Bataille, Gérard: Les Celtes : des mobiliers aux cultes.
(Editions de l’Université de Dijon 2008)
Compte rendu par Michel Feugère, Instrumentum, 2010-32, p. 36
Site officiel de la revue Instrumentum
 
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Citation de la version en ligne : Les comptes rendus HISTARA.
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Gérard Bataille Les Celtes : des mobiliers aux cultes. Ed. Univ. de Dijon, 2008, 258 p., 137 fig. 28 €


 


 


En publiant la version réactualisée de sa thèse de doctorat « Des mobiliers aux cultes celtiques – Analyse qualitative et quantitative des mobiliers métalliques issus de sanctuaires laténiens », Gérard Bataille affronte une question récurrente de la protohistoire en général, et des grands ensembles votifs en particulier : comment rendre compte de la masse d’objets que livrent les sanctuaires, sachant que le mobilier retrouvé a subi un certain nombre de traitements, de tris, qui en affectent à la fois l’aspect, la conservation et la représentativité ? Jusqu’ici, en effet, les difficultés inhérentes à ce type de découverte, plus lourdes encore quand il s’agit de fer, ont souvent découragé les approches quantitatives.

 

 Le traitement de ce type de mobilier suppose donc deux démarches concomitantes : d’une part, l’étude demande une restauration préalable afin que les surfaces soient lisibles (cette démarche, très coûteuse, peut être aménagée grâce à des radiographies facilitant le tri des objets à restaurer), et aussi que les fragments récemment séparés soient recollés ; d’autre part, elle exige une technique de comptage rigoureuse et reproductible. L’auteur s’attache donc à la formalisation d’un « nouvel outil d’étude, le NMI métallique » : en elle-même, la méthode n’est pas une nouveauté, puisque le NMI [nombre minimum d’individus] est un concept emprunté par les archéologues aux statisticiens. Les céramologues ont été les premiers à s’en emparer (voir P. Arcelin, M. Tuffreau-Libre [dir.], La quantification des céramiques. Conditions et protocole, Glux-en-Glenne, 1998) et il est utilisé couramment depuis le milieu des années 80 pour la quantification des petits objets au sein de systèmes de documentation archéologique comme Syslat... Mais son application donne toujours lieu, et c’est légitime, à des appréciations très diverses. Le problème posé par les parures de perles, discuté par G. Bataille, est emblématique : un collier est-il un objet, quel que soit le nombre de perles représenté... ? tout lot de perles correspond-il nécessairement à un collier ? à plusieurs ? ou à une association de plusieurs parures formées de perles... ?

 

Théorique, la discussion serait intéressante ; mais elle est ici passionnante car appliquée à la quantification d’un gisement spécifique. L’exemple choisi, celui du sanctuaire de La Villeneuve-au-Châtelot, et plus généralement les sanctuaires gaulois à dépôts métalliques, n’est certes pas des plus faciles. Malgré les constantes (accumulations d’objets identiques), les sanctuaires celtiques présentent souvent des particularités dues au culte local. Une autre difficulté réside ici dans le fait que les mobiliers de La Villeneuve ne bénéficient pas d’une datation extrinsèque (stratigraphie), mais sont classés à partir de la typologie de certains de leurs éléments... Les proportions différentes d’éléments typiques dans chaque sanctuaire, induisant des périodes d’utilisation successives (graphiques à partir de la p. 161), peuvent suffire à expliquer les différences de comptages entre les diverses catégories, puisque le dépôt d’épées, de fibules ou de ceintures n’est pas supposé constant dans le temps. Plus intéressant est le rapprochement qui apparaît alors entre deux sanctuaires (comme par exemple Mirebeau et Fesques, p. 165).

 

On peut rester plus dubitatif devant les comparaisons entre les dépôts de « panoplies  complètes » et le « fourniment annexe », dans la mesure où il s’agit encore une fois de reconstitutions et non de données de fouille. Rien ne dit qu’un dépôt individuel dans un sanctuaire gaulois comportait la totalité des armes d’un « guerrier » ; par ailleurs, l’utilisation des données funéraires pour définir cette panoplie me semble également dangereuse : avant de nous renseigner sur la réalité quotidienne, les tombes nous parlent d’usages funéraires. En s’éloignant encore un peu plus des données factuelles, le raisonnement introduit une nouvelle marge d’incertitude, sans apporter à l’analyse de réelle nouveauté. Appliquée aux parures, la méthode de comptage montre que l’évolution du dépôt votif dépend en premier lieu de l’évolution de la mode vestimentaire : la disparition des ceintures féminines à la fin de LT C pourrait être observée de la même manière sur les habitats ou dans les tombes.

 

Après avoir caractérisé chaque type de dépôt pour les périodes distinguées au sein de chaque sanctuaire, l’auteur classe ces pratiques (« modalités ») et en tire un « faciès mobilier » des sept sanctuaires étudiés ; ce faciès est ensuite rapproché de l’architecture et des infrastructures de chaque site. Le classement débouche sur la définition de trois types de sanctuaires, qui synthétisent toutes les données utilisées précédemment.

 

En cherchant de cette manière à comparer des séries hétérogènes, G. Bataille s’est confronté à un dilemme constitutif de l’archéologie : comment dépasser le particularisme de chaque objet, de chaque série, de chaque site, pour établir des comparaisons entre des éléments qui, malgré tout, participent d’un même ensemble culturel ? L’énorme travail accompli à cette occasion ne permet ces comparaisons qu’aux prix de réductions sans doute nécessaires à une telle démarche. Il sera probablement difficile d’appliquer à d’autres sites la conception très particulière du NMI qui est développée ici, mais le mérite de l’ouvrage est de l’avoir mise en pratique sur sept ensembles de mobiliers qui sont donc traités de la même manière. Les conclusions tirées in fine de cette analyse, sur la relation des sanctuaires avec la prospérité économique et l’importance relative des communautés qui les font vivre, ouvrent des pistes intéressantes sur la nature et la fonction de ces lieux de culte chez les Gaulois.