Maspero, G.: Les Temples immergés de la Nubie (Rapports relatifs à la consolidation des Temples). Première livraison, grand in-4, 64 p. et 53 planches.
(Caire 1909)
Compte rendu par George Foucart, Revue Archéologique t. 14 (4e série), 1909-2, p. 476-478
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G. Maspero. Les Temples immergés de la Nubie (Rapports relatifs à la consolidation des Temples). Première livraison, Caire, 1909, grand in-4, 64 p. et 53 planches.


     On sait quel nouveau et grave danger menace tous les monuments anciens de plus de la moitié de la Nubie égyptienne. Après l’immersion des temples de Philæ, le relèvement du barrage d’Assouân va atteindre tous les sanctuaires en aval de Korosko. On estime même que les effets de ce travail se feront sentir jusqu’à Maharaka. Dans l’état où ils étaient en 1907, c’était condamner les édifices des vieux Égyptiens à la disparition totale. Et si les intérêts économiques de la vallée du Nil ne permettaient pas de modifier le plan des ingénieurs, le gouvernement égyptien se devait à lui-même de faire tout ce qui était possible pour sauvegarder ses trésors scientifiques.  

     Dès que la question de la modification du barrage prit forme définitive, M. Maspero se préoccupa de ses conséquences et résolut de voir par lui­-même les remèdes qu’il était possible d’apporter aux résultats inévitables à brève échéance. Ce lui fut en même temps l’occasion de vérifier l’état de conservation des monuments anciens dépendant de son service, et son inspection partit de la frontière du Soudan. Il put voir en Nubie, comme en Égypte, qu’il semble que l’œuvre des Pharaons soit arrivée au moment critique, et que nulle part elle ne puisse plus résister au poids des siècles. Ici, comme à Ipsamboul, les monuments s’effritent d’eux-mêmes. Ailleurs, comme à Dakkèh, les indigènes activent l’œuvre du temps par leurs déprédations.

     Le résultat du voyage de 1905 fut le rappport [sic] qui tient les 43 premières pages du présent fascicule. Rédigé sous forme administrative, il examine successivement les divers sanctuaires de la Nubie demeurée égyptienne, de la frontière anglo-soudanaise à Philæ, note leur état actuel de conservation et estime les divers travaux indispensables pour les conserver à la science. Il semble que, pour l’instant, on puisse arriver assez aisément à sauvegarder Ipsamboul. Derr, Amada et Siboua exigeront assez peu de travaux. Le danger venant des eaux commence à partir de Maharaka. Pour certains ouvrages en brique crue, le désastre sera irréparable. La belle forteresse de Koubbân est condamnée à devenir un tas de boue informe, et tout ce qu’il est possible de faire avant les travaux du barrage est d’y pratiquer des fouilles, puis d’en dresser une dernière fois le plan exact. La signature mise au bas de ce rapport fait deviner que, si technique puisse-t-il être, il contient cependant autre chose que des considérants techniques et des chiffres de devis. Les comparaisons avec ce que virent les vieux voyageurs et un maître récit des causes de la ruine du temple de Dakkèh sont les points les plus remarquables à signaler.

      Ce premier rapport, sorte d’avant projet, fut repris ensuite avec plus de loisir pour certaines localités. C’est ainsi que nous avons ici le devis rectifié pour Kalabshèh, rédigé en 1907 par M. Barsanti, dont on connaît, par vingt ans de travaux — quelques-uns gigantesques, comme la restauration d’Edfou — la compétence toute spéciale en ces matières.

     On entra alors dans la phase d’exécution. M. Maspero rédigea les instructions générales pour l’hiver 1907-1908, et l’on se mit à l’œuvre sans plus tarder. La présente publication prouve assez que l’on n’a pas perdu de temps, et les égyptologues auront eu, par surcroît, la bonne fortune d’être tenus rapidement au courant des résultats. Débôd, Kerdassèh et Tafèh ont été mis en état de défense. Les rapports consacrés à chacun de ces temples nous renseignent sur les garanties dont le Service des antiquités les a munis, et on lira avec intérêt le récit de travaux que la situation de la Nubie — difficultés matérielles du campement, du ravitaillement, etc., — compliquait plus qu’ailleurs. Le gros effort de la campage [sic] 1907-1908 a porté sur le célèbre temple de Kalabshèh, plus menacé encore qu’aucun autre, et où la ruine était extrême. Les travaux n’étaient pas commencés quand je l’ai revu pour la dernière fois, en février 1907, et je me demandais comment on viendrait jamais à bout de ces monceaux de blocs écroulés, comment on protégerait contre un Nil surélevé, ces colonnades et ces pylones [sic] du plus beau temple de Nubie. Le rapport de M. Barsanti montre que le Service des antiquités est capable de véritables tours de force.

     Rien ne le montre mieux d’ailleurs que les cinquante-trois planches qui illustrent heureusement ce premier fascicule. Le lecteur aura d’abord le plaisir d’y trouver, commodément réunies, les reproductions de vues tirées d’ouvrages que l’on voit rarement en dehors des grandes bibliothèques : estampes des vieux voyageurs du XVIIIe siècle et du début du XIXe, Norden, Burton ou Gau ; photographies du fameux voyage de Maxime Ducamp et Flaubert — les premières faites en Égypte ; vues prises, il y a trente ans, par l’Italien Beato. On y suit ainsi la marche croissante de la dégradation dès monuments, jusqu’au point culminant, marqué par les clichés pris en 1905-1907 par le Service des antiquités. La série prise après les travaux, en 1908, est une des plus consolantes que l’on puisse trouver en archéologie, et nous montre les temples de Debôd, de Kerdassèh, de Bet Wali après l’œuvre de réfection. J’ai pu voir à trois reprises, et à de longs intervalles, la série des temples de la Nubie, avant le commencement de tous ces travaux. Il me sera permis de dire que nulle part, depuis les débuts de la direction de M. Maspero, n’avait été accomplie tâche, plus urgente. Elle a été menée avec autant de succès que de célérité.

     Suffira-t-elle contre l’effort terrible de destruction que représente la nappe des eaux du Nil? Et quelle compensation y aura-t-il à la perte inévitable de tout ce qui n’est pas monuments de pierre : de ces forteresses de briques, uniques au monde — de ces nécropoles, soupçonnées plutôt qu’explorées, que les infiltrations vont détruire sans remède ? Disons-nous, qu’à tout prendre, la question du barrage aura au moins servi à provoquer enfin l’inventaire officiel des monuments de la Nubie, et à faire restaurer une série de temples qui sont pour la science le complément indispensable de ceux de la série égyptienne.

     Le second fascicule, qui comprendra la fin de la campagne de 1907-1908 à Kalabshèh et les travaux exécutés en 1908-1909, mettra encore mieux en évidence l’importance de tous ces travaux. Il faut remercier la Direction des Antiquités de nous permettre de les apprécier aussi promptement et avec une documentation aussi complète.

 

G[eorge] F[oucart]