Bell, Gertrude Lowthian: Amurath to Amurath. In-8° de 370 p. avec 1 carte et 232 gravures.
(Londres, Heinemann 1911)
Compte rendu par Henri Viollet, Revue Archéologique t. 17 (4e série), 1911-1, p. 367-368
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Gertrude Lowthian Bell. Amurath to Amurath. Londres, Heinemann, 1911. In-8° de 370 p. avec 1 carte et 232 gravures.


        La Babylonie, l’Assyrie, l’Arménie et la Cappadoce, tout cet Orient moyen, si plein de souvenirs de tous les âges, n’avaient jusqu’à ce jour attiré que les assyriologues et les amis de l’antiquité classique. Quelques archéologues poursuivent avec succès depuis quelques années l’étude des monuments de civilisations plus récentes, vestiges chrétiens et ruines musulmanes. Miss Bell, une intrépide voyageuse qui a le courage de s’aventurer seule dans des déserts où règnent en maîtres les nomades, nous raconte dans « Amurath to Amurath », le magnifique voyage qu’elle accomplit au printemps de 1909 en Turquie, au moment de la révolution et de la déposition d’Abdul-Hamid.

        L’auteur a vécu une page d’histoire et elle nous la fait revivre à nous-mêmes dans un récit alerte, coupé de nombreux dialogues d’indigènes, qui sont le commentaire des nouvelles sensationnelles qui arrivent de Stamboul ; c’est tou­jours le même thème : justice et liberté. Miss Bell a bien analysé l’état d’esprit de ces populations arabes, kurdes, arméniennes, qui, en face de ces innovations, restent sceptiques, comme des gens habitués depuis trop longtemps aux exactions et aux spoliations. Elle se réjouit de la pénétration en Orient des idées modernes d’ordre et de liberté et dédie son ouvrage à Lord Cromer, ce grand rénovateur de l’Égypte.

        Mais Miss Bell est avant tout archéologue. Partie d’Alep avec sa caravane, elle remonte au Nord, traverse l’Euphrate à Tel-Ahmar (1) pour longer la rive gauche de ce fleuve vers le Sud jusqu’à Anah. Aucun voyageur n’avait encore suivi cet itinéraire. Elle fut la première à visiter les ruines de la Kal’ah Jab’ar, dont elle attribue ce qui reste à Nur-ed-din. Elle découvrit près de là une chambre mortuaire souterraine, tout à fait semblable à celles que j’ai signalées près d’Alep à Voudehi et Aboudouhour. Elle passe à Rakkah, à Zelebiyeh, à Rawa et traverse l’Euphrate à nouveau à Anah pour revenir sur la rive droite qu’elle va suivre jusqu’à Hit[.]

        Dans ce parcours, quelques ruines intéressantes que je ferai prochainement connaître n’ont pas attiré son attention (2).

        De Hit, malgré des renseignements bien imprécis sur la route, elle quitte le fleuve, pour s’enfoncer courageusement dans l’intérieur vers Kerbéla ; après quelques jours de marche elle arrive au beau palais d’Ukheïder, qu’elle décrit avec beaucoup de précision, après en avoir fait un relevé minutieux (3).

        Une controverse s’est élevée au sujet de la date de ce spécimen d’art sassanide, qu’on a cru être du dernier quart du VIe siècle. J’ai été assez heureux l’été dernier pour mettre à jour un mihrab sur la face sud d’une salle de ce palais, que Miss Bell supposait à juste titre être une mosquée. Il faut donc placer ce monument dans la première période des temps islamiques.

        D’Ukeïder Miss Bell remonte à Babylone, Séleucie, Ctésiphon, Bagdad.

Après un court séjour dans cette ville, elle repart pour le Nord et s’arrête à Samara. Dans cette région, Miss Bell signale le beau khan de Khanina, dont le mihrab n’est pas en stuc mais en briques estampées, matériaux généralement employés dans les monuments arabes du XIIIe siècle en Mésopotamie.

        A partir de Mossoul, les ruines les plus fréquentes sont celles des édifices religieux des premiers siècles de notre ère.

        Après une courte visite chez les Yezidis, notre voyageuse parcourt tous les villages chrétiens de la plaine de Mossoul ; puis, après Jézireh, où elle passe le Tigre, elle s’attarde longuement dans le Tur-Abdîn. Miss Bell y visite tour à tour tous les anciens couvents jacobites ou nestoriens qui couvrent ce massif pierreux el désolé ; pas un cours d’eau ne coule dans les vallées, ravins desséchés où les habitants recueillent pieusement l’eau du ciel dans des citernes.

        Ces monuments forment un groupe de ruines des plus précieux pour l’archéologie ; on les ignorait presque complètement jusqu’à ce jour. Miss Bell n’en donne ici qu’un aperçu très succinct, qu’elle a développé dans une belle étude qui forme un des chapitres de l’ouvrage « Amida » de M. M. van Berchem et Strzygowski et dans un autre ouvrage écrit en collaboration avec Sir W. Ram­say et intitulé « The Thousand and One churches ».

        Je rapporte d’un récent séjour dans le Tur-Abdîn quelques documents qui complètent fort heureusement les recherches de Miss Bell.

        Elle poursuit son voyage par Diarbekir, Kharput et le Nord où la moisson est moins fructueuse ; enfin elle rentre à Constantinople par le chemin de fer de Bagdad qu’elle prend à Ergli.

        Voilà un magnifique voyage d’exploration qui suppose une vaillance et une endurance peu communes. On est surtout frappé du soin avec lequel Miss Bell, malgré des privations de toute nature, la fatigue du cheval, la chaleur accablante, étudie chaque point important, fait le relevé exact de chaque ruine.

                                                                       Henri Viollet

 

(1) Je conserve sa transcription des noms propres.

(2) P. 111, Miss Bell donne un tableau comparé (très utile pour l’identification des lieux) des différentes étapes des géographes qui ont décrit ces régions ; Héro­dote, Xénophon, Pline, Ptolémée, etc.

(3) Elle n’apprit qu’à son retour que M. L. Massignon l’avait visité au printemps de 1907 et qu’il avait publié à ce sujet une petite étude.