Laborde, A. de: Les manuscrits à peintures de la Cité de Dieu de saint Augustin. 3 vol. in-fol., dont un de planches.
(Paris, Rahir 1909)
Compte rendu par Salomon Reinach, Revue Archéologique t. 14 (4e série), 1909-2, p. 486-487
Site officiel de la Revue archéologique
 
Nombre de mots : 730 mots
 
Citation de la version en ligne : Les comptes rendus HISTARA.
Lien : http://histara.sorbonne.fr/ar.php?cr=998
 
 

A. de Laborde. Les manuscrits à peintures de la Cité de Dieu de saint Augustin. Paris, Rahir, 1909. 3 vol. in-fol., dont un de planches.


Il est touchant de voir le goût éclairé des choses de l’art se perpétuer, dans une famille, pendant trois générations ; après Alexandre de Laborde, l’amateur magnanime à qui nous devons d’admirables ouvrages illustrés sur la Gaule, sur l’Espagne, sur l’Orient — après Léon de Laborde, qui fut tout simplement un homme de génie, l’initiateur d’un mouvement historique qui a renouvelé l’étude de l’art moderne —, voici que son fils Alexandre nous apporte l’ouvrage le plus considérable qui ait été consacré, depuis le comte de Bastard, aux manuscrits à miniatures. L’idée première de ce vaste travail, dont la Société des Bibliophiles a fait les frais, remonte à M. Léopold Delisle et à M. Picot ; mais M. de Laborde en a été l’âme, bien plus, l’unique et infatigable ouvrier. Outre la satisfaction esthétique que procure la reproduction à peu près parfaite de tant d’images, parmi lesquelles il y a de vrais chefs-d’œuvre, nous sommes pour la première fois éclairés, par un exemple concret, sur les relations entre les groupes et les familles de miniatures, non moins instructives que celles entre les groupes de textes, qui sont le point de départ de toute édition scientifique. L’auteur a eu raison d’écrire (p. xvi) : « Cette étude n’a guère de similaire. On a bien rédigé des catalogues de bibliothèques ou de collections, avec planches à l’appui, ou reproduit toutes les miniatures d’un exemplaire renommé, mais on a négligé jusqu’à présent de faire un travail comparatif sur l’ensemble des peintures décorant, dans le cours des siècles, tous les exemplaires d’un livre célèbre. » Ce que M. de Laborde a accompli pour les manuscrits à miniatures de la Cité de Dieu, d’autres le feront pour ceux des Grandes Chroniques de France ou du Roman de la Rose ; la voie est ouverte à une nouvelle série d’études fécondes, où ce beau livre restera comme un modèle. Pourquoi faut-il que je doive mêler la critique à l’éloge ? Il était indiqué, ce me semble, dans l’intérêt du public, qui ne se compose pas seulement de Crésus, de publier à part un album des planches — in folio, j’y consens — et d’imprimer le texte dans un format modeste, sur papier qui fût du papier, non du parchemin. Au lieu de cela, tout est in-folio, tout est d’un luxe royal ; mais de quel poids, à quel prix et à combien d’exemplaires ? Comment ces fiers mastodontes arriveront-ils jamais aux mains du Delisle futur qui peut-être, au moment où j’écris, est maître d’études dans un collège de province, ou archiviste dans quelque sous ­préfecture ? Tous les Laborde ont péché par le fait de la magnificence et de la rareté. Sunt peccata tamen quibus ignovisse velimus ; disons-le, pourtant, puisqu’il faut une grue pour soulever les in-folio d’Alexandre Ier, puisqu’il y a, dans l’œuvre de Léon, des recueils de documents précieux tirés jadis à 100 exemplaires, introuvables aujourd’hui à un prix quelconque. Mais je ne veux pas terminer par une critique. J’aime mieux signaler aux philologues le haut intérêt du texte et des notes du présent ouvrage, véritable encyclopédie de tout ce qui concerne la diffusion de la Cité de Dieu au moyen âge, ses traducteurs (en particulier le premier, Raoul de Praelles) et la science naïve qui s’est attachée à la commenter. La bibliographie des manuscrits (illustrés ou non) et celle des éditions, jusqu’aux plus modestes, a été faite avec une exactitude et une patience qui ne laissent vraiment que peu à désirer. Il faudrait un long compte-rendu pour mettre en lumière les idées originales qu’a semées M. de L. et les conclusions auxquelles il est arrivé sur des points litigieux. Obligé d’être bref, je citerai seulement ces lignes, qui visent une question souvent discutée de nos jours et ici même (p. 405) : « Nous considérons qu’il est absolument rare de rencontrer des signatures d’artistes dans les peintures des manuscrits. Nous pensons que les lettres inscrites sur les broderies des vêtements ou sur certaines parties de l’ameublement, sont en général sans objet. Cependant, nous avons remarqué, dans les peintures des présents manuscrits, miniatures des livres XIV, XV et XVIII par exemple, le mot André et les lettres rioni ou aigne qui pourraient bien se traduire par André Montaigne. Or, cet André Montaigne est cité comme un des meilleurs enlumineurs du temps par Jean Pèlerin:

Berthelemi Fouquet, Poyet, Copin André Montaigne et d’Amiens Colin ».

La thèse générale, et l’importante réserve qu’y apporte l’auteur, méritent également d’être notées.

S[alomon] R[einach]