Hourticq, Louis: Histoire générale de l’Art : France. In-12, xvi-476 p., 943 fig. et planches en couleurs hors texte (série Ars una).
(Paris, Hachette 1911)
Compte rendu par Seymour de Ricci, Revue Archéologique t. 18 (4e série), 1911-2, p. 203-205
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Louis Hourticq. Histoire générale de l’Art : France. Paris, Hachette, 1911. In-12, xvi-476 p., 943 fig. et planches en couleurs hors texte (série Ars una).


       Ce n’est pas une petite tâche que d’écrire en quatre cent soixante pages toute l’histoire de l’art français. M. Louis Hourticq a d’autant plus de mérite à l’avoir accomplie, qu’il a été le premier à l’entreprendre. Si invraisemblable que cela puisse paraitre, il n’existait pas encore une histoire de l’art français ! M. Hourticq, qui le sait bien, s’est demandé dans sa préface les raisons de cette lacune ; il a trouvé sans peine la principale. Si nous possédons vingt histoires de la littérature française, c’est que cette matière occupe une place dans tous les programmes scolaires et universitaires ; l’histoire de l’art n’y figurant pas, le besoin de manuels ne s’est pas fait sentir. Aussi, comme le dit très justement M. Hourticq, « jamais l’art de notre pays n’a été exposé dans son ensemble sauf dans les traités sur l’art universel, où les chapitres français défilent en leur lieu et place, sauf dans les histoires générales de la France, où l’on voit passer des noms d’artistes, en fin de volume, comme des bagages à la queue d’un convoi ».

       Avec un éclectisme dont il faut lui savoir gré, M. Hourticq n’a point considéré que la peinture fût l’art tout entier ; il a réservé une large place à d’autres arts et notamment à l’architecture et à la sculpture. On voudrait pouvoir dire que les arts mineurs sont aussi équitablement traités. A première vue, en parcourant les illustrations, on pourrait croire qu’il en est ainsi ; mais, à la lecture du livre, on s’aperçoit que trop souvent ces images ne sont que des ornements typographiques et l’on cherche vainement le texte qui devrait y correspondre. Rien de mieux assurément que de reproduire un bureau d’Oeben, une pendule de Caffieri, un candélabre et un lustre de style Louis XV, une porcelaine de Sèvres et une soupière ciselée par Germain. Encore faudrait-il que le texte – et cela n’était pas impossible dans un volume de 460 pages – commentât ces figures, et mieux que par une brève allusion. Sans doute, l’on ne peut pas tout dire ; mais ne faut-il pas dans une histoire générale de l’art français réserver une place – et même une bonne place – à la céramique, à l’émaillerie, à l’orfèvrerie et même au mobilier ? Est-il admissible que l’on ne trouve à l’index du livre de M. Hourticq ni le nom de Bérain, ni celui de Germain, ni celui de Riesener ? Croirait-on que celui de Gouthières (p. 298) ne figure que dans cette phrase invraisemblable : « Les ciselures de Gouthières sont les chefs-d’œuvre de la rocaille ». M. Hourticq, avant de qualifier ainsi le représentant le plus classique du style Louis XVI, a-t-il feuilleté les ouvrages d’Émile Molinier ?

       De parti pris, l’auteur semble ne vouloir étudier les artistes qu’à travers leurs œuvres ; aussi néglige-t-il d’une façon presque absolue de nous retracer leur biographie. Quels que soient les mérites de cette méthode, c’est la pousser un peu loin que d’omettre, dans le paragraphe relatif à Fragonard, la moindre allusion à son célèbre voyage en Italie, et, dans celui où il est question de Boucher, de ne pas prononcer le nom de Mme de Pompadour. S’il est vrai qu’une œuvre d’art soit l’interprétation de la nature par le tempérament individuel de chaque artiste, ne devons-nous pas chercher à connaître ce tempérament en le replaçant dans le milieu dont il a subi l’influence et en le suivant à travers ses évolutions ?

       Le livre de M. Hourticq se lit avec plaisir, car ce n’est pas une compilation. L’auteur ne parle que des choses qu’il connaît ; il en connaît beaucoup et il en parle bien. Il nous donne partout et sur tout non le jugement des autres, mais ses propres impressions, et l’excellente illustration qui commente à chaque page le texte nous permet de contrôler les appréciations de l’auteur. Pourquoi faut-il que le style de M. Hourticq se prête parfois si mal à l’expression de sa pensée ? Veut-il définir l’influence de Rubens sur Watteau : [« ]De la matière flamande, laiteuse et sanguine, il a extrait un élixir subtil et dépouillé des odeurs brutales de la réalité. Inventé par des naturalistes exubérants, ce langage (sic) va maintenant décrire une société raffinée dans ce qu’elle a de plus factice, le monde des salons, et celui des théâtres. Watteau a travaillé chez des décorateurs d’opéra, et ses rêveries les plus tendres paraissent évoquées par un gracieux menuet de féerie ». Combien plus alerte et plus expressive cette phrase des Goncourt : « Rubens, qui revit dans cette palette de chairs roses et blondes, erre dépaysé dans ces fêtes où se tait l’émeute des sens, caprices animés qui semblent attendre un coup de baguette pour perdre leur corps et disparaître dans la patrie du caprice, comme un songe d’une nuit d’été ».

       L’illustration, d’une extraordinaire richesse, ne compte pas moins de 943 fig., plus des hors-texte en couleurs. Il ne serait pas bien difficile de chercher quelques chicanes à M. Hourticq sur le choix de ses images ; mais ce serait injuste, car peut-être n’a-t-il pas été le seul maître de ce choix. Toutefois, quand on ne reproduit que quatre Fragonard, il semble excessif de donner jusqu’à quatorze Ingres ; quand on publie sept Corot, on peut bien en choisir un avec des personnages de grande dimension ; enfin, et bien qu’on ne puisse jamais être complet, ne regrettera-t-on pas de voir manquer à l’appel deux peintures bien différentes, mais également célèbres : l’Olympia de Manet et le Portrait de Molière du Musée Condé ?

       Les bibliographies qui terminent chaque chapitre rendront d’inappréciables services, non seulement au grand public, mais aussi aux chercheurs. On y relèverait sans peine quelques omissions : la Gallia de M. Jullian n’est pas citée dans le chapitre sur la Gaule romaine et l’Œuvre de Limoges de Rupin semble également manquer. On se demande, du reste, si M. Hourticq a toujours contrôlé ses indications ; par exemple (p. 304), il suit l’Apollo de M. S. Reinach en attribuant à 1899 le Fragonard du baron Portalis, paru en réalité dix ans plus tôt (1).

Seymour de Ricci

 

(1) La typographie laisse parfois à désirer : p. 4, ligne 17, lire chapiteaux ; p. xvi, lire R. Dumesnil ; même page, le Dictionnaire du mobilier de Viollet-le-Duc n’est pas en 4 volumes ; p. 214 lire Bonnaffé ; pl. à la p. 268, lire Baglione ; fig. 529 ne pas lire « Les auteurs de la Comédie italienne », etc.