comparaisons qui précèdent, ajoute M. Pigorini, suffisent à établir nettement la destination et la provenance jusque-là incertaines des pains de métal de Serra Ilixi. Ils ont été évidemment importés en Sardaigne par des navigateurs venant de l’une des îles de la mer Egée. Destinés à la fonte, ils représentaient en outre une valeur monétaire et peuvent être considérés comme des talents. Leur origine égéenne est confirmée par les signes qu’ils portent. Nous avons vu que ces signes se classent, sous le rapport technique, en deux séries. M. Pigorini suppose que les estampages sont des marques de fabrique et les gravures des signes de séries. Les deux figures considérées comme des marques de fabricants ne se sont pas encore rencontrées sur les tablettes d’argile ni sur les blocs inscrits de l’époque mycénienne. Mais il n’en est pas de même pour les signes gravés. Deux d’entre eux (fig. 1, h) ont été relevés sur des blocs de pierre du palais de Phaestos, le troisième (fig. 1, a) sur une tablette d’argile d’Haghia Triada. Toutefois, sur la tablette, la ligne oblique inférieure fait défaut. De même, les signes des deux pains d’Haghia Triada reproduits ci-dessus correspondent à des glyphes lapidaires de Phaestos et à des inscriptions sur tablettes d’Haghia Triada.

          L’âge et la provenance des lingots sardes se trouvent donc déterminés avec certitude. M. Pigorini rappelle encore que sur les peintures de la célèbre sépulture de Rekhamara, à Thèbes, parmi les objets que les Kefti tributaires apportent à Toutmès III, figurent, avec des vases mycéniens, d’énormes pains de métal du même type que ceux d’Haghia Triada, de Chalcis, de Mycènes et de Serra Ilixi.

          Il est inutile d’insister sur l’intérêt de ces rapprochements. Les lingots de cuivre du musée de Cagliari doivent donc être datés du milieu du second millénaire. En serait-il de même pour une partie tout au moins des énigmatiques figurines de bronze des collections sardes ? On serait tenté de le croire, si les faits rapportés par MM. Perrot et Chipiez sont reconnus exacts ; « C’est en général dans le voisinage des nouraghes que l’on a trouvé les pains de plomb et de cuivre, ainsi que les scories, les matières qui étaient mises en œuvre par cette industrie et les déchets qu’elle laissait là où elle s’était longtemps exercée. Les statuettes, les instruments de métal ont été le plus souvent recueillis à proximité de ces mêmes édifices ou sous leurs décombres (2) ».

                                                             J[oseph] D[échelette]

(1) Histoire de l’Art dans l’antiquité t. IV, p. 700.

(2) Perrot et Chipiez, ibid., p. 101.