Kunze, Max: Griechische und römische Bronzen (Meisterwerke antiker Bronzen und Metallarbeiten aus der Sammlung Borowski; Bd. 1), 325 S., ISBN 978-3-938646-06-9, EUR 80,00
(Verlag Franz Philipp Rutzen, Ruhpolding 2007)
 
Reviewed by Michel Feugère, CNRS
 
Number of words : 1553 words
Published online 2010-08-20
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1022
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          La Collection Borowski, dont ce volume donne la première livraison, porte un nom célèbre dans le monde des antiquités : Elie Borowski (Varsovie 1913, † Jérusalem 2003), est connu non seulement pour avoir fondé le Bible Lands Museum de Jérusalem en 1992, mais aussi et peut-être surtout pour son activité de marchand d’objets d’art, à Bâle, où il avait installé sa galerie. Son implication dans le marché des antiquités lui permettait de conserver à titre personnel les objets qui suscitaient chez lui un intérêt particulier : ce catalogue permet de découvrir, parmi eux, les bronzes grecs et romains. D’autres séries ont été revendues il y a quelques années, comme les vases grecs dont la vente, en 2000, a rapporté la somme substantielle de 7 M$ (voir http://lootingmatters.blogspot.com/2007/08/dr-elie-borowski-sources-for-his.html).

 

          Comme pour les vases attiques, presque aucun des objets présentés ici n’a de provenance (lieu de découverte) ni d’origine (collection précédente), ce qui fait reposer leur analyse sur les seuls éléments stylistiques. Ce sont donc essentiellement des objets typiques, la plupart d’une certaine qualité artistique, qui ont été recherchés aux dépens des contextes : les bronzes ont été acquis « sur le marché des antiquités de la deuxième moitié du XXe s. » (p. 10), sans plus de précision la plupart du temps. C’est donc à un voyage typologique et iconographique, les yeux bandés pour ainsi dire,  que nous invite cet ouvrage, sans même que le pays d’origine de chaque objet puisse en général être précisé : les indications « crétois », « thessalien », « provinces orientales », découlent de l’analyse stylistique et non d’informations de provenance.

 

          Les objets sont classés par période et par région, et ce malgré les limites soulignées ci-dessus, ce qui oblige l’auteur à attribuer chaque objet à une région plutôt qu’à une autre, même quand on le sent hésitant (par ex. pour la koré A8). Au sein de chaque chapitre, les objets sont présentés par thème, ce dernier concernant l’iconographie et non la fonction : on découvre par exemple, grâce aux vues inférieures, que les « chevaux »  du VIIIe s. G21 et G22 sont en fait des sceaux, sans que cela soit indiqué dans les notices. E. Borowski s’est attaché avant tout à rechercher des objets figurés, et on suit donc à travers sa collection l’émergence des figures animales, puis humaines. Les attributions géographiques et chronologiques peuvent sembler parfois trop précises, notamment pour les petites figurines votives de bovidé, qui évoluent très lentement entre l’Anatolie chalcolithique et l’Italie centrale.

 

          Les fibules appartiennent pour l’essentiel à des formes grecques du VIIIe s., mais également diffusées dans les régions environnantes comme les Balkans : c’est le cas des fibules à spirales, qui se rencontrent jusqu’au Ve s. dans le golfe adriatique et le Picenum. Moins courantes sont, bien sûr, les fibules à porte-ardillon gravé dont la collection comporte cinq exemplaires. Les bronzes grecs archaïques comptent plusieurs pièces de grande qualité, mais le plus étonnant est sans doute l’ensemble de trois anses appartenant à une hydrie (qu’est devenu le corps... ?) datée du deuxième quart du VIe s. et attribuée à un atelier centro-italique.

 

          L’état de conservation exceptionnel de plusieurs objets, comme le cratère à colonnettes A41, dont la panse montre encore la trace d’un milieu non entièrement comblé (très certainement un caveau funéraire bâti), amène inévitablement à se poser la question de l’origine des objets et notamment du pillage de tumuli grecs ou thraces dans la région des Balkans (Grèce, Turquie, Bulgarie, Macédoine...). Pour quelques tombeaux fouillés par les archéologues, combien ont été, ou sont encore vidés aveuglément par les pillards à destination du commerce international des antiquités... ? Les contextes de ces ‘belles pièces’, la composition des ensembles funéraires et leur datation archéologique sont perdus à jamais.

 

          Parmi les objets d’époque classique, on notera l’originalité de deux appliques (C1 et C2). L’une, minuscule, en argent, figure une femme de profil, tendant des fruits (?) : le style ou l’influence sont ioniens, mais rien n’est dit sur la manière dont cette applique était fixée sur son support ; s’agissait-il d’une brasure sur métal ? La seconde, guère plus grande (67 mm), en tôle d’alliage cuivreux, figure un cheval bondissant aux détails rehaussés de gravures ; quatre trous circulaires évoquent une fixation clouée, ou rivetée. Ces appliques en tôle, dont on connaît de très grands exemples (par ex. à Izmir), mériteraient une étude d’ensemble dans le monde grec.

 

          Parmi les statuettes hellénistiques, l’objet le plus original est sans doute le groupe du Triton C20, qui fait aussi la couverture du volume.  Ce groupe figure au sommet d’une moulure (tronquée sur toutes les photographies, p. 149-151) deux monstres entremêlés : un hippocampe et Triton, représenté sous la forme hybride d’un jeune homme à pattes de crabe et queue de serpent marin. Le modelé musculeux du torse, l’expression des visages permettent de dater l’objet du premier quart du IIe s. et de l’attribuer à un atelier oriental (les spécialistes hésitent entre Rhodes et Alexandrie) ; il a pu s’agir du couronnement d’un fauteuil ou trône, monté sur une tige métallique. Les autres statuettes, souvent belles mais de sujets plus courants, sont systématiquement datées très haut, comme leurs modèles iconographiques, ce qui peut sembler contestable : c’est semble-t-il le cas du Pan C24 ou encore des deux acteurs C29 et C30, qui pourraient bien être d’époque impériale. La collection comprend quelques vases en argent, des phiales côtelées (de goût sinon d’origine orientale), une kylix du III s. (C46) et des objets divers, recherchés en général pour leur décor.

 

          La « section romaine » s’ouvre par une curieuse applique en bas-relief, sans doute trouvée en Turquie, représentant un Jupiter trônant, de près de 32 cm ; équipée au revers de longs pitons de scellement, elle a pu appartenir au décor d’un socle ou d’un autel (on aurait aimé voir le revers, ou au moins le profil, du togatus R23 également décrit comme une applique). Parmi les figurines, pour la plupart de schéma connu, on notera un exceptionnel Alexandre héroïsé, décrit comme « Zeus » à partir du rapprochement avec une intaille, et daté du Ier s. de notre ère en raison d’un alliage au plomb (16,53 % : p. 320). Au-delà de leur qualité, plusieurs figurines sont de schéma exceptionnel, comme la déesse (Cérès ou Proserpine) couchée sur un lit R21, ou encore l’extravagant togatus à tête d’âne R24. La musicienne R25 (que je crois pré-impériale) joue de la cithare et non de la lyre.

 

          La dénomination des objets romains, repérés à partir de leur seul décor, est souvent incomplète ou discutable : de deux balsamaires nord-italiques de forme semblable (R56 et R57), le second est dénommé « lécythe » ; le « gobelet » en argent R64 doit être un canthare ayant perdu son pied et les deux anneaux qui soutiennent normalement les anses sur cette forme ; R67 à R73 peuvent être désignés sans hésitation comme des « manches de patère » ; l’« applique de char » R79 est en fait une suspension de caisse ; l’« applique » R92, en forme de Marsyas, est un pied de lanterne figuré, une variante inédite. En ce qui concerne le simpulum en argent R100, à terminaison en anneau perpendiculaire au plan de la vasque, l’auteur cite à juste titre des parallèles lydiens, dont l’exemplaire de Toptepe (D. von Bothmer, A Greek and Roman Treasury. The Metropolitan Museum of Art, New York 1984, n° 59) aujourd’hui rendu au Musée d’Usak. Le décor de palmettes et la tresse de l’exemplaire Borowski ne me semblent pas incompatibles avec la datation haute aujourd’hui admise pour la série lydienne, à laquelle il se rattache certainement : la forme de ce simpulum étant inconnue après le changement d’ère, je crois qu’il ne faut pas hésiter à dater cet objet du Ve s. av. n. ère, au lieu des IIe-IIIe s. ap. J.-C. proposés par l’auteur.

 

          L’ouvrage se termine par la description précise d’exemplaires « faux et douteux », attributions étayées soit par l’aspect de certains objets (style, patine...) ou, de manière parfois plus surprenante, par un alliage incompatible avec les usages ou les connaissances d’une période. C’est le cas de la déesse aux serpents crétoise D1, ou encore de la femme minoenne D2, dont les taux de plomb et surtout de zinc sont incompatibles avec une coulée antique.

 

          Cette collection se présente, à bien des égards, comme un fonds ancien de musée européen tel qu’un riche amateur aurait pu en former au XIXe siècle : le malaise qu’on ressent à la lecture du catalogue vient du fait que l’ensemble a été constitué dans la deuxième moitié du XXe s., c’est-à-dire à une époque où tous les pays d’origine de ces objets ont mis en place leur propre législation sur la découverte et le commerce des objets de fouille. En publiant 308 beaux objets sans provenance, l’ouvrage fait la preuve que le commerce des antiquités participe de la perte d’identité que subissent les documents archéologiques arrachés à leur origine et à leur contexte : à l’heure où certains pays, comme la Turquie par exemple, traquent sans relâche les exportations illégales et réclament le retour des éléments du patrimoine dont l’origine peut être démontrée, on comprend bien les avantages que présentent des mentions vagues comme « monde égéen » ou « Méditerranée orientale ». Elles visent à protéger de poursuites éventuelles des vendeurs qui n’ont rien de plus pressé que de faire oublier la provenance d’un bel objet, y compris quand elle leur est très précisément connue. À ce titre, la collection Borowski témoigne d’une époque et de pratiques qu’on doit espérer révolues.