Guignebert, Ch.: La Primauté de Pierre et la venue de Pierre à Rome. Étude critique. In-8, xiv-391 p.
(Paris, Émile Nourry 1909)
Compte rendu par Seymour De Ricci, Revue Archéologique t. 15 (4e série), 1910-1, p. 449-452
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Ch. Guignebert. La Primauté de Pierre et la venue de Pierre à Rome. Étude critique. Paris, Émile Nourry, 1909. In-8, xiv-391 p. Prix : 6 fr.


Comme l’indique son titre, le livre de M. Guignebert s’adresse avant tout aux théologiens et aux historiens de l’Église primitive. L’archéologie y occupe cependant une place assez importante ; c’est cet aspect seul de la question que nous voulons ici envisager. M. Marucchi a consacré jadis tout un petit volume à l’énumération des souvenirs matériels laissés à Rome par saint Pierre et par saint Paul. Sans nous attarder à rechercher avec lui la maison où séjourna, la chapelle souterraine où prêcha le Prince des Apôtres, lieux dont une tradition plus pieuse que scientifiquement exacte nous a seule révélé l’emplacement, nous concentrerons notre attention sur la sépulture de saint Pierre, comme sur le témoin le plus authentique de son séjour possible dans la Ville éternelle.

        Si nous en croyons la version officielle, l’apôtre aurait trouvé la mort, sous le règne de Néron, dans un cirque dont l’épine était sensiblement parallèle au grand axe de la basilique de Saint-Pierre. L’emplacement exact de celle épine était attesté jusqu’en 1586 par la persistance d’un superbe obélisque, resté debout pendant tout le moyen-âge. C’est celui qui figure aujourd’hui devant la basilique ; mais une dalle carrée encastrée dans le sol près de la sacristie de Saint-­Pierre, en marque l’emplacement antérieur. Ce cirque se trouvait donc un peu à l’ouest de la basilique; il était borné à l’est par la Via Cornélia, dont on a reconnu les traces sous l’église moderne qu’elle traversait parallèlement à son grand axe et à quelques mètres à peine à la gauche de ce dernier.

        Conformément à l’habitude qui plaçait la sépulture de la victime le plus près possible du lieu de son martyre, saint Pierre fut enterré, dit-on, vis à vis du cirque, de l’autre côté de la route, et sans doute dans une propriété privée. Toute cette région était d’ailleurs remplie de tombeaux, comme le prouve un passage de Lampride, suivant lequel Elagabale dut détruire des tombeaux, vers 220, pour agrandir le cirque (dirutis sepulchris quae obsistebant).

        C’est vers celle époque, au plus tard en 258, qu’on aurait transféré le corps de saint Pierre sur la voie Appienne au lieu dit ad catacumbas ou Platonia, dans la catacombe de Saint-Sébastien ; avant la fin du IIIe siècle on aurait ramené le corps au Vatican où il se trouverait encore aujourd’hui.

        La vénération des fidèles entoure l’emplacement présumé de la sépulture de l’apôtre de barrières qu’il n’est pas aisé de franchir. Voici pourtant ce qu’a pu constater sur place le P. Grisar, dont j’ai pu contrôler en partie les affirmations en 1900, grâce aux facilités exceptionnelles accordées aux membres du Congrès d’archéologie chrétienne. Le tombeau de saint Pierre est recouvert à l’heure actuelle par un massif assez considérable de maçonnerie, limité au sud par la paroi rectiligne d’une grande crypte, au nord par un étroit couloir semi-circulaire.

        Au centre de ce fer à cheval, vis à vis d’une statue de Pie VI, s’ouvre une petite chambre oblongue richement décorée de mosaïques du XIIIe et du XVIIe siècles. Le sol de cette chambre fut recouvert, sous Innocent X, de plaques de bronze doré représentant une croix, une tiare, etc. La plaque qui forme une des branches latérales de la croix est mobile ; elle recouvre une cavité étroite et profonde en forme de puits. Le P. Grisar a constaté qu’à une profondeur de 35 centimètres, ce trou perfore une dalle de marbre et pénètre dans une chambre inférieure presque entièrement remplie de débris de maçonnerie. Il y a un peu plus de trois siècles, lors de la construction de la basilique actuelle, un éboulement laissa entrevoir dans cette chambre un escalier y accédant et même, à ce que l’on assure, la croix d’or placée par Constantin sur le sarcophage de Saint-Pierre. Clément VIII se rendit sur les lieux en compagnie du cardinal Bellarmin. Craignant, après tant de siècles, de ne trouver qu’un cercueil vide, il fit combler l’orifice en y jetant des matériaux. Cet escalier aurait abouti d’autre part dans une petite chapelle dite du Salvatorino, tout à fait à l’ouest du fer à cheval. Au cours de ces dernières années, il a été plus d’une fois question de déblayer cet escalier, dont l’entrée aurait été murée en 846, lors d’une attaque de pirates normands.

        Tant que le tombeau lui-même n’aura pu être examiné, il est oiseux d’en discuter l’âge ; s’il est certain que le corps du saint fut transporté, vers l’un 300, de la Platonia au Vatican, un certain nombre de critiques, y compris M. Guignebert, se demandent s’il fut jamais, vers 260, transféré du Vatican à la Platonia et si cette dernière n’aurait pas été la tombe originelle de l’Apôtre. Les textes sont peu clairs, ils sont même contradictoires ; il nous parait cependant bien manifeste qu’ils placent en 258 la déposition du corps à la Platonia. Où se serait-il trouvé auparavant, sinon au Vatican?

        Du lieu de sépulture des premiers papes il y a peu de chose à tirer ; nous savons par leurs épitaphes que les papes du IIIe siècle furent enterrés sur la Voie Appienne. De ce que nous ignorons où l’on ensevelit ceux du ler et du IIe, il serait téméraire de conclure qu’ils furent enterrés ailleurs. Il existe, à vrai dire, une indication curieuse sur le tombeau de Linus, successeur de saint Pierre. M. Guignebert cite, d’après M. Marucchi, « une inscription avec le nom de LINVS qui devait être, au jugement de M. De Rossi, celle du pape Saint—Lin » M. Guignebert ajoute pour tout commentaire : « Les jugements de M. De Rossi ont souvent besoin d’être révisés. » Si M. Guignebert s’était reporté aux lnscriptiones Christianae (1) de l’illustre explorateur des Catacombes, il aurait vu qu’en l’espèce son jugement n’avait besoin d’aucune révision. De Rossi a retrouvé, en effet, dans le livre manuscrit de Turrigius sur la Basilique Vaticane, le récit exact d’un témoin oculaire, racontant comment, en 1615, on découvrit au pied de la confession une plaque de marbre, recouvrant un sarcophage et portant, outre le nom LINVS, des mots illisibles. Comme le fait justement observer De Rossi, avec une prudence à laquelle M. Guignebert rendra certainement hommage, il ne s’agissait peut-être que d’une inscription païenne où figurait un anul LINVS, un catul LINVS ou un aqui LINVS ; mais il est aussi possible que ce fût l’épitaphe de saint Lin. Parmi tant de Papes ensevelis au Vatican, saint Lin et saint Xyste, en effet, sont les deux seuls dont on ait distribué au Moyen-âge des reliques ; le fait est attesté, pour l’année 822, par Raban Maur. C’est précisément l’époque où Pascal I élevait un autel à Xyste II, à l’endroit même où, huit siècles plus tard, Turrigius crut retrouver le sarcophage de Linus. N’y a-t-il pas là autre chose qu’une simple coïncidence? Et si, au IXe siècle, on croyait posséder au Vatican les sépultures de ces deux papes des premiers âges, cette croyance ne reposait-elle pas sur une

tradition respectable?

        Si saint Pierre fut martyrisé à Rome, sous le règne de Néron, ainsi que l’affirme l’Église romaine, son tombeau ne pouvait guère se trouver ailleurs que là où le place la tradition ; si cette tradition est erronée, s’il y a eu fraude pieuse, elle a été si habile et si opportune qu’aucune trace suspecte n’en a subsisté. Pour l’archéologue, rien d’invraisemblable dans la croyance officielle de l’Église ; la parole est aux historiens ; c’est à eux seuls de trancher la question.

                                                       S[eymour] de R[icci]

(1) Inscr. Christ. Urbis Romae, t. II, p. 237.