Heuzey, L. - Thureau-Dangin: Restitution matérielle de la stèle des Vautours. In-fol. 64 p., avec 4 planches et des gravures dans le texte.
(Paris, Leroux 1909)
Compte rendu par Salomon Reinach, Revue Archéologique t. 15 (4e série), 1910-1, p. 207-208
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 L. Heuzey et Thureau-Dangin. Restitution matérielle de la stèle des Vautours. Paris, Leroux, 1909. In-fol. 64 p., avec 4 planches et des gravures dans le texte.


Un nouveau fragment de la stèle des Vautours (« évidemment détourné de notre champ de fouilles du fait des ouvriers et vendu à quelque marchand ») (1) est entré au British Museum ; faute d’avoir pu acquérir l’original par voie d’échange, M. Heuzey, opérant sur un moulage, en a retrouvé la place exacte. « C’est une véritable clef, écrit-il, qui donne la position exacte de toutes les pièces jusqu’ici retrouvées ». L’occasion était bonne pour rééditer l’ensemble de la stèle en héliogravures de grande dimension et pour accompagner cette publication d’un double commentaire, l’un archéologique, dû à M. Heuzey lui-même, l’autre épigraphique, de M. Thureau-Dangin.

La face antérieure (mythologique) représente une divinité (non pas le roi Eannadou), auprès de vaincus enfermés dans un filet (cf. Habacuc, I, 12-17) ; c’est une vieille arme babylonienne que les rétiaires du cirque romain ont fait renaître. Le dieu tient de la main gauche l’aigle léontocéphale de Sirpourla, de la main droite une massue. En bas de la stèle on distingue un timon élevé, fragment du char sacré du dieu, derrière lequel une déesse était figurée debout. Sur la face postérieure (historique), il y a les restes de quatre registres : 1° les vautours, emportant des débris humains, planent au-dessus d’un amas de morts que l’on entasse, tandis que le roi vainqueur s’approche, suivi de ses guerriers en phalange ; les guerriers marchent sur les cadavres d’ennemis. Le roi Eannadou, vêtu d’un double vêtement de kaunakès, tient une grande lance et une arme analogue à la harpé « aux dents aiguës » de Kronos ; 2° le roi, monté sur un char, précède ses guerriers en marche ; 3°scène de funérailles après le combat, accompagnée d’un sacrifice solennel (taureau, agneaux, chevreaux) offert par le roi. Des porteurs de corbeilles, pleines de terre, gravissent la pyramide des cadavres entassés pour former le tumulus ; au-dessus des animaux du sacrifice, un officiant nu (nudité rituelle!) procède à la libation ; 4° la grande lance royale atteint le front d’un prisonnier, en tête d’une file de captifs (victoire d’Eannadou sur le roi de Kish).

Le commentaire de M. Heuzey porte sur plusieurs points importants ; 1° la grande lance royale, tenue horizontalement par l’extrémité de la hampe ; ainsi font encore, suivant le commandant Cros, les Arabes de l’Irak, avec une énorme lance en roseau qu’ils balancent d’abord par le milieu, puis qu’ils font glisser dans leur main, pour ne la retenir qu’au moment où elle va leur échapper ; la lance devient ainsi « quelque chose d’intermédiaire entre une arme de haste et une arme de jet » ; 2° le char chaldéen, probablement à deux roues ; malgré le témoignage d’un fragment de Berlin, venu probablement aussi de Tello, il est impossible de dire si l’attelage se composait d’ânes, d’onagres ou de chevaux (sur le cylindre publié p. 20, c’est bien un âne) ; 3° les variétés du type physique, du costume et de la coiffure. M. Heuzey, contrairement à M. Ed. Meyer, n’admet pas que l’on puisse distinguer des types et des modes, les uns sémitiques, les autres sumériens. La courbure du profil n’est nullement un indice de sémitisme, mais d’archaïsme et de maladresse ; s’il en était autrement, il faudrait que l’arc nasal s’accrût, dans la série chronologique des monuments, en raison directe de l’expansion des Sémites ; or, c’est le contraire qui a lieu. La prétendue substitution du costume sémitique au costume sumérien est une illusion. « Il n’y a que le développement normal d’un seul et même costume, sans aucune démarcation profonde de nature à caractériser deux races » (p. 33). Même conclusion pour la chevelure et la barbe : « L’espèce de dualisme qui se marque par l’opposition des têtes rasées ou non rasées ne relève pas nécessairement de l’ethnographie; il peut très bien tenir à des différences sociales » (p. 37). « Il faut en prendre son parti : la question des races dans l’ancienne Chaldée reste surtout une question de linguistique » (p. 38).

La restitution épigraphique de M. Thureau-Dangin (texte et traduction) a été résumée ainsi par l’auteur lui-même (p. 40) : « La Stèle des Vautours commémorait la victoire d’Eannadou, patesi de Sirpourla, sur les habitants de Gishkou. Au début était rappelée sommairement l’histoire des relations que la ville de Sirpourla, antérieurement au règne d’Eannadou, avait entretenues avec sa rivale Gishkou ; la partie du texte qui nous est conservée relate des guerres où les gens de Gishkou sont les agresseurs et où l’avantage final reste à Sirpoula ». Il est intéressant de trouver dans le texte une mention du grand filet figuré sur la face antérieure : « Moi Eannadou, le grand filet de Ninharsag sur les gens de Gishkou j’ai jeté » (p. 52). La même mention, avec quelques variantes, revient plusieurs fois. Il y a des passages où le savant assyriologue renonce à comprendre, ce qui inspire confiance pour le reste, du moins aux ignorants comme moi.

S[alomon] R[einach]

(1) A la p. 20, il est question d’un autre fragment égaré, que M. de Sarzec, « fatigué comme il était alors », avait pris heureusement la peine de photographier. Il y a toujours eu trop peu de monde sur le champ de fouilles de Tello.