AA.VV.: Religion. Lehre und Praxis. Akten des Kolloquiums Basel, 22. Oktober 2004, (Archaiognosia, Supplementband Nr. 8), broché, couverture cartonnée à rabats, ill. B/B, 21 x 30 cm, 128 p.; ISBN 978-960-499-039-1
(Archaiognosia, Athen 2009)
 
Reseña de Gérard Siebert, Université de Strasbourg
 
Número de palabras : 1754 palabras
Publicado en línea el 2011-07-20
Citación: Reseñas HISTARA. Enlace: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1040
 
 

       Ce 8e supplément d’Archaiognosia publie, cinq ans après le colloque de Bâle, les Actes d’une rencontre sur un thème d’histoire et d’iconographie religieuses, dont la préface de V. Lambrinoudakis rappelle la tradition entre membres de la Fondation du LIMC. Le titre de l’ouvrage Religion. Lehre und Praxis se justifie dans la mesure où les communications réunies traitent d’expériences religieuses, vécues ou théorisées, dans l’Antiquité.

 

         En ouverture, Anton Bierl tente la gageure d’éclairer la comédie attique par le chamanisme ou plutôt par un « complexe de motifs » chamaniques (Motivkomplex), qui en serait l’équivalent grec, avec le  γόης et le μάγος comme protagonistes. Le rappel d’une importante bibliographie (dans laquelle on notera en particulier les travaux de Rohde, d’Eliade, de Meuli, de Burkert, de Ginzburg) indique que le sujet n’est pas inédit, quelles qu’aient été les positions des auteurs dans l’application du phénomène chamanique à la Grèce ou à l’espace européen jusqu’à l’époque moderne. Pour A.B.  – et c’est le nouveau chemin qu’il emprunte – la scène comique est comme le lieu d’une collision entre la culture rationnelle de la polis et une  atavique culture populaire s’exprimant à travers des thèmes structurellement « chamaniques » comme les voyages dans d’autres mondes, les guérisons miraculeuses, les utopies de l’âge d’or et du pays de Cocagne. De la  permanence de cette culture magique témoignent quantité de personnages du type γόης (devins, prêtres, poètes, médecins ambulants, charlatans) bien attestés dans l’histoire et la littérature de la Grèce. La thèse de l’auteur est que le héros aristophanesque, dans ses diverses composantes, appartient lui aussi  à la catégorie. À titre d’illustration nous est proposée une étude détaillée de la Paix. L’originalité du propos et sa parfaite cohérence retiendront l’attention de tout helléniste. 

 

          La contribution signée par W. Burkert porte sur les discontinuités entre les traditions littéraires et iconographiques dans la représentation des rituels. Elle fait justice de la théorie du fixisme qui, jusqu’à une époque récente, se souciait principalement de la question des origines, sans prendre en compte les ruptures, interruptions, créations, reconstitutions qui marquent le parcours de l’histoire religieuse. La bonne méthode consiste aussi à bien paramétrer le caractère souvent lacunaire et fortuit de nos documentations, l’historien devant savoir que l’extinction provisoire ou définitive d’une série de textes, d’objets ou d’images ne signifie nullement la mort d’un rite, qui peut survivre dans le silence des sources. La fête des Anthestéries est célébrée depuis l’époque sub-mycénienne jusque dans l’Antiquité tardive, alors que leur marqueur archéologique le plus connu, celui des choès d’époque classique, n’avait pas encore vu le jour ou avait disparu. Inversement, des témoignages littéraires d’un rituel ne garantissent pas toujours  la persistance de sa pratique. En revanche, les Mystères d’Éleusis ont connu, apparemment sans réformes majeures, une existence millénaire, dont W.B. retrace les étapes entre les temps mycéniens et le pillage du sanctuaire par les Goths d’Alaric. La même rigueur critique et la même érudition, mettant en œuvre l’ensemble des sources, permettent à l’auteur de faire le point sur d’autres fêtes et rituels,  comme les Dionysies et les Thesmophories.    

 

          Avec Richard Buxton, on aborde la religion grecque au miroir des métamorphoses. Ce concept recouvre un large spectre de représentations, depuis les phases de la vie d’un insecte jusqu’aux transformations que connaissent les divinités et les humains dans les mythologies. L’important, pour l’interprète des textes et des images, est de bien situer les épisodes dans leurs contextes. Dans les Bacchantes d’Euripide, les mutations de l’« étranger », sur fond de magie et de folie dionysiaques, relèvent de la tragédie ; de même, dans le Prométhée enchaîné, la scène d’horreur de la métamorphose d’Io en génisse.  Chez Lucien,  dans Les dialogues des dieux, nous sommes dans l’ordre de la dérision.  R.B.  souligne la difficulté d’imaginer la mise en scène théâtrale de tels récits et les réactions du public athénien. Quant au commentateur moderne, à tout le moins doit-il se garder d’un excès de rationalisme face à des métamorphoses merveilleuses comme celle d’Athéna en oiseau  au  livre I de l’Odyssée ou celle de la chaîne des transformations de Cadmos, prophétisées à la fin des Bacchantes. Je rappellerai ici l’appel à modestie qu’adresse  Ph. O. Runge aux  jeunes artistes de Weimar confrontés à la résurrection des mythes grecs : « Wir sind keine Griechen mehr » (cf. G. Siebert, REG 123, 2010, p. 393). En outre, l’auteur fait ici  justice de la vieille hypothèse qui fait dériver  les métamorphoses d’un thériomorphisme de la religion primitive : pourquoi, alors, la Grèce aurait-elle conservé des figures hybrides comme celle d’Achéloos ou celle de la Déméter Noire arcadienne, à tête de cheval ?  La réalité, c’est la permanence d’une tension entre anthropomorphisme et non-anthropomorphisme : à partir d’une sorte de « degré 0 » de la représentation, la divinité grecque penche librement tantôt vers l’infra-humain, tantôt vers le surhumain, dans des « corps glorieux » imaginés par les poètes et façonnés par les sculpteurs.

 

          C’est vers les hautes sphères de la mystique néo-platonicienne qu’Henriette Harich-Schwarzbauer élève le lecteur dans une étude de l’enseignement de Sosipatra, d’après un texte d’Eunapios de Sardes. L’accent est mis sur la part qui revient à la théurge au sein de l’école de Jamblique. La méthode consiste à dévoiler dans les récits romanesques la spéculation magico-ésotérique, où les « anecdotes » prennent valeur de symboles. Par son biographe on apprend que Sosipatra, initiée dès l’enfance aux oracles chaldéens, devient la dépositaire d’une sagesse secrète et la visionnaire aux facultés divinatoires. Dans cette optique  l’auteur éclaire  les récits d’Eunapios sur les filtres d’amour et les accidents du véhicule de l’âme (ὄχημα ) au cours de ses pérégrinations.

 

          Antoine Hermary traite du cas d’Adonis dans la religion et l’iconographie de Chypre. Après des considérations sur les noms et les formes de la Grande Déesse avant l’époque hellénistique, il constate qu’aucune divinité masculine n’apparaît, conjointement, en souverain de l’île, les types iconographiques les plus constants étant ceux d’Héraclès et de Zeus Ammon, alors que les témoignages textuels désignent plutôt Apollon comme le dieu « chypriote ». Quant à Adonis, c’est par l’imagerie attique de la seconde moitié du Ve s. et du IVe s. qu’on le connaît (Aison,  P. de Meidias, oenochoè à reliefs de Saint-Pétersbourg). L’effigie d’un jeune prince, sur une monnaie en or du roi Pnytagoras de Salamine, pourrait également le représenter, selon une suggestion convaincante de l’auteur. D’autres images semblent se rapporter à Adonis, notamment celles de joueurs de lyre et de l’offrande des pommes. Il existe également un Adonis chasseur, peut-être déjà illustré sur un rhyton de l’atelier de Sotadès et correspondant, à partir de la fin du Ve s., à une nouvelle perception du héros chypriote à Athènes. L’épisode de la mort d’Adonis, victime d’un sanglier, est réexaminé à la lumière de la documentation iconographique et littéraire, dans l’ensemble du contexte méditerranéen, selon une approche à la fois chronologique et régionale.

 

          La genèse de l’architecture du temple fait l’objet des réflexions de Karl Reber. Être l’oikos de la divinité n’est pas la seule fonction des édifices à absides ou à colonnades intérieures, ni la plus ancienne. L’existence d’une colonnade axiale rendait du reste difficile la mise en scène de l’agalma, selon une fréquente ordonnance du naos classique. En réalité ces constructions servaient de lieux d’assemblée jusqu’à la naissance du « vrai temple » dans le courant du VIIe siècle, concomitante de la naissance de la polis, les lieux des réunions politiques étant alors transférés à l’agora et au prytanée. La démonstration est construite à travers un parcours à la fois chronologique et topographique, dont K.R. choisit judicieusement les étapes et les monuments. Les édifices d’Érétrie, qui lui sont familiers entre tous, y occupent une place importante. Une des idées fortes est que des constructions comme le « Daphnéphorion » (et ailleurs des bâtiments analogues) auraient eu une double fonction, l’une d’ordre privé (la maison du chef de clan), l’autre d’ordre politique : la salle où le chef réunit les notables, à la manière du basileus de l’Iliade. La perspective historique adoptée par l’auteur soutient l’argumentation proprement archéologique. On voit, par exemple, comment les synécismes  à l’époque archaïque entraînent un agrandissement des lieux d’assemblée, qu’ils soient périurbains ou installés dans un sanctuaire du territoire. L’hékatompédon absidial d’Érétrie pouvait abriter quelque 50 conseillers. Le lecteur trouvera toute l’information utile sur les constructions d’Argos, de  Naxos, de Thermos,  toujours interprétées selon la grille de lecture de leur mixité fonctionnelle. Un élément d’importance conforte les conclusions de K.R. : des bancs ou des sièges étaient installés le long des murs de plusieurs des édifices étudiés.

 

          Lycurgue : le sulfureux roi de Thrace inspire à un maître de nos études, Erika Simon, un portrait complexe, dans lequel elle distingue l’impie, le fou et le converti. À la base de toute la tradition littéraire et iconographique se trouve la tétralogie eschyléenne de la Lycurgie, dont on conserve des fragments, mais,  à la différence du drame satyrique Lycurgue, des Edonoi et des Bassarai, les Neaniskoi n’avaient pas laissé de trace bien identifiée dans l’imagerie grecque. C’est cette lacune qu’E.S. veut combler avec un cratère du P. de Darius, sur lequel elle reconnaît Dionysos sortant de sa grotte du Mont Pangée pour annoncer la conversion de Lycurgue. La frise d’une coupe du P. de la centauromachie de New York pourrait illustrer les réflexions du roi, préalables  à cette metanoia. Sur ce thème, l’auteur renvoie  à son interprétation du Lycurgue dansant du cratère de Derveni. Enfin, pour l’affrontement avec la nymphe Ambrosia, probable sujet du drame satyrique de la tétralogie, illustré sur nombre de mosaïques gréco-romaines,  E.S. cite une œnochoè  apulienne du P. des Bonnets Blancs : l’image contamine des séquences des Edonoi et de Lycurgue.

 

          Ces sept essais sont donnés dans l’ordre alphabétique des auteurs, pour former  un bref volume de haute science, bien illustré lorsque le propos appelle des images. Les réviseurs de la Rédaction du LIMC,  Pierre Müller et Bertrand Jaeger (non pas « Jaeder » !) ont veillé à une présentation impeccable.

 

Sommaire

 

Préface de V. Lambrinoudakis, p. 11. 


A. Bierl, « Schamanismus » und die Alte Komödie. Generischer Rückgriff auf einen Atavismus und Heilung, p. 13-35.

W. Burkert, Diskontinuitäten in der literarischen und bildlichen Ritualtradition, p. 37-47.

Richard Buxton, What can Myths of Metamorphosis tell us about Ancient Greek Religion ?, p. 49-59.

Henriette Harich-Schwarzbauer,  Das Seelengefährt in der Lehre der Theurgin Sosipatra (Eunapios VSP 466,5,1 - 471,9,17), p. 61-71.

Antoine Hermary, Religion et iconographie à Chypre : le cas d’Adonis, p. 73-93.

Karl Reber, Vom Versammlungsraum zum Tempel - Überlegungen zur Genese der monumentalen Tempelarchitektur, p. 95-110.

Erika Simon, LYKURGOS. Frevler, Tor, Bekehrter, p. 113-124.