Lyell, Charles - Chaper, M. (trad.): L’ancienneté de l’homme prouvée par la géologie, et remarques sur les théories relatives à l’origine des espèces par variation
1 vol. in-8° de 557 p., illustré de nombreuses figures
(Paris, Baillière 1864)
Compte rendu par A. B., Revue Archéologique 9, 1864-5, 2e série, p. 453-456
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L’Ancienneté de l’homme prouvée par la Géologie, et remarques sur les théories relatives à l’origine des espèces par variation, par sir Charles Lyell, traduit avec le consentement et le concours de l’auteur par M. Chaper. 1 vol. in-8° de 557 p., illustré de nombreuses figures. Paris, chez Baillière et fils, rue Hautefeuille, 19.


Depuis dix ans, une révolution complète s’est faite dans les esprits. Ar­chéologues et anthropologistes sont aujourd’hui presque tous d’accord pour assigner à l’homme une ancienneté bien supérieure à celle qui ré­sulte de l’interprétation ordinaire des textes bibliques. Ce n’est plus six ou sept mille ans d’existence seulement que l’on prête à l’homme aujourd’hui ; c’est un nombre qui, si l’on en croyait certains naturalistes, se compterait non par milliers, mais par cent milliers d’années. Cette doc­trine nouvelle s’appuie sur des faits incontestables qui peuvent, sans doute, avoir servi de base à des inductions exagérées que la science réprouvera un jour, mais qui n’en méritent pas moins toute l’attention des hommes sérieux. Ce sont ces faits que sir Charles Lyell a voulu exposer au public, avec l’autorité de sa haute position scientifique, après les avoir étudiés lui-même scrupuleusement et en avoir contrôlé l’exactitude à la suite de voyages multipliés dans les diverses contrées où ces faits ont été signalés.

Son livre se compose de vingt-quatre chapitres, dont voici les titres :

I. – Introduction. Définition des termes récent, post-pliocène et post-ter­tiaire.

II. – Période récente. Tourbières de Danemark et tumulus de coquilles – Habitations lacustres de la Suisse.

III. – Restes humains fossiles et objets travaillés de la période ré­cente.

IV. – Période post-pliocène. Ossements humains et mammifères d’es­pèces éteintes dans les cavernes de la Belgique.

V. – Période post-pliocène. Crânes humains fossiles des cavernes de Neanderthal et d’Engis.

VI. – Alluvions post-pliocènes et dépôts des cavernes avec instruments en silex.

VII. – Tourbes et alluvions post-pliocènes de la vallée de la Somme.

VIII. – Diluvium post-pliocène avec instruments en silex de la vallée de la Somme. – Conclusion.

IX. – Objets travaillés dans les alluvions post-pliocènes de France et d’Angleterre.

X. – Dépôt des cavernes et lieu de sépulture de la période post-pliocène.

XI. – Discussion de l’âge des fossiles humains du Puy dans la France centrale, et de Natchez sur le Mississipi.

XII. – Ancienneté de l’homme relativement à la période glaciaire, à la faune et à la flore actuelles.

XIII. – Relations chronologiques entre la période glaciaire et les plus anciens vestiges de l’apparition de l’homme en Europe.

XIV. – Relations chronologiques entre la période glaciaire et les plus anciens vestiges de l’apparition de l’homme en Europe (suite).

XV. – Glaciers anciens des Alpes et leur relation chronologique avec la période humaine.

XVI. – Restes humains dans le Loess et leur âge probable.

XVII. – Dislocations et plissements post·glaciaires des couches crétacées et du terrain de transport dans l’île de Möen, en Danemark.

XVIII. – Période glaciaire dans l’Amérique du Nord.

XIX. – Récapitulation des preuves géologiques de l’ancienneté de l’homme.

XX. – Théorie de la progression et de la transmutation.

XXI-XXIV. – Ces quatre derniers chapitres roulent tout entiers sur la théorie de Darwin.

Ces vingt-quatre chapitres sont accompagnés de 55 figures.

Ce simple exposé du livre de Lyell montre nettement quelle est la mé­thode de l’auteur. Il ne développe pas une théorie, il ne défend pas un système ; il passe en revue une série de faits signalés par d’autres, observés, contrôlés et classés par lui. Il ne conclut qu’après l’exposé complet de ces faits.

On comprend, dès lors, l’importance que la grande autorité de LyelI, comme géologue, donne à son livre. Lyell nous dit : Des restes humains, des objets travaillés de mains d’hommes, os ou silex, ont été trouvés avec des ossements d’animaux d’espèces éteintes ou non dans tels ou tels terrains ; comme observateur, il nous affirme le fait, c’est déjà une chose précieuse pour nous ; mais quand il nous dit : Voilà l’âge relatif du terrain où ces restes humains, où ces objets travaillés ont été trouvés, son affir­mation est bien plus grave encore. Qui plus que lui a le droit, en effet, de nous éclairer à cet égard ? Or, à quelles conclusions arriva-t-il ? Il compte au delà de l’âge historique les couches suivantes de développe­ment humain correspondant à des variations analogues dans la faune et dans la flore des diverses régions du globe, ainsi qu’à des changements sensibles dans l’état géologique de la surface de la terre.

Au-dessous de la couche correspondant à ce que l’on est convenu d’ap­peler l’âge du bronze, âge dont les caractères sont à peu près les mêmes dans toute l’Europe occidentale, il reconnaît :

Le dernier âge de la pierre. – C’est l’époque des habitations lacustres et des tourbières du Danemark, l’époque de nos principaux dolmens. Les haches y sont polies. Les ossements d’animaux de cette période appar­tiennent à des espèces vivantes. L’homme connaissait déjà les céréales. M. Lyell ne date pas cet âge, mais n’est pas étonné que M. Morlot le re­porte à 5,000 ans au moins avant notre ère. L’état général de nos contrées ne paraît pas à M. Lyell avoir sensiblement changé depuis cette époque. En Danemark, il est vrai, le pin d’Écosse, qui florissait alors, a disparu pour faire place au chêne, puis au hêtre. Les côtes de la Baltique parais­sent avoir éprouvé aussi, depuis lors, quelques changements. Mais tous ces changements sont restreints et peu considérables.

Le deuxième âge de la pierre. – Cette période est très-nettement dis­tincte de la précédente et doit être sensiblement plus reculée. Elle cor­respond à une faune particulière. Les animaux contemporains des osse­ments travaillés et des silex de cet âge appartiennent à des espèces éteintes ou n’habitant plus les contrées où elles vivaient alors. L’ours des cavernes, qui s’y rencontre avec le renne et le bœuf musqué, ne se retrouve plus dès la période suivante. Le renne et le bœuf musqué ont survécu, il est vrai, jusqu’à notre époque, mais ont quitté depuis longtemps les bords de la Dordogne et de la Tamise, et n’habitent plus que les régions arctiques. Cette période fut témoin de nombreuses variations du relief géographi­que. Le cours des grandes rivières paraît s’être surtout notablement modifié, et le climat était certainement beaucoup plus rude qu’il ne l’est aujourd’hui, au moins pendant la saison d’hiver. C’est à ces changements qu’est due probablement la différence des faunes qui existe entre la dernière période de la pierre et la période immédiatement précédente.

La première période de la pierre. – Cette période nous reporte encore bien plus haut. Entre la division la plus récente de l’âge de pierre et la plus ancienne, celle que Lyell appelle post-pliocène, il y a eu évidemment, dit l’illustre géologue, un énorme intervalle, lacune de l’histoire du passé dans laquelle viendront un jour s’intercaler bien des monuments de date intermédiaire, dont les monuments du second âge de la pierre ne sont qu’une très-mince épave. Il est impossible, suivant Lyell, d’assigner une date, même approximative, à cette première époque de l’apparition de l’homme sur la terre ; tout ce qu’il affirme, c’est que cette époque a suivi immédiatement l’époque glaciaire. A côté de l’elephas primigenius et de l’elephas antiquus se trouvent alors deux espèces de rhinocéros aujourd’hui perdues, plusieurs espèces de bœufs, de chevaux, de cerfs et de beaucoup de petits carnassiers, de rongeurs et d’insectivores tous éteints. Le relief de l’Europe était très-différent de ce qu’il est aujourd’hui. Une communication existait par terre entre les îles britanniques et le continent. « Du­rant une partie du temps post-pliocène, époque à laquelle l’homme existait déjà, les grands pachydermes et les animaux de proie à leur suite, tous éteints à présent, passèrent, dit Lyell, du continent en Angleterre ; il est même très-probable que la France fut réunie à quelque partie des îles britanniques jusqu’à l’époque des graviers de Saint-Acheul, et jusqu’au temps où les rivières qui s’engouffraient dans le bassin de la Meuse entraî­nent, dans une multitude de fentes et de cavernes, les os de l’homme confondus avec ceux du mammouth et de l’ours des cavernes. » Je continue à citer les propres paroles de l’auteur. Il y eut dans cette ère de vastes évolutions géographiques, de grandes oscillations du sol qui, peut-être à plusieurs reprises, mirent à sec et submergèrent le pas de Calais. C’est pendant quelqu’une de ces phases que l’homme l’aura franchi pour la première fois. »

A quelle époque reculée ces considérations ne reportent-elle pas l’exis­tence de l’homme en Europe ? Lyell n’est pas effrayé du calcul de ceux qui croient que plusieurs millions d’années nous séparent du commencement de cette époque post-glaciaire. Ainsi, avant les races qui ont occupé notre continent depuis qu’il jouit des conditions climatériques que nous lui connaissons et dont les plus anciennes étaient dans un complet état de sauva­gerie, d’autres races ont existé plus sauvages encore, exposées à un climat plus rude, entourées d’énormes pachydermes et de terribles carnassiers, aux attaques desquels nous ne voyons pas bien comment elles ont pu se sous­traire ; et cet état de chose, dit sir Charles Lyell, a commencé avec la fin de l’époque glaciaire. D’énormes vallées se sont creusées, depuis lors, des montagnes de sable se sont formées ; d’immenses plages de limon se sont déposées aux embouchures des grands fleuves ; le Nil a eu le temps de créer l’Égypte, pour ainsi dire ; l’Angleterre s’est définitivement séparée du continent, et aucun calcul chronologique ne nous permet d’atteindre cet âge reculé. Voilà ce que nous dit la science. Quel vaste champ ouvert à l’archéologie et aux études paléontogoliques ! La lecture du livre de sir Ch. Lyell ouvre devant l’esprit un horizon sans bornes. Il est destiné, nous en sommes convaincu, au plus grand et au plus légitime succès. A. B.