Dütschke, Hans: Ravennatische Studien. Gr. in-8, viii-287 p., avec nombreuses gravures.
(Leipzig, Engelmann 1909)
Compte rendu par Salomon Reinach, Revue Archéologique t. 15 (4e série), 1910-1, p. 199-200
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Hans Dütschke, Ravennatische Studien. Leipzig, Engelmann, 1909. Gr. in­8, viii-287 p., avec nombreuses gravures.


La première partie de cet ouvrage est un catalogue raisonné, très détaillé et très soigné, des 83 sarcophages ou fragments de sarcophages conservés à Ravenne. Riegl exprimait jadis l’opinion que l’on pourrait, par l’étude de ces sarcophages, retracer l’histoire de la sculpture romaine des bas siècles. C’est beaucoup dire ; mais l’intérêt de ces documents, d’ailleurs reconnu depuis longtemps, sera plus vivement apprécié maintenant que nous en possédons un bon inventaire illustré, digne du savant laborieux qui, tout jeune encore, nous a donné les Antike Bildwerke in Oberitalien (1).

Le reste du livre de M. Dütschke a pour but principal de mettre en lumière la continuation de l’art païen par l’art chrétien. Je voudrais savoir qui a soutenu la thèse contraire et pourquoi il paraît si nécessaire de répéter emphatiquement un lieu commun de l’archéologie. Mais M. D. a aussi proposé des explications nouvelles de quelques-unes des questions difficiles posées par l’exégèse des sarcophages. Ainsi, suivant lui, le type de l’orante représenterait « la Paix dans le Paradis », Pax ou Eiréné (p. 171) ; cette hypothèse n’est pas heureuse, car une Paix en prière ne se comprend pas, tandis qu’il est infiniment plus simple de reconnaître dans l’Orante chrétienne une transformation de la Pietas des Romains. Ce type adopté et passé dans l’usage, les sculpteurs chrétiens et leurs clients ont pu y voir autre chose, par exemple une sainte, ou l’âme du mort, ou même l’Église ; ils ont pu aussi n’y voir qu’une orante et ne pas se mettre en peine de préciser. En pareille matière, vouloir trop comprendre est souvent la preuve qu’on n’a pas compris ; telles compositions figurées sur les monuments chrétiens prêtent aux plus aventureuses rêveries « si l’on cherche obstinément une logique à des assemblages fortuits de types disparates. » J’emprunte ces mots à M. Pératé (ap. Michel, Hist. de ­l’art, t. I, p. 62), dont M. D. aurait eu profit à connaître les travaux si raisonnables. Il n’aurait peut-être pas imaginé l’explication suivante d’un sarcophage d’enfant à Ravanne [sic] (long., 0,87). Au milieu du long côté est assis un homme tenant un rouleau, devant lequel est debout, appuyée dans l’attitude d’une Muse, une femme aux pieds de laquelle est une capsa avec volumes. Sur la droite, Bon Pasteur ; à gauche, une petite fille avec une colombe (sans doute la morte), une femme levant la main droite et un homme tenant un rouleau. Suivant M. D. (p. 150), la femme à l’attitude de Muse (dont il y a d’autres exemples), est une Parque, qui annonce son destin à l’homme assis. Mais cet homme n’est pas le mort, puisqu’il s’agit d’un sarcophage d’enfant. Je traduis : « L’homme qui lit est le survivant qui, dans l’annonce de sa mort que lui fait la Parque, voulait voir 1° un memento mori lapidaire ; 2° l’expression de son vœu à lui d’être bientôt réuni à la personne disparue. Et comment le survivant pouvait[-]il honorer plus dignement honorer [sic] le défunt? Comment pouvait-il exprimer plus nettement son désir de rejoindre le disparu qu’en prêtant ainsi l’oreille aux paroles de la Parque qui lui annonce la mort? Au fait, ce motif était si bien approprié à des buts sépulcraux qu’on comprend bien qu’il se soit beaucoup répandu... « La Parque et le lecteur », ce motif dut être admis sans réserve comme une des images les plus pleines de sens et les plus belles que l’art romain d’époque tardive ait créées. » Même s’il existait des textes pour autoriser une interprétation aussi extravagante, il faudrait hésiter à l’admettre ; mais comme il n’y a que la fantaisie de M. D. et son mauvais style, cela ne me suffit pas du tout (2).

S[alomon] R[einach]

 

(1) On a beaucoup médit de ce grand ouvrage ; mais on s’en sert toujours avec gratitude et personne n’a encore tenté de le refaire.

(2) J’ai rarement été condamné à parcourir un livre aussi obscurément, aussi péniblement écrit. P. 137, l’auteur cite ainsi le début d’un vers de Virgile : Armorumque fuit viro... Virgile, qui savait la quantité, a écrit vivis ; mais viro pris pour un spondée, n’est-ce pas un signe des temps barbares qui reviennent, malgré le luxe intempérant de l’érudition ?