Schaad, Daniel (dir.) - Génin, Martine : La Graufesenque (Millau, Aveyron)
(Fédération Aquitania 2007)
Compte rendu par Michel Feugère, Instrumentum, 2008-27, p. 36
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La Graufesenque (Millau, Aveyron)


Vol. 1 – D. Schaad (dir.), Condatomagos, une agglomération


de confluent en territoire rutène. IIe s. a.C. - IIIe s. p.C.


Vol. 2 — M. Genin, Sigillées lisses et autres productions


Fédération Aquitania – Études d’Archéologie Urbaine


Vol. 1 : 2007, 378 p., 405 fig., 39 tabl., 34 pl.


vol. II, 2007, 589 p., 233 fig. et tabl., 223 pl.


 

La publication de ces deux forts volumes reliés, au format “atlas”, marque une étape importante pour l’archéologie française. Depuis les premières fouilles du XIXe s., les ateliers de potiers de La Graufesenque à Millau (Aveyron) ont été reconnus comme un des phénomènes les plus significatifs de l’histoire économique de la Gaule ; la céramique sigillée lisse et ornée (cette dernière ne représentant qu’une part minime de la production), diffusée d’une extrémité à l’autre de l’Empire romain, est ainsi devenue l’un des marqueurs les plus connus des premiers siècles de l’ère chrétienne.

 

   Interrompues depuis 1981, à l’exception d’un sauvetage en 1988, les fouilles de La Graufesenque attendaient depuis cette date la monographie que méritait un site d’une telle renommée. C’est désormais chose faite grâce aux deux volumes qui font le point à la fois sur le site, ses structures, leur interprétation (vol. 1), ainsi que sur le mobilier et principalement la sigillée lisse (vol. 2).

 

   Dans le premier volume, D. Schaad et ses collaborateurs se livrent à une revue en règle des données disponibles sur le site, jusqu’ici présenté comme un quartier d’artisans dévolu à la production de céramique sigillée. L’élément structurant du secteur fouillé est en fait un carrefour de rues occupé par plusieurs sanctuaires publics. Dans toute la zone, l’eau ruisselante ou canalisée est mise en scène avec la construction d’un réseau passant par un monument non encore fouillé (nymphée ? il n’a été repéré que par photographie aérienne dans une parcelle voisine) venant longer la rue nord et reliant sans doute la Dourbie au Tarn. Le seul four observé au sud de ce carrefour, relativement tardif, reste de fonction incertaine. Après son abandon au milieu du IIe et jusqu’au IIIe s., diverses structures de production céramique envahissent le quartier, mais leur association avec la sigillée classique (cuite en mode C) doit être écartée. Enfin, l’ensemble des structures romaines sont installées sur un niveau protohistorique, témoignant d’une occupation encore mal connue, que l’on peut cependant faire remonter au début du IIe s. av. notre ère. L’étude des phases antérieures à l’installation des potiers de sigillée à Condatomagos représente à coup sûr un enjeu scientifique majeur dans l’avenir du site.

 

   Le second volume, dû à la plume de M. Genin, est essentiellement consacré à la principale production des ateliers de La Graufesenque, la sigillée lisse. Si on se base sur les marques, cette dernière représente en effet 95 % de la production de l’atelier entre les années 20 et 70 de notre ère, des chifffres légèrement supérieurs (entre 5 et 14 %) étant obtenus pour la sigillée décorée à partir des sites de consommation (Lyon, Oberwinterthur). L’auteur a étudié sept ensembles, plus ou moins homogènes mais représentatifs de la période allant du début du règne de Tibère au milieu du IIe s., avec un total de près de 80 000 vases. C’est dire si ces ensembles, minutieusement étudiés dans leur contexte local, apportent désormais une base solide à la connaissance de la céramique de La Graufesenque.

 

   Les ensembles ayant été retrouvés à quelque distance des fours, leur homogénéité est variable et aucun d’entre eux ne peut sans doute être considéré comme regroupant les ratés d’une seule fournée. Il faudra donc sans doute attendre d’autres données de fouilles pour comprendre en détail l’organisation des artisans et de leur travail. Les productions, en revanche, sont amplement documentées par les séries disponibles, que M. Genin a pu compléter en cas de besoin pour donner, in fine, une nouvelle typo-chronologie des formes lisses fabriquées à Millau, et un catalogue exhaustif des marques de potiers et de leurs attestations locales sur sigillée. L’ampleur de la documentation graphique clôturant le volume permet de suivre l’évolution des formes et leur représentation au cours du temps ; elle facilitera grandement l’utilisation pratique du livre.

 

   Avec les questions enfin résolues (typologie et quantification des productions de sigillée lisse du Ier et du début du IIe s.), D. Schaad et M. Genin offrent une image renouvelée de La Graufesenque et de l’extraordinaire dynamique économique qui est née à Millau sous Tibère. Les potiers ont travaillé selon des normes précises, dans un cadre soumis à une organisation rigoureuse et sans que l’on puisse déceler entre eux la moindre velléité de concurrence. Cette synergie se manifeste aussi dans l’exportation des vases, où aucun potier ne semble disposer d’un marché privilégié. Qui retirait les bénéfices de cette gigantesque organisation ? Les seize potiers dont le nom (surtout à partir de Néron) atteste un statut de citoyen ? Leur relation avec les plus de 500 incerti, potiers qui ne signent que d’un nom simple, reste obscure.

 

   Dans l’état actuel des connaissances sur l’atelier, La Graufesenque ne représente nullement, comme on a pu le penser autrefois, le sursaut d’une Gaule venue défier le marché de la céramique italique sur son propre terrain. C’est une entreprise parfaitement planifiée, très probablement liée aux ateliers lyonnais, donc à l’Italie, qui a su trouver en terre Rutène les conditions de son succès. On remerciera les auteurs d’avoir mené à bien, avec le concours efficace du SRA Midi-Pyrénées et du Musée de Millau, la publication monumentale qu’attendaient les archéologues et les historiens.