Simon, Gérard: Science et Histoire
(Gallimard, Paris 2008)
Compte rendu par Michel Feugère, Instrumentum, 2010-31, p. 40
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Gérad Simon Science et Histoire Bibliothèque des Histoires, Éd. Gallimard, Paris 2008, 201 p.


 

    À partir de ses recherches sur Kepler, dont il est un des meilleurs spécialistes, G. Simon nous offre, à la fin de sa carrière de chercheur, un livre pénétrant ; ses réflexions sur les sciences en général et leur apport à l’histoire. L’organisation du livre en deux parties, Les Sciences et leur histoire (p. 23-98), puis l’Histoire et les sciences (p.103-184), suffit à dire combien la démarche, au-delà de l’épistémologie, de l’historiographie et même de la philosophie des sciences, est originale. L’auteur y aborde sans détours, “sans fioritures ni précautions académiques”, son approche de l’histoire des sciences. Parti pour analyser l’origine de ses intérêts et de son autodiscipline de chercheur, il se livre devant nous à une enquête qui l’amène à glisser, de manière “inattendue”, de l’histoire à l’anthropologie. Il faut se résoudre, pour lire ce livre, à embarquer avec G. Simon dans une véritable aventure intellectuelle.

 

   Toute Histoire des sciences, quelle que soit la qualité des auteurs sollicités, est décevante ; elle demeure, par nature, incapable de rendre compte des relations qui s’établissent entre les connaissances d’une époque, à recréer dans l’esprit des chercheurs d’autrefois ce mélange de connaissances, de lacunes, de suppositions ..., qui fait progresser la science de manière plus sûre que le simple “progrès de la connaissance”. Toutes les avancées majeures de la science d’hier et d’aujourd’hui, nous dit Gérard Simon, bien loin de résulter de la seule exploitation des découvertes antérieures, ont constitué des ruptures avec l’état de la science de leur époque. Certes, les chercheurs de tous les temps construisent des modèles du monde ; ils vérifient l’articulation entre elles des pièces d’un gigantesque puzzle, toujours plus complexe, qui forme les connaissanceS d’une époque dans un domaine donné, voire entre plusieurs domaines distincts. Mais la construction issue de ce travail de maçon est un édifice qui, un jour ou l’autre, arrive à ses limites. La science ne progresse plus, elle ne fait qu’apporter des finitions.

 

   Toute l’optique géométrique de l’Antiquité, par exemple, a vécu sur la conception platonicienne de l’émission par l’œil d’un “rayon” allant au contact des objets extérieurs. Ce n’est qu’au XIe siècle qu’on voit apparaître, chez le grand savant arabe Ibn-al-Haytham, l’idée révolutionnaire que l’oeil, au contraire, reçoit une lumière émise en dehors de lui. Même si on lui donne le même nom, l’optique médiévale n’aura plus rien à voir avec l’optique antique.

 

   Vu sous cet angle, quelles sont les étapes essentielles de la construction scientifique ? L’abstraction mathématique, bien sûr sans laquelle les savants ne peuvent ni comprendre ni communiquer ; l’interprétation géométrique des phénomènes célestes, qui a permis aux hommes de s’extraire, mais pas avant le XVIIe siècle de notre ère, des apparences de vérité auxquelles ils croyaient jusqu’alors ; l’expérimentation et la reproductibilité des observations, qui imposent le rationalisme comme seule méthode d’investigation scientifique. Détachée de la religion et même de la philosophe, la science conquiert son autonomie.

 

   L’Histoire n’échappe pas à cette redéfinition qui distingue totalement la démarche moderne, anthropologique et globalisante, de la quête ancienne de “faits mémorables” qu’un historien “aussi neutre que possible” se serait contenté d’exhumer. En histoire comme dans toute science humaine, l’objet n’existe que par un sujet souverain ; il n’y a pas d’histoire “objective”.

 

   Il est impossible ne serait-ce que d’évoquer ici tous les aspects de ce livre foisonnant, souvent ardu mais toujours passionnant pour tout lecteur intéressé par la construction du savoir scientifique, notamment dans le domaine historique puisqu’aucune science n’échappe à l’historicité. La contribution de Gérard Simon est à recommander chaleureusement à ceux qui veulent se consacrer à la science, ou seulement s’interroger avec lui sur la nature de cette curieuse – mais spécifique – activité humaine.