Isac, Adriana - Roman, Cristian-Aurel (eds.): Lychnus et Lampas, Exhibition Catalogue
(Editura Mega, Cluj-Napoca (RO) 2006)
Compte rendu par Jean Bussière, Instrumentum, 2006-24, p. 47-48
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Adriana Isac and Cristian-Aurel Roman (eds.) : Lychnus et Lampas, Exhibition Catalogue, Editura Mega Cluj-Napoca 2006.


Le IIe Congrès international organisé par l’ILA, (International Lychnological Association) dont les assises ont été tenues à Cluj-Zalău en Roumanie du 13 au 18 mai 2006, a suscité la publication de trois catalogues consacrés aux divers moyens d’éclairage (principalement des lampes) trouvés en Dacie ; Roman Lamps from Dacia par Cristian-Aurel Roman, Die Römanischen Lampen von Sarmizegetusa par Dorin Alicu et Lychnus et Lampas par Adriana Isac et Cristian-Aurel Roman (1). L’objet de cette note est de présenter le troisième de ces ouvrages.

Lychnus et Lampas est en fait le catalogue de l’exposition réalisée au Musée National d’Histoire de Cluj-Napoca à l’occasion du Congrès. Celle-ci a rassemblé trois cent cinquante luminaires conservés dans différents musées roumains et qui appartiennent pour la plupart à l’époque romaine mais aussi préhistorique, dace, médiévale et moderne. La présentation de l’ouvrage, imprimé sur papier glacé, abondamment illustré en noir et blanc et en couleur, contraste agréablement avec les publications frustes de l’ère communiste. Rédigé en anglais, il comporte une préface du Professeur N. Gudea et cinq chapitres d’introduction à différents moyens d’éclairage attestés dans l’aire géographique que recoupe la Roumanie actuelle, chacun correspondant à une période déterminée ;

1) Éclairage et “Rush Lights” à la Préhistoire, par Z. Maxim (p. 8-10) ;

2) L’éclairage à l’époque dace, par E. Iaroslavschi (p. 11- 19) ;

3) L’éclairage pendant l’Antiquité et à l’époque romaine, par C.-A. Roman (p. 20-28) ;

4) L’éclairage artificiel au Moyen Âge. Transylvanie, Moldavie et Valachie, par C. Catalin Rusu (p. 29-36) ;

5) L’éclairage minier en Transylvanie au XIXe siècle, par O. Muntean (p. 37-39).

 

En dehors de généralités déjà exprimées dans la littérature lychnologique, le spécialiste glanera dans ces développements d’utiles informations spécifiques à la réalité roumaine, la plus intéressante étant sans doute celle qui concerne ces sortes de bols de formes variées appelés par les auteurs “Rush lights” ou “rush light cups” attestés dans les habitats néolithiques (Z. Maxim, p. 8) et que les archéologues roumains retrouvent dans des contextes datés au Ier s. av. et Ier-IIe s. ap. J.-C. Ces poteries, aussi nommées “Dacian cups” (cat. n° 23-34), sont supposées être des luminaires, comme paraissent l’attester des traces noires de combustion dont plusieurs portent encore la marque. Cette forme céramique originale qui semble avoir été le moyen d’éclairage favori des Daces, contribue à identifier le contexte ethnique dans lequel on la trouve. Son aire de diffusion dépasse le territoire roumain actuel (E. Iaroslavschi, p. 12).

 À ces chapitres introductifs, font suite respectivement le catalogue (p. 41-94), une bibliographie (p. 95-97) et cinquante et une planches d’illustration (p. 98-148). Sept de ces dernières, ainsi que la couverture du livre qui montre un montage photographique d’une soixantaine de lampes, sont en couleur ce qui fournit un complément d’information non négligeable. Le catalogue référencie trois cent quarante-deux objets (2), soixante en métal, deux cent quatre-vingt-deux en céramique. Ces derniers, tous de types connus ailleurs dans le bassin méditerranéen à l’exception des “Dacian cups” dont nous avons déjà parlé, sont assignés à un arc de temps allant du Néolithique au VIIe s. ap. J.- C. à l’exception de trois lampes (317-319) qui appartiennent au Moyen Âge. Parmi les lampes en métal, on recense ; trois exemplaires en forme de coupelle en fer à fond plat et bec pincé, munie d’une tige de suspension (209-211, voire 213), datées au IIe et IIIe siècle ; vingttrois lampes antiques en bronze à un, deux ou trois becs, dont certaines à suspension, souvent à anse réflecteur. Ces lampes lisses ou plastiques, en forme de tête humaine, de pied ou de pomme de pin, sont attribuées aux Ier, IIe et IIIe s. ; trois chandeliers en bronze (280, 290, 299) sont assignés à la même période ; une sorte de brasero tripode en bronze (301) daté au IIe-IIIe s. ; une chaîne à deux crochets de suspension et un disque en forme de fleur, tous deux en bronze, appartenaient certainement à deux luminaires datés au Ier s. (311, 312) ; une lanterne en bronze, restaurée d’après un modèle trouvé à Herculanum, est datée au dernier quart du IIIe s. ; deux candélabres en bronze très ouvragés sont datés l’un aux XIIe-XIVe s. (316), l’autre au XVIe s. (315) ; deux curieuses pièces en fer éllipsoïdales présentant des stries ou des denticules (320, 321) sont supposées par les auteurs être des sortes de briquets servant à produire par la friction d’un silex des étincelles afin d’enflammer de l’amadou. Ces pièces sont assignées aux Xe-XIIIe s. ; deux objets en bronze servant à moucher les mèches, datés aux XVIe et XVIIe s. (323 et 322) et appelés “scissors” par les auteurs et qu’il serait plus approprié en anglais de qualifier de “snuffers”. Le luminaire 324 est une belle lampe à huile en étain montée sur un pied et dont la mèche était protégée dans un corps cylindrique en verre. Il est daté au XVIIIe s. comme les six lampes en fer à suspension (325- 326 et 340-342) ; dix autres lampes à suspension (328- 332, 334-335, 337-339) en fer cuivre et aluminium (334) sont des lampes transportables utilisées aux XIXe et XXe s. dans les mines de Transylvanie, tout comme la lampe n° 333 du type Friemann-Wolf en fer et cuivre et la n° 336 qui est une lampe à acétylène.

 

Chaque pièce fait l’objet d’une entrée au catalogue indiquant sa provenance, son matériau, sa teinte et ses dimensions. Une description succincte de l’objet est donnée ainsi que, chaque fois que cela est possible, la référence de son type aux classements de Loeschcke, Ivanyi, Alicu 1994 et Roman 2000. Suit une datation de l’objet dont les auteurs ne précisent pas si elle est faite par référence à un contexte archéologique connu ou par simple analogie avec des luminaires semblables datés figurant dans des publications existantes. Quand l’objet a été publié, la référence bibliographique est indiquée. Enfin, pour chaque objet, est donné le numéro d’inventaire du musée où il est conservé. L’entrée des objets au catalogue donne l’impression de suivre grosso modo un ordre chronologique allant de l’Âge du Bronze au XXe siècle. Mais cet ordre est loin d’être respecté, ainsi pour ne retenir que deux exemples ; - trois lampes grecques datées aux VIe et IVe s. av. J.-C. (cat. n° 271-273) côtoient des Firmalampen du IIe s. ap. J.-C. (cat. n° 267-270) et des lampes chrétiennes et syro-palestiniennes du Ve s. ap. J.-C. (cat. n° 275, 278). - Les lampes à glaçure illustrées (p. 131-132) datées au IVe s. s’intercalent entre des lampes à bassin rectangulaire (p. 130-131, cat. n° 227-232) et des Firmalampen (p. 133, cat. n° 252-255) datées du IIe s.

 

L’absence d’une présentation organisée par type ne facilite pas non plus l’utilisation pratique de l’ouvrage. Des séries cohérentes d’objets de même type sont interrompues pour être reprises plus loin dans le catalogue sans raison apparente. Pour ne prendre que les exemples les plus frappants ;

- les Firmalampen apparaissent p. 101-102, 106, 108, 110-111, 117-118, 124-126, 128-129, 133-136 chaque série étant interrompue par des séries de lampes de types différents.

- la série des lampes à bec triangulaire et volutes de type Loeschcke I (p. 119, n° 155-158), qui d’ailleurs vient après la lampe cat. n° 154 produite ultérieurement, s’interrompt pour présenter les lampes 159-162 de formes différentes et chronologiquement postérieures, avant de se poursuivre avec les exemplaires 165-169. On peut se demander d’ailleurs pourquoi les auteurs n’ont pas relié cette série à la série de même type chronologiquement postérieure mais pourtant présentée avant (p. 116-117, cat n° 133-139) et qui est une imitation locale du type italique importé.

- les lampes à réservoir rectangulaire sont présentées p. 112-113 (n° 113-118), puis p. 128 (n° 214), p. 129 (n° 221-222), p. 130-131 (n° 227-232), enfin p. 135 (n° 263 pourtant très proche de 230).

 

En dépit de ces réserves concernant sa présentation, le mobilier étudié offre un intérêt certain. L’échantillonnage retenu pour l’exposition met en relief l’existence de cette forme originale déjà mentionnée, celle des “rush light cups” propre à la Dacie et attestée dès l’époque du bronze. Sans perdre de vue que la sélection faite pour l’exposition ne reflète pas forcément les proportions effectivement constatées dans l’ensemble des collections de lampes recueillies en Roumanie, ce choix souligne le nombre relativement faible des importations de produits italiques après la conquête de la Dacie par Trajan (101-106). Ces importations seront rapidement concurrencées par des productions locales ; imitations de lampes italiques de type Loeschcke I (exemples p. 116-117, n° 133-138 attestées par le moule n° 132, p. 115) ; imitations de Firmalampen (exemples p. 106, n° 85- 86, p. 108, n° 87-89) ; lampes multibecs au réservoir rectangulaire (exemples p. 112, n° 113-117) ou en demi-cercle (exemples p. 128-129, n° 219 et 220) ; lampes rondes tournées sans décor (exemples p. 102, n° 43-48) ; lampes à anse réflecteur et un, deux ou trois becs (exemples p. 110, n° 101, p. 124, n° 192-193, p. 113, n° 120-121). Dix-huit moules en argile trouvés dans différents sites de Roumanie confirment amplement une production locale.

 

Cependant la Roumanie antique, en partie grâce à la voie de pénétration qu’est le Danube, n’a jamais cessé de participer aux brassages commerciaux, comme l’attestent dans la collection étudiée ; trois lampes grecques (n° 271-273) ; une lampe dite chrétienne (n° 275) qui n’est pas une lampe importée d’Afrique mais à notre avis une imitation du type africain produite en Grèce ou au Proche-Orient (3) ; une lampe byzantine (n° 281) ; trois lampes syro-palestiniennes (n° 278-279, peut-être 276) ; une lampe grenouille possiblement importée d’Égypte (n° 283).

 

Avant de conclure cette rapide présentation, je voudrais corriger deux erreurs de détails ;

- Les deux valves de moule publiées p. 114 ne sauraient appartenir au même moule comme l’affirment les auteurs (cf. n° 129 du catalogue). La valve supérieure, ainsi que le précise justement leur commentaire (p. 61), montre treize proéminences correspondant à treize becs. Or la valve inférieure illustrée (p. 114) indique sans aucun doute possible la forme d’une lampe à trois becs. Pour une représentation de la lampe qui serait produite par un moule (n° 278-279, peut-être 276) ; une lampe grenouille possiblement importée d’Égypte (n° 283). Avant de conclure cette rapide présentation, je voudrais corriger deux erreurs de détails ;

- Les deux valves de moule publiées p. 114 ne sauraient appartenir au même moule comme l’affirment les auteurs (cf. n° 129 du catalogue). La valve supérieure, ainsi que le précise justement leur commentaire (p. 61), montre treize proéminences correspondant à treize becs. Or la valve inférieure illustrée (p. 114) indique sans aucun doute possible la forme d’une lampe à trois becs. Pour une représentation de la lampe qui serait produite par un moule ayant la même valve supérieure voir les objets n° 219, p. 128 et n° 220, p. 129.

- L’objet illustré (p. 114, n° 128) est décrit (p. 61) comme étant un archétype pour produire des moules de lampe, ce qui constituerait un document d’une exceptionnelle rareté. En fait, il s’agit d’une lampe, ce que confirme d’ailleurs la remarque faite par les auteurs dans la description de l’objet au catalogue ; “moulage par double valves” (p. 61) (4).

 

Malgré les restrictions exprimées concernant l’absence d’une présentation articulée sur un classement typologique et chronologique plus élaboré à partir de publications plus récentes que celles de Loeschcke et Ivanyi (5), Lychnus et Lampas a le mérite de faire connaître un échantillonnage significatif du luminaire roumain. Cet ouvrage sera une contribution utile en attendant un travail de plus grande envergure sur le corpus de l’ensemble du luminaire recueilli en Roumanie. Des catalogues recouvrant des entités géographiques comme une région, une province ou un pays, doivent être un des objectifs à atteindre en recherche lychnologique si l’on veut à partir de milliers et non plus de centaines d’objets seulement disposer de données statistiques signifiantes permettant de localiser les centres de production, d’élaborer les circuits commerciaux, de saisir à partir de l’iconographie les préférences d’ordre culturel ou religieux, bref d’exploiter au mieux ce merveilleux témoin qu’est la lampe antique. 

 

Notes : (1) Pour des références bibliographiques plus détaillées de ces parutions, le chercheur pourra consulter The ILA lychnological bibliography online. Genève 2006, par L. Chrzanovski et al.

(2) Dans sa préface, le Prof. Gudea donne le chiffre de 350 objets présentés lors de l’exposition de Cluj. Le catalogue répertorie 342 objets, mais l’entrée 82 concernant un dépôt rituel compte en fait une vingtaine de lampes. Le chiffre total de 362 semble plus proche de la réalité.

(3) La lampe n° 280 est une autre imitation du type africain Hayes II probablement fabriquée localement.

(4) Un archétype est sculpté dans un matériau massif, bloc d’argile, bois, os, ivoire et n’a aucune raison d’être creux. Très peu d’archétypes servant à produire des moules de lampes ont été conservés. Ce qui a fait dire à certains qu’ils avaient pu être sculptés dans des matériaux périssables, du bois par exemple. Or l’objet n° 128 est percé de trois orifices, le trou de remplissage et un trou de mèche à chaque bec, laissant présumer que l’objet est creux. Une particularité toutefois ; les trous de mèche sont exceptionnellement petits et ne sauraient laisser le passage à une mèche conventionnelle. De plus, un examen attentif montre qu’à une période récente (quelques années ou décades à en juger par la fraîcheur des incisions éliminant l’engobe), on a essayé d’agrandir sans y parvenir les trois orifices. Lors de la visite de l’exposition de Cluj, j’ai eu l’objet en main et me suis rendu compte qu’il n’avait jamais été vidé de la terre sablonneuse qui s’était infiltrée à l’intérieur. Il s’agit donc d’une lampe qui, à cause de l’exiguïté de ses trous de mèche, n’a jamais servi. Ce raté (mauvais perçage des orifices au moment où l’argile était encore molle ?) a-t-il servi à produire des moules par la technique du surmoulage ? Ce n’est pas exclu, mais dans ce cas le potier aurait probablement bouché les trous inutiles comme il m’est arrivé de le constater sur un ou deux exemplaires africains.

(5) Comme par exemple ; Leibundgut (A.), Die römischen Lampen in der Schweiz, 1977 ; Bailey (D.N.), A Catalogue of the Lamps in the British Museum II. 1980 ; Goethert- PolaschekRömische (K.), Lampen ; Katalog der römischen Lampen des Rheinischen Landesmuseums Trier ; Bildlampen und Sonderformen. 1985 ; Bailey (D.N.), A Catalogue of the Lamps in the British Museum III. 1988 ; Chrzanovski- Zhuravlev, Lamps from Chersonesos in the State Historical Museum-Moscow. 1998 ; Bussière (J.), Lampes antiques antiques d’Algérie. Montagnac 2000.