Wolkoff-Mouromtzoff, A.: L’à peu près dans la critique et le vrai sens de l’imitation dans l’art. Gr. In-8, 508 p., avec nombreuses gravures.
(Bergame, Arti grafiche 1913)
Compte rendu par Salomon Reinach, Revue Archéologique t. 23 (4e série), 1914-1, p. 317-318
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A. Wolkoff-Mouromtzoff. L’à peu près dans la critique et le vrai sens de l’imitation dans l’art. Bergame, Arti grafiche, 1913. Gr. In-8, 508 p., avec nombreuses gravures.


La première qualité de ce livre est d’être divertissant. On le lit d’un bout à l’autre sans ennui, au contact — et même sous la férule — d’une personnalité vigoureuse, d’un ami des arts qui a beaucoup voyagé à travers les Musées et les livres sans abdiquer son jugement, sans s’incliner avec révérence devant les grands noms. Le but principal de l’auteur est de protester contre la critique subjective, impressionniste, qui se complaît à des métaphores, à des phrases brillantes, au lieu de se demander tout d’abord si l’auteur d’une œuvre d’art savait son métier, en particulier si un peintre célèbre, s’appelât-il Raphaël ou Ingres, dessinait correctement, si son exécution était à la hauteur de sa conception. « La beauté de l’œuvre, écrit M. W., dans les parties qui imitent les choses réelles, c’est-à-dire qui répondent au but immédiat de l’art, sera toujours appréciable d’une manière objective » (p. 359). On peut ne pas concéder ce principe. On peut dire du dessin correct ce que Pilate disait de la vérité : « Qu’est-ce que le dessin correct ? » Les libertés qu’un artiste a le droit de prendre avec la nature vulgaire, telle que la révèle la photographie, sont bien plus larges que ne paraît le penser M. W. Il est curieux de le voir écrire, à propos d’Ingres : « Les défauts de dessin que nous venons de signaler dans ses toiles sont si flagrants que de nos jours on les pardonnerait à peine à un simple élève (p. 373) ». Tandis que Taine, dans la fameuse Sainte Thérèse du Bernin, était surtout frappé du caractère érotique du groupe, M. W. écrit sévèrement (p. 323) : « Nous aurions préféré voir Taine remarquer les défauts sérieux du bras et de l’épaule, plutôt que de s’absorber dans la contemplation de ce sourire demi-complaisant, demi-malin. » Ainsi la critique objective consisterait surtout à noter des « fautes de dessin », alors pourtant qu’il y a quelque chose de très subjectif dans l’idée qu’on se fait de la correction des formes, parce que la nature, qui ne montre que des individus, laisse une singulière latitude à la fantaisie de l’artiste qui s’élève de l’individuel vers l’idée. L’infériorité des primitifs, suivant M. W. (p. 159), est due « au simple fait que les artistes dessinaient encore trop mal, c’est-à-dire que leur imitation, quoique fort minutieuse, n’était jamais ni assez vraie ni assez exacte dans la partie essentielle de l’œuvre » (p. 159). Et Jan Van Eyck, juste ciel ! (il n’est jamais question de ce dessinateur prodigieux, dont le nom manque à l’index). Cela dit, on lira avec plaisir et avec fruit les observations de M. W. à l’adresse des critiques qui se paient de mots et n’ont aucune connaissance personnelle des arts dont ils font l’histoire ; il y a là une réaction très légitime contre l’invasion de la littérature dans un domaine où elle sert à tout sans suffire à rien. On s’étonne pourtant qu’une réserve n’ait pas été faite en l’honneur de Fromentin, qui méritait d’être loué pour sa double compétence, alors que Müntz, Taine et beaucoup d’autres sont souvent pris à partie et non sans raison pour avoir parlé de ce qu’ils connaissaient mal (1).

S[alomon] R[einach]

 

(1) P. 119, ne pas écrire l’Aproximénos de Lysippe. — P. 33, il n’est pas exact que Michel-Ange ait peint nue la Vierge du Jugement dernier et qu’elle ait été habillée par Daniel de Volterre ; les plus anciennes copies prouvent le contraire. Jamais la Vierge n’a été figurée sans vêtement, sinon dans des esquisses, de simples études préliminaires.