Magnien, Aline (dir.): Saint-Riquier. Une grande abbaye bénédictine, In-4 broché, couverture illustrée, 326 pages, très nombreuses figures en noir et en couleurs. Bibliographie et index, ISBN : 978-2-7084-0820-3, 58,90 euros
(Éditions Picard, Paris 2009)
 
Reseña de Véronique Castagnet, Université de Toulouse
 
Número de palabras : 2119 palabras
Publicado en línea el 2015-07-21
Citación: Reseñas HISTARA. Enlace: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1044
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          Pourquoi dire que Saint-Riquier, dans la Somme, est « le Cluny de l’époque carolingienne » (J. Hubert) ? Peut-on ainsi résumer la place de cette abbaye dans l’histoire des fondations monastiques de la période médiévale à nos jours ? Le bel ouvrage publié, sous la direction d’Aline Magnien, par les éditions Picard, réunit pour le lecteur plusieurs arguments probants en faveur d’une nouvelle approche historiographique de ce monument.

 

         Suivant une démarche classique, et fort agréable, les contributeurs de ce précieux ouvrage campent tout d’abord l’histoire générale de l’abbaye, de ses origines carolingiennes à la valorisation culturelle contemporaine. Après une fondation dont les modalités restent troubles pour l’historien, le premier élan décisif est donné par Angilbert, gendre de Charlemagne : fin lettré, il dirige le monastère entre 790 et 814 (date de sa mort), codifie la liturgie et complète en conséquence l’ensemble architectural par l’édification de trois églises qu’il dote d’objets cultuels et de reliques. Jusqu’au XIIe siècle, la matrice carolingienne se lit ainsi dans les bâtiments monastiques. Saint-Riquier traverse pourtant quelques difficultés. L’abbaye doit faire face à l’émancipation de la ville adossée au monastère et qui désormais prend le nom de Saint-Riquier : à partir de la validation, par le roi, de la charte communale en 1189 (et de sa ratification en 1365), le pouvoir de l’abbé se réduit à la fixation des poids et des mesures, aux droits d’étalage et de tonlieu. Fort heureusement, depuis une vingtaine d’années, le monastère bénéficie de la protection accordée par le Saint-Siège, protection de ses possessions, très étendues, et de sa justice ecclésiastique et seigneuriale dans l’enceinte de la ville (privilège du pape Alexandre III de 1172).

 

         Un siècle plus tard, au XIIIe siècle, la querelle entre la commune et l’abbaye n’est toujours pas apaisée. Malgré tout, l’abbaye connaît de grands travaux d’embellissement à la fin du Moyen Âge : par exemple, l’abbé Gilles de Machemont (1257‑1292), chapelain du pape, donne à Saint‑Riquier des traits gothiques, en particulier, dans la modification du chœur oriental de l’abbatiale, désormais embelli par un déambulatoire et des chapelles rayonnantes.

 

         Au cours de la fin du Moyen Âge et au début des temps modernes, le village de Saint-Riquier, situé au nord du royaume de France, n’est pas épargné par les affrontements militaires des XIVe et XVe siècles, entre Anglais et Français, et au XVIe siècle, entre Français et Impériaux. Les abbés successifs tentent donc de protéger la fondation monastique contre l’usurpation de droits seigneuriaux et contre l’effort de guerre (construction de fortifications, paiement de la rançon du roi, entretien des otages). Des dissensions internes majeures affaiblissent aussi le monastère. Certes l’introduction de la commende, avec Charles Dodieu (1538-1568), est assortie d’une volonté de réforme, mais la situation dégénère au cours de la fin du XVIe siècle et du début du XVIIe siècle.

 

         Le troisième moment fort de l’histoire de cette abbatiale est écrit dès l’affiliation des religieux à l’ordre de Saint-Maur, après autorisation pontificale. Des reconstructions majeures sont entreprises, entre 1644 et 1695, par celui que l’historiographie nomme le « Second Angilbert » : l’abbé Charles d’Aligre. Avec son frère, François, autre abbé, il a remanié le chœur pour lui donner l’aspect que le visiteur peut observer aujourd’hui : des stalles ont été installées, les trophées de la tribune de l’orgue ont été repris, le chœur a été fermé par une grille en fer, et un maître autel à la romaine a trouvé place en remplacement de la table d’autel médiévale. Le dernier incendie de 1719 laisse l’édifice à l’état de ruine.

 

         À partir de 1791 et sa désignation comme bien national appelé à être vendu, l’ensemble conventuel connaît une autre vie. D’une part, l’église abbatiale devient paroissiale pour le village de Saint-Riquier. D’autre part, les bâtiments monastiques sont affectés au petit séminaire diocésain du XIXe siècle, puis à l’usage de la Congrégation locale des auxiliaires du clergé de 1953 à 1967. Actuellement, le lieu sert d’écrin au développement d’un centre culturel et d’animation.

 

         Ce livre collectif repose sur une recherche approfondie des sources variées relatant l’histoire du site et des hommes qui ont eu la charge des bâtiments monastiques. Les manuscrits sont certes convoqués, à commencer par le manuscrit latin de l’Institutio d’Angilbert, la Gesta ecclesiae Centulensis d’Hariulf et sa Miniature, et des extraits de pages enluminées de manuscrits médiévaux comme le Miroir historial de Vincent de Beauvais dans lequel des scènes de la vie de saint Riquier ont été figurées. Cette iconographie médiévale côtoie des dessins des périodes moderne et contemporaine, des plans de masse, des plans détaillés de l’abbatiale ou de la façade monumentale, des relevés permettant la reconstitution de maquettes, ainsi que des photographies contemporaines qui invitent à la visite du site. Beaucoup de ces pièces archéologiques et historiques majeures sont reproduites dans cet ouvrage à titre d’illustration et à titre de pièce à conviction pour étayer la synthèse.

 

         Loin de n’être qu’une monographie, cette étude collective prend place dans des problématiques nouvelles pour la recherche contemporaine, ce qui rend cette publication essentielle. L’analyse de la bibliothèque de Saint-Riquier insiste en particulier sur la multiplicité des usages (y compris scolaire) du Moyen Âge à la Révolution, sur les différents moments propices aux acquisitions et sur les innombrables aléas subis par les fonds documentaires, aléas justifiant les précautions méthodologiques de l’historien(ne) pour reconstituer un aperçu de ces richesses.

 

         Historiens, historiens de l’art et archéologues s’attachent aussi à retrouver les hommes de Saint‑Riquier pour reconstituer les réseaux au sein desquels ils gravitaient. La période carolingienne apparaît avec force dans les premières décennies de l’abbaye, éclipsant l’importance de la période mérovingienne, peu documentée. L’abbé Angilbert reçoit Charlemagne et demande à Alcuin de remanier le texte de la Vita Primigenia. Le monastère devient un important centre spirituel accueillant 300 moines et plus de 100 enfants éduqués dans les écoles. Du reste, les artistes postérieurs ne manquent pas de se référer à ce premier « âge d’or » : les artistes commandités par les abbés d’Aligre, à la fin du XVIIe siècle, sculptent sur une stalle du nouveau chœur le roi Louis XIV assimilé à Charlemagne alors qu’un tableau peint illustre L’invention du corps de saint Algibert.

 

         L’éclairage apporté sur les conditions matérielles du redressement de cette abbaye par les Mauristes et les transformations du monastère aux XVIIe et XVIIIe siècles est précieux. Car rares sont les études sur l’œuvre monumentale accomplie par ces religieux, en parallèle à l’effort de réforme pour un retour à l’observance de la règle. Pour autant, il n’est pas possible de parler d’architecture mauriste, dans la mesure où les religieux ont pris en considération l’existence des anciens bâtiments (conçus pour d’autres ordres monastiques) : ces bâtiments d’une grande diversité désormais reconstruits pour leurs usages sont maintenant environnés de nouvelles constructions classiques. Cette première réflexion appelle des comparaisons entre Saint-Riquier et d’autres implantations mauristes.

 

         En outre, le travail sur l’architecture, les peintures et les sculptures de l’abbaye met en évidence les influences artistiques au sein desquelles Saint-Riquier se place pour les périodes médiévale et moderne : une technique de l’estampage par ailleurs répandue en Normandie, Île-de-France, Champagne, Bourgogne ; les peintures des tableaux d’autels par des artistes parisiens ; les sculptures influencées par l’art abbevillois de la première moitié du XVIe siècle ; les stalles créées par des artistes amiénois. Les commendataires se tournent, consciemment, vers des artistes d’origines géographiques très différentes, selon les moments, selon les techniques et les supports.

 

         Enfin, la découverte récente du pavement des chapelles du déambulatoire dédiées à saint Pierre et à saint Benoît livre aux chercheurs un matériau rare, et fragile, coloré, aux motifs divers (géométriques surtout, fleur-de-lisés et dans une moindre mesure figuratifs ou à finalité narrative) permettant de mieux connaître la technique de l’estampage appliquée aux carreaux des sols intérieurs d’un ensemble monastique à la fin du Moyen Âge.

 

         Au final, il est bien difficile de réduire les seuls apports de cet ouvrage à ces quelques problématiques tant les contributions abondent de nouveautés. Elles fournissent des premiers éléments de réponse à la question qu’une nouvelle enquête collective pourrait placer au cœur de ses travaux : dans quelles mesures Saint-Riquier a-t-elle constitué un modèle pour les fondations monastiques des régions septentrionales de l’empire carolingien, au contact des peuples nouvellement évangélisés ?

 

 

 

Sommaire 

 

Préface de Christian Manable, président du Conseil général de la Somme

Préface de Roland Recht

Première partie : Histoire générale, p. 14

Histoire d’une abbaye, par Sabine Racinet p. 17

Les origines de l’abbaye de Saint-Riquier

Les fastes carolingiens

Les difficultés de la fin de l’époque carolingienne

Les XIe-XIIe siècles

La fin du Moyen Âge

L’époque moderne

L’instauration de la congrégation de Saint-Maur

La fin de l’abbaye et l’époque contemporaine

Annexe

La bibliothèque de l’abbaye, par Prisca Hazebrouck, p. 33

L’âge d’or

Vicissitudes et reconstitutions du fonds de la bibliothèque

L’état de la bibliothèque en 1789 et sa dispersion : la partie déposée à la bibliothèque d’Abbeville

Entre Bruges et Saint-Riquier : Jean de la Gruuthuse, par Aline Magnien, p. 45

 

Deuxième partie : Architecture, p. 52

Saint-Riquier : l’abbaye carolingienne d’Angilbert, par Honoré Bernard, p. 55

Notre-Dame : le prélude

La grande abbatiale d’Angilbert

La tour du Sauveur

L’abbaye

L’église gothique XIIIe siècle, par Dany Sandron, p. 83

Les travaux de la fin du Moyen Âge (l’âge flamboyant), par Isabelle Isnard, p. 93

Une église défigurée par des restaurations abusives

L’architecture du chœur, du transept et de la salle du trésor

Les questions de datation

Les mauristes bâtisseurs : les transformations de l’abbaye du XVIIe au XVIIIe siècle, par Honoré Bernard, p. 109

Les mauristes à Saint-Riquier

L’héritage

La reconstruction de l’aile ouest

Les infirmeries

Au cœur de la vie monastique : l’aile sud et celle du chapitre

La planche du Monasticon

Conclusion : quand les mauristes reconstruisent

Les restaurations aux XIXe et XXe siècles, par Jean-Michel Leniaud, p. 147

De l’enfer au purgatoire

Les bienfaits de la pénurie

Du purgatoire au providentiel marasme

Les années Malraux : restaurer les restaurations

Les sculptures du portail restaurées


Troisième partie : Décor monumental, p. 158

Iconographie de la façade, par Marc Gil, p. 161

La travée centrale : image de la centula carolingienne

Le portail nord : saint Mauguille et saint Eustache

Portail sud : la Vierge Marie

Schéma de la façade

Les sculptures monumentales de l’abbatiale à la fin du Moyen Âge, par Sophie Guillot de Suduraut, p. 177

La sculpture abbevilloise gothique tardive

La chapelle de Saint-Angilbert

La trésorerie

Les reliefs narratifs

La chapelle de la Vierge

La chapelle Saint-Marcoul

Les modèles formels

Le transept

La façade occidentale

Vers la Renaissance

Matériaux et polychromie de la façade et des statues, p. 197

Matériau des sculptures : la craie, par Sophie Guillot de Suduraut

La polychromie des sculptures de la chapelle Saint-Angilbert, par Nathalie Pingaud et Sophie Guillot de Suduraut

Les restaurations du XXIe siècle à la façade de Saint-Riquier et leurs enseignements, par Vincent Brunelle

La peinture murale, par Marc Gil, p. 211

La décoration de la chapelle de la Vierge (1460-1537)

Les peintures murales de la trésorerie

Découverte récente de carreaux de pavement à glaçures de la fin du Moyen Âge, par François Blary, p. 235

Contexte de la découverte

Nature des productions

Datation des carreaux de pavement

Agencement des sols au XVe siècle

Premières conclusions et perspectives d’étude


Quatrième partie : Mobilier, p. 246


Les peintres et les sculpteurs de la Saint-Riquier : le contexte de la création à Abbeville et Amiens (V. 1460-1540), par Marc Gil, p. 249

L’assomption de la Vierge et le Noli me tangere, provenant d’un retable démembré de la glorification de la Vierge, par Marc Gil, p. 253

Rénovation et décoration du chœur : les travaux de l’abbé d’Aligre, par Aline Magnien, p. 261

De Paris à Saint-Riquier : les tableaux d’autels commandés par l’abbé d’Aligre, par Anne Le Pas de Sécheval, p. 273

Les embellissements des chapelles du chœur et la promotion de la peinture dans l’abbatiale

Commande partagée et compétition artistique : la question du « concours » entre peintres parisiens et le modèle des commandes royales

Les peintres de Saint-Riquier : une sélection inégale ?

Hagiographie et christologie : iconographie, « invention », et culture visuelle dans la peinture d’église

Les orgues et leur tribune, par Aline Magnien, p. 280

Les dépouilles de la Révolution, p. 293

Les fonds baptismaux de Notre-Dame, par Aline Magnien

Nicolas-Bertrand Lépicié, le Crucifiement, par Anne Le Pas de Sécheval

Les tableaux du XIXe siècle dans l’église abbatiale, par Pierre Curie et Didier Ryckner, p. 301

Bibliographie, p. 307

Index, p. 315

Table des illustrations, p. 322