Jullian, Camille: Histoire de la Gaule, tome IV. Le gouvernement de Rome. In-8, 622 p.
(Paris, Hachette 1913)
Compte rendu par Salomon Reinach, Revue Archéologique t. 24 (4e série), 1914-2, p. 161-162
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Camille Jullian. Histoire de la Gaule, tome IV. Le gouvernement de Rome. Paris, Hachette, 1914. In-8, 622 p. Prix : 10 francs.


 

Éclat, solidité, passion même — toutes les qualités qui rendent un livre aussi attrayant qu’instructif se trouvent réunies en ce quatrième volume. C’est du meilleur Jullian — du Fustel relevé d’une pointe de Michelet. L’extrême abondance des matériaux n’a produit nulle part embarras ou congestion, grâce à des divisions et subdivisions longuement méditées, suivies avec une logique rigoureuse. Le lecteur s’y meut à l’aise comme l’auteur ; il faut quelque réflexion pour se rendre compte des difficultés vaincues.

Parmi tant d’idées ingénieuses et justes, j’en relèverai une qui m’a particulièrement frappé (p. 147) : « On a l’impression que l’Empire romain, malgré sa majesté et sa force, représente un monde finissant, à court de souffle et d’au­dace ». Oui, la façade ne doit pas faire illusion. Ceux qui ont rêvé de l’éternité de l’Empire n’en ont pas vu les faiblesses. Ces faiblesses n’étaient pas seule­ment l’effet d’une politique capricieuse, chancelante, mais d’une décadence générale de l’énergie, de l’esprit d’invention, de l’initiative. M. Jullian est frappé de la prudence un peu timorée de Rome devant le monde germanique. « La Germanie, en contact sur 400 lieues avec l’énorme Empire, fut moins influencée par lui que la Gaule de Bituit ne l’avait été par la seule ville de Marseille ». La civilisation antique avait perdu sa force de rayonnement ; c’était bien la fatigue, signe non équivoque de la vieillesse. Quand on parle de quatre siècles de paix romaine, on exagère singulièrement. Les historiens permettent d’entrevoir les catastrophes de 276 (p. 599) ; mais un siècle auparavant, sous Marc Aurèle, nous devinons déjà un état voisin de l’anarchie. M. Jullian n’oublie pas de mentionner « une peste effroyable qui décima les provinces » (p. 478) ; cette calamité, sur laquelle nous sommes mal renseignés, semble avoir modifié pour longtemps l’aspect de l’Empire et, par les vides et les misères qu’elle créa partout, déchaîné des invasions, des mouvements tumultueux de prolé­taires. En Asie Mineure comme en Gaule (cf. Buresch, Klaros, p. 67), la civili­sation reçut un coup dont elle fut très lente à se relever, dont peut-être elle ne se releva jamais (1).

P. 32, M. Jullian n’admet pas mes conclusions sur l’arc d’Orange ; je ne puis, à mon tour, accepter ses objections. Pourquoi les Ligures appelés au secours de Marseille auraient-ils eu d’autres armes, un autre équipement que ceux des Gaulois du midi de la Gaule, décrits par Diodore d’après Posidonius ? Assuré­ment, l’histoire du siège de Marseille comporte des combats autour de murailles, etc., mais l’arc d’Orange n’est pas la Colonne Trajane et l’artiste, copiant et com­binant des modèles grecs, ne faisait pas œuvre d’historien. — P. 175 et suiv., il aurait fallu, je crois, parler de la colonne historiée de Mayence et de sa dédi­cace pour le salut de Néron.

S[alomon] R[einach]

 

(1) « Dans le courant du troisième quart du second siècle, probablement vers l’année 166, Alesia fut entièrement détruite. Elle ne se releva jamais de ses ruines. » (Espérandieu, Bull. des fouilles d’Alise, t. I, p. 1).