Bréhier, L.: Études sur l’histoire de la sculpture byzantine (Extrait des Archives des Missions). In-8°, 92 p., 23 pl.
(Paris, Imprimerie Nationale 1911)
Compte rendu par Adolphe Reinach, Revue Archéologique t. 21 (4e série), 1913-1, p. 138-139
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L. Bréhier. Études sur l’histoire de la sculpture byzantine. (Extrait des Archives des Missions.) Paris, Imprimerie Nationale, 1911. In-8°, 92 p., 23 pl.


Ces études sont, en partie, le résultat d’un voyage fait par M. B. en 1910 à Constantinople et en Grèce. Il a pu y étudier de près et photographier beaucoup de pièces éparses de la sculpture décorative byzantine. Il nous les présente, avec sa clarté et sa netteté ordinaires, groupés en six chapitres selon la technique à laquelle elles se rattachent. I. En ronde-bosse et demi-relief, les pièces les plus typiques sont ces chapiteaux dont les protomés d’animaux ou des figures humaines forment les angles (béliers, aigles, griffons, chérubins) ou, plus rarement, occupent les faces (aigles, saints militaires, la Vierge à l’Enfant ; le chapiteau en granit gris de Ravenne qui montre la Madone sur une face est certainement une œuvre égyptienne du VIe s.) (1). Ces chapiteaux représentent, dans l’art byzantin, une part de la tradition hellénistique ; à la suite de la querelle des Images et grâce à la vogue de la sculpture au trépan, ils disparaissent en Orient tandis qu’ils se développent en Occident. II. Cette sculpture au trépan, qui rouille et déchiquette la pierre, triomphe dès le Ve s. dans les chapiteaux dits théodosiens avec leurs feuilles d’acanthes agitées, par le vent. (M. B. aurait dû faire état des beaux spécimens qu’en fournit l’Eski Djouma de Salonique). III. En s’exagérant, ce système donne naissance à une véritable sculpture-broderie. La pierre est traitée comme une étoffe et les entrelacs et rinceaux semblent bien imités des broderies ainsi que les végétaux stylisés qui s’y mêlent (pour l’origine de ceux-ci, il y aurait lieu peut-être de comparer la curieuse ornementation des ossuaires juifs de l’époque hellénistique). C’est par des étoffes arabes que les sculpteurs, à Athènes comme au Puy, ont connu les inscriptions coufiques dont ils se sont inspirés pour les ornements ; c’est de la passementerie que dérivent les tresses et les rubans d’entrelacs, souvent ajourés comme les corbeilles avec lesquelles ils sont combinés. IV. En détachant entièrement de la pierre les motifs d’ornement on arrive à la sculpture à jour. Elle triomphe au Ve s. dans les dentelles des tympans de Sainte-Sophie avec ses chapitaux canistriformes (2) et cratériformes, en pyramide renversée ou en coupe côtelée ; avec les deux éléments qui s’y mêlent de multiples façons, tresses et feuillages, ils se retrouvent dans les églises d’Italie et de France du XIIe s. V. Si l’on suppose ces motifs collés au fond sur lequel ils s’enlèvent, au lieu d’en être détachés, on obtient la sculpture en méplat. C’est celle qui est surtout employée pour toutes les parties, plates, portes, parapets, ambons, entablements, etc. Parmi les six catégories auxquelles on peut ramener leurs motifs d’ornement, décoration géométrique, symboles religieux, feuillages plus ou moins stylisés, faune plus ou moins fantastique (3), sujets mythologiques, iconographie chrétienne, M. B insiste avec raison sur les deux derniers : les motifs mythologiques ressortent à la tradition hellénistique, peut-être par survivance, peut-être aussi par une renaissance voulue à l’époque des empereurs iconoclastes. Sans doute est-ce par réaction, après le rétablissement des images en 842, que l’on voit les sujets bibliques (Adam et Eve, Jonas et la baleine, Daniel entre les lions) et évangéliques (Nativité, Cène) se répandre en Grèce au XIIe et XIIIe s. ; ce serait à tort que M. Strzygowski y a vu l’influence de la conquête latine.  VI. Quand le motif se détache sans relief propre sur le fond creusé, puis rempli d’un mastic sombre, c’est cette sculpture champlevée qui « peut être considérée comme l’aboutissement logique de la tendance qui poussait la sculpture orientale à renoncer au modelage pour lui substituer le contraste entre l’éclairage des motifs et celui du fond », la « Licht und Schatten Skulptur » de Strzygowski. Elle atteint tout son éclat au XIe s. à Daphni, à Saint-Luc en Phocide, à Saint-Marc de Venise. Sa vogue parait avoir commencé lors de la querelle des images, la sculpture champlevée étant la seule décoration plastique que connaisse l’art musulman. Car c’est alors, comme M. B. l’indique dans des pages de conclusion qui seraient à citer tout entières, que les influences orientales, sous la forme et par l’impulsion nouvelles que leur donne l’Islam, pénètrent cet art byzantin qui n’est lui-même, dès l’origine, qu’un compromis entre les traditions hellénistiques et les tendances orientales. De ces influences l’Occident a pu de bonne heure se dégager et, comme l’avaient fait jadis les Grecs, retrouver peu à peu la statuaire, pendant que la sculpture à Byzance se réduisait au rôle décoratif : « C’est cet attachement aux techniques décoratives qui donne son unité à l’histoire de la sculpture byzantine : on peut dire que, malgré ses origines hellénistiques, elle n’a jamais cessé d’être une dépendance, un prolongement en Europe du domaine de l’art oriental. »

A[dolphe] Reinach

 

(1) M. B. n’a pas tenu compte de l’importante étude consacrée à ces chapiteaux de Ravenne par Corrado Ricci (Ausonia, 1909), ni des curieux chapiteaux à personnages de l’église de l’Annonciation où M. de Lasteyrie reconnaît une influence romane (dans P. Viaud, Nazareth et ses deux églises, 1910 ; cf. J. des Savants, 1911, p. 437). On pourrait relever quelques autres oublis, surtout pour la Syrie et l’Egypte. Mais M. B. n’a pas prétendu être complet et l’on doit espérer qu’une nouvelle mission lui permettra de lier avec l’art byzantin de ces deux pays une connaissance aussi fructueuse que celle dont ses études témoignent avec Constantinople et la Grèce.

(2) Sur les chapiteaux canistriformes d’El Aksa à Jérusalem, voir Strzygowki, Der Islam, 1911, p. 80.

(3) M. B. a repris l’étude de la plaque d’iconostase du Théseion, publiée à la pl. VII des Xénia de l’Université d’Athènes, 1912 (cf. les nouvelles plaques d’ambons à sujets animaux de Thasos publiées par Makridy, Jahrbuch, XIX, p. 12).