Grenier, Albert: Bologne villanovienne et étrusque, VIIIe-IVe siècles avant notre ère. Bibliothèque des écoles françaises d’Athènes et de Rome, fascicule 106. In-8°, 540 p., 150 gravures et 4 pl.
(Paris, Fontemoing 1912)
Compte rendu par Joseph Déchelette, Revue Archéologique t. 21 (4e série), 1913-1, p. 128-131
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Albert Grenier. Bologne villanovienne et étrusque, VIIIe-IVe siècles avant notre ère. Bibliothèque des écoles françaises d’Athènes et de Rome, fascicule 106. Paris, Fontemoing, 1912. In-8°, 540 p., 150 gravures et 4 pl.


 

  L’importance des découvertes faites à Bologne à partir du milieu du XIXe siècle assigne à cette ville une place exceptionnelle dans l’archéologie protohistorique de la Péninsule. Ses fondi di capanne et ses vastes nécropoles qui s’échelonnent chronologiquement du début du premier millénaire avant notre ère aux époques gauloise et romaine ont fait l’objet de publications nombreuses. Brizio et Zannoni leur ont consacré d’importants mémoires ou de copieuses monographies. M. Montelius en a précisé la chronologie et plus récemment M. Modestov a exposé brièvement les diverses théories émises au sujet de ces trouvailles par les maîtres de la palethnologie italienne.

  Il nous manquait néanmoins un ouvrage de synthèse critique cordonnant avec les développements nécessaires et au double point de vue historique et archéologique tant d’informations éparses sur la Bologne primitive. Le livre de M. Grenier vient fort à propos combler cette lacune et fait honneur à l’École française de Rome dont il enrichit la Bibliothèque. M. Grenier se place tout à la fois en présence des textes et des monuments. Son plan est limité à l’étude des époques villanovienne (premier âge du fer) et étrusque. Il s’est proposé « d’établir dans ce travail, que les Étrusques ne sont parvenus dans la plaine du Pô que vers la fin du VIe siècle avant notre ère, qu’ils y arrivèrent de l’Italie centrale et s’y établirent au détriment d’une population plus ancienne et d’origine différente... A cette population conquise vers l’an 525 av. notre ère on doit appliquer l’ethnique d’Ombriens ».  

  A lire ce début de la préface, on pourrait croire que les conclusions de l’auteur n’apporteront pas de vues bien nouvelles sur l’archéologie bolonaise, car elles s’accordent dans l’ensemble avec la doctrine de Brizio ou, pour mieux dire, avec l’interprétation classique de ces trouvailles. Mais la lecture du volume permet de constater que sur bien des points M. Grenier a été amené à se séparer de ses devanciers et à formuler des conclusions personnelles.

  Le livre débute par un exposé historique et topographique et comprend trois parties : la ville, les nécropoles, les industries et l’art. Dans chacune de ces subdivisions les époques villanovienne et étrusque sont successivement étudiées.

  La première partie ne consiste pas en une sèche description des fonds de cabanes, d’après la publication de Zannoni. L’auteur a tenté de reconstituer la Bologne du premier âge du fer en s’aidant de toutes les indications littéraires et archéologiques relatives à la fondation et à l’organisation des villes primitives dans les pays grecs, le Latium et l’Étrurie. Quelques-unes des conclusions déduites des consciencieux relevés de Zannoni ne laissent pas de paraître étranges, malgré les explications de M. Grenier. C’est d’abord l’étendue si considérable de la ville villanovienne : deux ou trois cents hectares ! superficie bien anormale pour une époque aussi reculée. On peut se demander si l’agglomération ne s’est pas déplacée à diverses reprises. Non moins surprenante est l’absence de toute enceinte. Les bourgades du premier âge du fer paraissent avoir été invariablement fortifiées. On allègue que Bologne aurait été occupée par une population agricole et pacifique. Raison de plus pour que ses habitants aient eu la précaution, en pays de plaine, de se retrancher derrière un rempart. Le mur pouvait être en terre et en bois et n’avoir pas laissé de vestige apparent.

  Contrairement à ce qu’on a souvent répété, on ne trouve pas dans le plan de la Bologne villanovienne, observe M. Grenier, les traces précises d’une orientation systématique ; la présence d’un decumanus et d’un cardo embryonnaires semble fort douteuse. Rien ne justifierait l’hypothèse qui fait de cette cité « l’une des étapes des peuples des terramares dans sa marche supposée de la vallée du Pô vers le centre et le sud de la Péninsule ». Au surplus, M. Grenier, qui n’accepte pas sans les contrôler les vues de M. Pigorini et de son école, non plus que le système de M. Helbig, formule des réserves même à l’égard de l’orientation des terramares.

  Néanmoins la cité des fonds de cabanes révèle un plan raisonné et semble bien être l’œuvre méthodique d’un fondateur. Les huttes bolonaises, encore un peu enfoncées dans le sol, présentent des formes irrégulières et variées, mais quelques-unes appartiennent à un type d’habitation primitive déjà évolué : l’une d’elles répond au plan du megaron grec. Leur étude donne à l’auteur l’occasion de passer en revue les urnes-cabanes de la Toscane et du Latium.

  M. Grenier ne fait pas remonter au delà du VIIIe siècle les plus anciennes habitations ou sépultures de Bologne villanovienne. Ses évaluations sont loin de s’accorder, comme on voit, avec celles de Montelius qui place vers l’an  1100 les débuts de Benacci I. Que les chiffres proposés par le maître de la chronologie protohistorique puissent paraitre un peu élevés, de nombreux archéologues au nord et au sud des Alpes inclinent à l’admettre ; mais M. Grenier semble aller trop loin dans cette réaction. Il n’a d’ailleurs pas approfondi la discussion du problème. Je me bornerai ici à une simple observation. Les VIIe et VIe siècles représentent au sud de l’Apennin une période d’influences gréco-­ioniennes orientalisantes. Antérieurement se placent deux phases appartenant à la période géométrique, phases dont la première (le proto-étrusque I de M. Montelius) est à peu près synchronique avec Benacci I. Or, il parait impossible qu’en l’espace d’un siècle la civilisation proto-étrusque ait parcouru les deux stades « géométriques » de son développement. Il faut donc, je crois, maintenir à une date assez voisine de l’an 1000 les débuts de la Bologne villanovienne.

  Si les fonds de cabanes de cette période y abondent, les habitations de l’époque étrusque correspondant aux sépultures de la Certosa y font à peu près défaut. M. Grenier, pour combler cette lacune, consacre une étude fort intéressante à la petite cité de Marzabotto, « Pompéi étrusque », voisine de Bologne et occupée « de la fin du VIe siècle au début du IVe ». Quant à la Felsina tyrrhénienne, elle serait peut-être à chercher sur les hauteurs avoisinant immédiatement la ville actuelle.

  M. Grenier insiste beaucoup plus sur la chronologie des tombes étrusques, en s’aidant de la publication que prépare M. Pellegrini sur les vases peints de Bologne. D’après le témoignage des vases attiques, l’occupation de cette ville par les Etrusques se place entre la fin du VIe siècle et l’an 350. Felsina aurait donc résisté pendant un demi-siècle à l’invasion gauloise. Ces dates sont, on le voit, un peu plus basses qu’on ne l’admettait communément.

  Je ne puis analyser en détail la troisième partie du volume relative à l’art et à l’industrie. M. Grenier s’attache aux types d’objets les plus intéressants, poteries, bronzes, parures, etc. Voici du moins quelques observations que m’a suggérées la lecture fort instructive de ces chapitres.

  Origine de l’ambre. M. Grenier est entièrement fondé à admettre que cette substance était importée de la Baltique : l’ambre ligure n’est qu’un mythe au sens propre du mot, mais pourquoi supposer que jusqu’à la fin du VIe siècle l’ambre baltique ait pénétré en Italie par l’intermédiaire de l’Orient ? La voie commerciale du Samland à l’Adriatique, celle que suivaient d’après Hérodote les présents des Hyperboréens à l’île de Délos est, à coup sûr, beaucoup plus ancienne. Elle est parfaitement jalonnée par des trouvailles hallstattiennes d’objets d’ambre.

  Cistes à cordons. Je crois invraisemblable que les gens de Cumes et de l’Italie du sud aient eu jamais recours aux produits de la chaudronnerie bolonaise. Cette industrie de la fabrication des vases en bronze, d’origine chalcidienne, a toujours été trop florissante chez les Grecs de Campanie pour qu’ils aient été parfois réduits au rôle d’importateurs.

  Situles historiées. M. Grenier les a longuement étudiées. Selon lui, elles auraient été fabriquées tout d’abord en Étrurie, puis à Felsina, plus tard enfin dans les régions vénètes et alpestres : ces hypothèses se heurtent à des difficultés insurmontables. M. Grenier place au début du Ve siècle les plus anciennes situles bolonaises. Il doit donc logiquement reporter à une date plus basse celles du territoire vénète et tenir pour plus récentes encore celles des pays alpestres. Or, il n’est pas contestable que parmi ces dernières, plusieurs sont antérieures à l’époque de La Tène et datent du VIe siècle.

  M. Grenier, parfaitement familiarisé avec l’archéologie étrusque, aurait dû accorder plus d’attention à celle des pays barbares ou semi-barbares situés au nord du Pô ou même au nord des Alpes. Il aurait reconnu que les influences helléniques n’ont pas eu à cheminer par le territoire tyrrhénien pour pénétrer en Vénétie et en Norique. Il aurait vu combien le texte d’Hérodote sur le commerce des Phocéens au nord de l’Adriatique est confirmé par les faits archéologiques. Qu’il me suffise de rappeler les curieuses sculptures de Nesactium en Istrie et les vases céramiques d’Oedenburg sur les confins de la Hongrie et de la Styrie, vases appartenant au vieil hallstattien et sur lesquels apparaissent déjà, dans un style des plus primitifs, quelques-uns des motifs des situles vénètes, le combat du ceste par exemple. A coup sûr, il est facile de retrouver sur le sol tyrrhénien, à défaut des situles du type vénète, quelques-uns de leurs thèmes décoratifs. Mais cela s’explique tout naturellement par ce fait qu’Etrusques et Vénètes ont puisé à une source commune, au répertoire ionien.

  Les situles de Trezzo et de Klein-Glein, auxquelles il faut ajouter celle de Sesto-Calende, ne sont nullement, comme le pense M. Grenier, des représentations dégénérées de l’art des situles figurées ; elles constituent au contraire un groupe archaïque qui se distingue tout à la fois par le style, par la technique et aussi par la date de fabrication. Elles se placent chronologiquement à l’époque géométrique (VIIIe siècle), bien avant les produits de style vénéto-ionien (voir mon Manuel, t. II, 2, p. 763[)].

  Le dernier chapitre de la troisième partie, relatif aux pierres sculptées et aux stèles funéraires abonde en observations intéressantes. M. Grenier établit que le célèbre bloc sculpté, la « pierre aux bouquetins », si souvent rapprochée de celle qui surmonte la Porte aux Lions de Mycènes, ne saurait avoir eu à Bologne la même destination.

  Ces réserves de détail ne m’empêchent nullement de souscrire à l’ensemble des conclusions par lesquelles se termine l’important ouvrage de M. Grenier. Sur le terrain ethnographique, tout en confrontant textes et monuments, il se montre plus prudent que la plupart des représentants de la palethnologie italienne. Il sait combien il est dangereux pour un archéologue, surtout quand il s’agit des temps très reculés, de vouloir trop se hausser au rôle d’historien. Avec Brizio, M. Grenier reconnaît que la Bologne villanovienne doit être une cité ombrienne, mais il ne prétend pas suivre à la piste cette nation, en répérant [sic] simplement sur la carte d’Italie les trouvailles villanoviennes. Le temps semble passé où les problèmes de nationalité se résolvaient dans le domaine de ces recherches par des formules simples et exclusives. La culture de Hallstatt, par exemple, était celtique pour les uns, illyrienne pour d’autres. On sait maintenant qu’elle est à la fois celtique, illyrienne et plus encore.

  Dans certaines conditions seulement, quand, par exemple, une conquête territoriale vient rapprocher brusquement des peuples de culture très inégale, l’archéologie peut compléter avec quelque sûreté les indications littéraires en ce qui concerne les distinctions ethniques. La partie de l’ouvrage de M. Grenier concernant l’occupation de Felsina par les Etrusques montre précisément l’heureux parti qu’on peut alors tirer de ses enseignements.

  Ce livre qui se recommande autant par la variété des questions étudiées que par l’érudition consciencieuse et étendue de l’auteur est appelé à rendre les plus grands services. C’est un guide précieux pour l’étude si complexe de la civilisation primitive en Italie.

  Je dois ajouter que pour en suivre les développements, il faut souvent s’aider des planches de M. Montelius. Par la faute de l’imprimeur, quelques-uns des clichés tirés dans le texte (fig. 24, etc.) sont absolument inintelligibles : serait-ce l’application du « cubisme » à l’illustration archéologique ?

Joseph Déchelette