Eschyle - Weil, Henri (éd.): Aeschyli quae supersunt tragoediae. Vol. II, sect. II. Prometheus vinctus
(Giessen, J. Ricker 1864)
Compte rendu par Charles Thurot, Revue Archéologique 10, 1864-5, 2e série, p. 414-415
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Aeschyli quae supersunt tragoediae. Vol. II, sect. II. Prometheus vinctus. recensuit, adnotationem criticam et exegeticam adjecit Henricus Weil, in Facultate litterarum Vesontina professor. Gissæ, impensas fecit J. Ricker, 1864.


 

Le Prométhée est, de toutes les tragédies d’Eschyle, celle dont le texte a subi le moins d’altérations ; c’est même un des ouvrages relativement les mieux conservés parmi ceux qui nous sont restés de l’antiquité grecque. Il ne se prête donc pas à ce genre de sagacité qui consiste à retrouver la véritable leçon sous les erreurs et même par les erreurs des copistes, et dont M. Weil a donné des preuves distinguées dans les éditions qu’il a publiées précédemment de l’Agamemnon, des Choephores, des Euménides et des Sept chefs. Toutefois, si bien conservé que soit un texte, il n’est jamais entièrement exempt de fautes, qui peuvent échapper d’autant plus facilement à la sagacité des éditeurs, qu’on lit avec moins de défiance. Ainsi, précisément dans le Prométhée, on n’avait pas senti généralement la difficulté qu’offre la réponse de Prométhée aux conseils de l’Océan (330-331) : [GREC]. Indépendamment de la dureté de la construction du second vers, M. Weil fait remarquer avec raison que le sens en lui-même n’est nullement satisfaisant. Comment un vieillard tel qu’Eschyle a dépeint l’Océan, prudent, circonspect, se tenant loin non-seulement des querelles des dieux mais encore de leurs assemblées, a-t-il jamais pu s’associer aux desseins audacieux de Prométhée ? Eschyle ne parle nulle part ailleurs de cette hardiesse si peu conforme au caractère qu’il donne à l’Océan ; il rapporte partout à Prométhée seul l’honneur et la responsabilité de son entreprise ; il lui fait même dire à propos du des­sein que Jupiter avait conçu d’anéantir le genre humain (234) : [GREC]. On ne conçoit donc pas que Prométhée félicite l’Océan d’être à l’abri de tout mal après avoir été de moitié dans toutes ses entreprises. Le scoliaste, qui a eu souvent sous les yeux un texte plus ancien et meilleur que celui qui nous est parvenu, a lu évidemment autre chose que ce que nous avons ; car il commente ainsi ces vers : [GREC]. Si on lit avec M. Weil, comme le scoliaste semble avoir lu, [GREC], toutes les difficultés dis­paraissent ; Prométhée s’étonne de ce que l’Océan ne soit pas puni pour oser s’intéresser à ses malheurs. Si le Prométhée ne comporte pas beaucoup de restitutions de ce genre, l’éditeur n’est pourtant pas dispensé de tact et de justesse d’esprit : et ces qualités ne manquent pas au commentaire de M. Weil. Il a su se garantir d’une erreur où la critique alle­mande tombe souvent, et qui, en particulier, se trouve au fond de toutes les objections que les philologues ont faites contre l’unité de l’Iliade et même de l’Odyssée : c’est l’erreur qui consiste à confondre la vérité poétique et l’exactitude scientifique, à exiger d’un poëte la logique géométrique qu’on ne trouve pas toujours même chez les savants les plus distingués. Ainsi on s’est préoccupé de la contradiction qui se remarque entre le Prométhée où Io n’arrive en Egypte que par de très-longs détours, et les Suppliantes où Io arrive au même terme beaucoup plus directement par l’Asie mineure et la Syrie. On a employé, pour concilier cette contradiction inconciliable, des arti­fices que M. Weil juge avec raison tout à fait vains. Ces développements géographiques ont souri à l’imagination d’Eschyle, quand il a composé le Prométhée, et il ne les a pas jugés nécessaires ou convenables dans les Suppliantes. Les poëtes ne traitaient pas ces traditions fabuleuses en histo­riens. M. Weil a également compris·qu’Eschyle doit être apprécié autrement que d’Anville, et il s’est bien gardé de déterminer sur la carte la position du fleuve Hybristès et celle de la plaine de Cisthène. Charles Thurot.