Lohr, Évelyne - Michel, Geneviève - Pierrot, Nicolas (dir.): Les Grands Moulins de Pantin, l’usine et la ville. Préface de Denis Woronoff. 212 pages, 422 illustrations, format 24 x 30 cm. Couverture cartonnée, jaquette. Prix de vente 35 euros TTC (France). ISBN 978-2-914-528-68-9.
(Lieux Dits, Lyon 2009)
 
Reviewed by Olivier Berger, Université Paris IV-Sorbonne
 
Number of words : 1530 words
Published online 2010-08-20
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1034
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         Une fois de plus, les éditions Lieux Dits publient sur l’Île-de-France avec Les Grands Moulins de Pantin, l’usine et la ville, un ouvrage de qualité, d’une lecture agréable, associant haut niveau d’érudition et accessibilité à un public non académique dont la curiosité sera satisfaite sur cet ensemble de bâtiments médiatisé grâce au projet de réhabilitation/conservation récent. Ainsi les attentes des amateurs du patrimoine d’Île-de-France seront-elles comblées avec cette série d’ouvrages. La banlieue reste un champ d’études fécond de l’archéologie industrielle, comme le prouve le présent livre. En effet, Pantin, situé à proximité immédiate de Paris, a une histoire industrielle fortement liée au développement de la ville capitale, comme les auteurs le rappellent, en revenant sur une histoire mal connue.

 

          L’interdépendance des territoires explique l’implantation d’activités industrielles comme la meunerie, au temps où le pain est un élément essentiel de l’alimentation, qui se doit d’être le plus blanc possible pour être synonyme de bonne alimentation, par opposition au pain noir considéré comme nourriture des pauvres… Aussi les techniques de mouture industrielle visent à améliorer la qualité par l’usage de techniques nouvelles. Avec les Moulins de Corbeil et de Paris intra-muros (dans le XIIIe arrondissement), ceux de Pantin sont les fournisseurs du marché parisien très demandeur de farine en quantité et exigeant sur la qualité.

 

          C’est par une approche territoriale que les auteurs choisissent de retracer l’histoire des Grands Moulins de Pantin. En variant les jeux d’échelles, selon les principes de la géographie urbaine, le lecteur parvient à comprendre les interactions entre la grande et la petite histoire, les liens entre les activités de Pantin et le contexte concurrentiel national et international. Si l’imbrication des moulins et de la ville est évidente, le plan du livre est discutable puisque certaines parties ont tendance aux redites et à quelques mélanges, sans toutefois nuire à la qualité de l’ensemble.

 

          Globalement, le livre est divisé en trois parties selon une approche originale que la table des matières ne reflète pas exactement.

 

– Il s’intéresse d’abord à l’histoire de la ville à partir de l’Ancien Régime, montrant son ancrage et son territoire comme un lieu de passage, qui devient peu à peu dépendant des activités de la capitale. Ne voit-on pas au XIXe siècle éclore les premières industries (construction de matériel ferroviaire, entrepôts, manufacture de tabac) ? Les animaux passent par Pantin en direction des abattoirs de la Villette. Pantin tente de suivre le mouvement, d’entretenir des routes avant macadamisage, d’installer un éclairage des rues. La ville essaie de s’imposer en dépit des initiatives privées qui l’empêchent d’être libre de ses choix urbanistiques.

 

– Puis il retrace l’histoire des Moulins, dans le cadre de la ville. Ceci à travers les aléas de l’implantation et le développement spectaculaire de l’industrie, créée par un groupe alsacien, ayant choisi un architecte de même origine, Haug, habitué à ce type de construction avec les matériaux les plus modernes – béton armé couvert d’une surface de briques. On perçoit les tensions entre le conseil municipal et le patronat qui négocie des dérogations aux règles d’urbanisme, notamment en dépassant la hauteur autorisée, promettant d’agrémenter le beffroi d’horloges visibles par tous sur les quatre faces, et donc utiles à tous les Pantinois. Dès le début, la dimension esthétique des moulins a été pensée, l’architecte devant intégrer à la trame urbaine un édifice qui, par essence, allait marquer un contraste sur le paysage.

 

– Enfin, la partie intitulée « visite en images » traite des développements urbains autour des moulins ancrés dans un territoire particulier. Il revient ensuite sur le fonctionnement interne de l’industrie en insistant sur la place du moulin dans la ville, reconstruit après des incendies et amélioré en fonction des stratégies de l’entreprise. La partie s’achève par les photos des machineries avant leur destruction avec les étapes du chantier récemment terminé. Elle constitue une mine de renseignements irremplaçables sur les dernières années des moulins.

 

          Avec de nombreuses cartes de synthèse dont certaines sur des pages dépliantes, des schémas et de riches illustrations, le lecteur est replongé dans l’aventure passionnante de la minoterie industrielle, découvrant une histoire consistante malgré l’accès actuellement impossible aux archives de l’entreprise. Les sources sont citées en notes à la fin du livre ainsi qu’au fur et à mesure des pages.

 

          L’histoire des lieux se trouve ainsi reconstituée : c’est celle d’un quartier qui se cherche, en constante évolution. La problématique du livre peut se résumer ainsi : comment sauvegarder et intégrer dans la ville un élément de patrimoine industriel, lieu hautement symbolique du passé ouvrier pantinois, dans une société en cours de désindustrialisation ? Comment adapter un bâtiment ancien à une fonction nouvelle, celle de loger des activités du secteur tertiaire ?

 

          Au carrefour de chemins, les auteurs rappellent que Pantin a subi des mutations : création du canal de l’Ourcq, des chemins de fer, en l’occurrence de la Compagnie de l’Est, des fortifications de Paris c’est-à-dire l’enceinte de Thiers, avec un secteur inconstructible sur Pantin où pousse un habitat spontané, cette fameuse « Zone » immortalisée par Doisneau. Toutes ces emprises de Paris sur Pantin créent des tensions.

 

          En raison de ce morcellement subi, le centre de gravité s’est déplacé, désormais entre le vieux village et le quartier neuf des Quatre-Chemins, aux velléités autonomistes. L’autorité municipale s’affirme avec la création d’équipements publics autour de la mairie et de la gare ; la spéculation pousse les investisseurs à bâtir des immeubles de rapport de type post-haussmaniens, par des architectes parisiens. Une équipe municipale socialiste marquera Pantin dès 1919 avec la volonté d’affirmer l’identité de la ville : dégagement de l’espace en façade de la mairie au style « Troisième République », construction d’une école et d’une piscine selon les normes hygiénistes du temps. L’avenir de Pantin est alors celui d’une ville ouvrière. Aujourd’hui, l’atout des voies de communication et la position aux portes de Paris posent des problèmes urgents d’aménagement : pour éviter l’abandon des parcelles industrielles en friches, le canal de l’Ourcq doit devenir un nouvel axe structurant, une « coulée verte » fluviale autour d’espaces appelés à changer de vocation. Pantin veut se réapproprier cet espace dont le développement progressif lui avait échappé.

 

 

          Comment fonctionne un moulin industriel ? Le livre y répond par des schémas, des coupes reconstituant les machines avec leur rôle respectif : ces développements sont très intéressants même s’ils sont parfois trop techniques.

 

 

          On notera l’originalité du projet du groupe bancaire BNP-Paribas sur les Moulins : il ne s’agit pas de réhabiliter ni de conserver tout, mais de convertir quelques éléments restaurés en gardant la silhouette d’ensemble, avec la volonté de maintenir en place des éléments du site comme le pont transbordeur, les rails de l’embranchement particulier, les pavés de la cour et la façade de la « boulangerie » incorporée dans un mur de verre. Tout est fait pour évoquer les racines industrielles de bâtiments réaménagés de l’intérieur, dont les murs et la structure interne sont maintenus en partie, tout en répondant aux normes environnementales et à la fonction de bureau. Près du périphérique parisien et d’un futur tramway, le site prouve à lui-même qu’il a encore des atouts. D’ailleurs, l’ensemble reconverti veut donner une image jeune, attractive, dynamique, aussi bien à destination du public que des salariés qui y travailleront. Tel était le souhait des décideurs du projet.

 

          Cette particularité d’une entreprise de rénovation/reconversion titanesque est évoquée par le directeur de chantier, Claude Barbé, en page 179, résumant ainsi les enjeux : « La spécificité de ce chantier est la mise en œuvre conjointe d’une restructuration très lourde et d’une construction neuve dans un environnement complexe. Les différents modes constructifs sont totalement différents et doivent cependant être menés de front ».

 

          À l’aide de témoignages oraux, les auteurs donnent la parole aux anciens salariés des moulins qui parlent de leur vécu, de leur métier, dans une sorte d’histoire immédiate, vivante, avec leur propre jargon parfois. On a aussi une initiative plutôt audacieuse, celle de représenter tous les acteurs du chantier, de la direction aux exécutants, généralement en retrait. Il a fallu sélectionner des ouvriers parmi les plus expérimentés, étant donné la complexité des travaux, occasion pour le lecteur de voir de l’intérieur un chantier en principe fermé au public.

 

 

          Diverses sources ont été utilisées pour faire ce livre : des documents des archives nationales comme des plans d’intendance, le fonds municipal comprenant des cartes postales anciennes, les délibérations du conseil municipal, les plans des édifices ; ont été sollicitées les archives du monde du travail à Roubaix, les archives départementales de Bobigny, des archives privées, sans oublier les bibliothèques dont celle de l’Université de Strasbourg, celle du Conservatoire National des Arts et Métiers, la Bibliothèque nationale de France, le Service Historique de la Défense et le Musée de Sceaux, connu pour sa documentation irremplaçable concernant l’histoire de la région francilienne.

 

 

          Au final, ce volume est le fruit d’un beau travail d’équipe, méticuleux et approfondi, qui rend hommage aux activités des hommes d’hier et d’aujourd’hui ; un exemple de reconversion qui pourrait servir de modèle, même si seuls les usagers des lieux et les habitants de Pantin pourront dire à l’avenir si cette reconversion est réussie. Nous n’en doutons pas et encourageons les curieux à lire ce livre sérieux. Gageons qu’il ne sera pas le dernier de ces titres consacrés au patrimoine francilien, toujours en attente d’être (re)découvert.