Peet, T. Eric: The stone and bronze ages in Italy and Sicily. In-8°528 pp., 6 pl., 4 cartes.
(Oxford, Clarendon Press 1909)
Compte rendu par Albert Grenier, Revue Archéologique t. 15 (4e série), 1910-1, p. 445-448
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T. Eric Peet. The stone and bronze ages in Italy and Sicily, Oxford, Clarendon Press, 1909 (528 pp. in-8°, 6 pl., 4 cartes).


M. Peet, Craven fellow à l’Université d’Oxford, s’est fait connaître tout récemment par plusieurs articles remarquables sur l’archéologie préhistorique italienne (1). Le gros volume qu’il publie nous est présenté modestement comme un simple travail de vulgarisation destiné au public anglais. La vulgarisation telle que l’entend M. Peet a tous les caractères d’un exposé très scientifique : elle est de nature à rendre grand service aux archéologues de tous pays.

En France, nous possédons déjà, sur les civilisations préhistoriques de l’Italie, l’Introduction à l’histoire romaine de Modestov (2). M. Peet ne traite que la matière des cinq premiers chapitres de Modestov. Il s’arrête après l’âge du bronze. Modestov s’attachait surtout aux idées et aux hypothèses. Pour M. Peet, au contraire, les faits sont l’essentiel. Il les expose brièvement, mais avec netteté et clarté : il s’avance au milieu d’eux, avec un flegme toujours égal. Il finit sans doute par rencontrer les mêmes problèmes d’ethnologie qui passionnaient Modestov ; ils lui sont l’occasion de résumer simplement à la fin de chacune des parties de son travail les particularités signalées au cours des chapitres précédents. Il est, au milieu des obscurités de la préhistoire italienne, un guide très calme et très sûr.

Il essaye en effet, et c’est là une originalité méritoire, d’introduire, dans le classement et l’appréciation des faits, une critique méthodique. Les trouvailles accidentelles ou celles qui sont dues à des fouilles non scientifiques, lui paraissent de nulle valeur en fait d’ « évidence ». Les fouilles régulières elles-mêmes doivent être sévèrement discutées. Les cavernes ont souvent présenté un mobilier mêlé et confondu. Les tombes, surtout celles qui sont creusées dans le roc, contiennent parfois des objets d’époques très diverses. Les fonds de cabanes et les terramares permettraient des conclusions plus nettes, si les différentes couches qu’ils renferment avaient toujours été distinguées avec exactitude. Pour bien faire, il faudrait encore, à propos de chaque fouille, tenir compte de l’indice personnel du fouilleur, non pas seulement de sa diligence. mais surtout de ses hypothèses et des théories qu’il peut avoir à cœur de vérifier. Ces théories peuvent être souvent l’origine de troublantes illusions dans l’observation des faits. Nous croyons notamment — et nous l’avons fréquemment entendu répéter par Brizio — que toutes les observations concernant les terramares ont été faussées, depuis l’abbé philosophe Chierici, par l’idée préconçue de trouver dans les primitifs habitants de la plaine du Pô, les ancêtres des Latins de la Roma quadrata. Il est vrai, d’autre part, que la théorie pan-ligure de Brizio pouvait le rendre excessivement sévère pour toutes les constatations qui ne cadraient pas avec elle. En somme, M. Peet a peut-être raison de ne pas s’engager dans cette voie de critique périlleuse, dans laquelle rien n’assure le juge lui-même contre l’illusion, le préjugé, voire le parti-pris. Le temps se chargera sans doute de passer ainsi au crible les témoignages, en multipliant les découvertes et en faisant se succéder les unes aux autres, les générations et les écoles de fouilleurs. On retrouve donc en substance, dans l’ouvrage de M. Peet, la plupart des doctrines qui ont cours aujourd’hui chez les palethnologues italiens. Ce qui lui est personnel, c’est la rigueur de l’ordonnance dans l’exposé des faits, la netteté et la logique des jugements, sans parler d’un certain nombre de remarques et de rapprochements qui n’avaient pas encore été faits avant lui.

Avec M. Sergi et avec Modestov, M. Peet croit à l’existence d’une grande race ibéro-ligure, d’origine africaine, introduisant en Europe la civilisation néolithique. Il insiste particulièrement, il est vrai, sur les différences locales. Il montre combien l’Italie septentrionale et centrale diffèrent à cette époque de l’Italie du Sud et de la Sicile. Les Ligures seraient arrivés par Gibraltar et l’Espagne, les Sicules ou Sicanes viendraient par mer, de la Méditerranée orientale. M. Peel reconnaît d’ailleurs que ces conclusions dépassent de beaucoup les données de l’archéologie. C’est aux anthropologues qu’il emprunte l’hypothèse d’une race néolithique. Nous avouons une singulière défiance vis-­à-vis de l’histoire des migrations de peuples, établie par voie de déduction anthropologique. Il pourrait être divertissant d’essayer, un jour, par ce moyen, une esquisse des temps historiques !

Tout particulièrement intéressant et nouveau est le rapprochement que fait M. Peet, entre la poterie de l’époque énéolithique dans l’Italie méridionale et celle qu’ont mise au jour, de l’autre côté de l’Adriatique, les découvertes de M. Tsountas à Dimini et à Sesklos, et celles de MM. Wace et Droop en Thessalie. Il paraît dès maintenant très vraisemblable que des relations étroites ont réuni, depuis cette époque, la péninsule des Balkans à l’Italie, à travers la mer Adriatique.

L’âge du bronze demeure assez obscur dans l’Italie centrale. Mais dans le nord de la Péninsule, il est représenté par les stations lacustres et par les terramares. L’étude que fait M. Peet de ces établissements et la carte qu’il dresse de leur répartition topographique, apportent d’heureuses précisions aux hypothèses couramment admises. Palafittes et terramares représentent bien l’immigration en Italie de tribus descendues par les vallées alpestres. Les palafittes des lacs sont les plus anciennes. Les palethnologues italiens les divisent généralement en deux groupes : le groupe occidental qui remonterait à l’époque énéolithique et le groupe oriental formé par les stations du lac de Garde et de Vénétie qui dateraient seulement du plein âge du bronze. M. Peet démontre que les palaffittes [sic] vénitiennes sont en général aussi archaïques que celles de Lombardie. Seule la station de Peschiera, ainsi qu’une ou deux autres du lac de Garde, présente un caractère plus récent et paraît contemporaine des terramares.

Les terramares elles-mêmes, stations de palafittes en terre ferme, s’échelonnent du Lac de Garde au Pô, le long du Mincio. Au sud du Pô elles se répandent dans la plaine depuis Plaisance, jusqu’au Panaro, entre Modène et Bologne. Mais elles ne s’avancent pas davantage vers l’est. Tout le long de la côte Adriatique, une large zone demeure en possession des descendants des tribus néolithiques. Ceux-ci continuent à habiter leurs villages de fonds de cabanes à demi souterraines, et à développer leur civilisation propre, tout en subissant l’influence de leurs voisins de l’Emilie occidentale.

Quant aux immigrations des populations des terramares dans l’Italie méridionale et jusqu’à Tarente, M. Peet est d’avis qu’il n’en faut pas exagérer l’importance. La rencontre de constructions sur pilotis, dans ces régions, est sans doute un fait assez caractéristique. L’extension du rite de l’incinération et la forme des bronzes montrent l’influence des populations de l’Italie du nord. Mais il s’en faut que la poterie soit exactement la même. Des découvertes comme celles de Coppa della Navigata, dans le promontoire du Gargano, dont les vases rappellent ceux de Bosnie, viennent compliquer le problème. Si bien qu’après avoir exposé les divers éléments de solution mis en lumière jusqu’à ce jour, M. Peet a la très louable prudence de réserver sa conclusion jusqu’à plus ample évidence.

En Sicile, M. Peet suit pas à pas les découvertes de M. Orsi. Un chapitre spécial est consacré aux influences mycéniennes. D’une façon générale le livre constitue un précieux répertoire des faits, un exposé, très au courant, de tous les problèmes relatifs aux civilisations préhistoriques de l’Italie. Il est à souhaiter qu’un second volume nous donne prochainement une esquisse aussi sûre et aussi méthodique de l’âge du fer dans la Péninsule.

A[lbert] G[renier]

(1) Le premier âge du fer dans l’Italie méridionale, in Papers of the British School at Rome, IV, p. 285 sqq. ; La civilisation égéenne primitive en ltalie, in Annual of the British School at Athens, XIII, p. 405 sqq.

(2) Paris, Alcan, 1907.