Mathieu, Bernard - Meeks, Dimitri - Wissa, Myriam (éds.): L’apport de l’Égypte à l’histoire des techniques. Méthodes, chronologie et comparaisons
(Bibliothèque d’étude 142), ISBN:2-7247-0417-7, 20 x 27,50 cm. Prix : 35 €
(Institut français d’archéologie orientale du Caire [IFAO] 2006)
 
Recensione di Ludovic Lefebvre, Université de Rouen
 
Numero di parole: 1650 parole
Pubblicato on line il 2008-04-23
Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=107
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Cette publication fait suite à la réunion au Caire au mois de septembre 2003 de spécialistes venus faire le point sur une thématique peu connue du grand public : l’histoire des techniques. Plus précisément, l’apport de l’Égypte antique dans ce domaine, constituait le centre du propos qui permit à des chercheurs, venus des disciplines les plus diverses, de débattre.

Il est important de noter en préambule que les problèmes de définition, de sémantique et d’étymologie sont présents tout au long de cette étude, car celle-ci embrasse une période longue allant du IIIe millénaire (premières dynasties) jusqu’à l’époque toulounide (IXe siècle de notre ère) et aborde l’histoire des techniques les plus diverses. Autant dire par conséquent que ce livre est d’une grande richesse (vingt contributions sont recensées). Deux phrases clés sont ainsi énoncées par D. MEEKS (L’Égypte ancienne et l’histoire des techniques : Égyptiens et égyptologues entre tradition et innovation, p. 1-13). Celui-ci écrit en effet que « L’archéologie est à la fouille ce que la technologie est à la technique » (p. 2), et un peu plus loin : « La technologie, telle que nous l’entendons, est l’outil conceptuel qui permet de faire de l’histoire des techniques » (p. 5). L’auteur insiste sur l’importance de l’interdisciplinarité, de la complémentarité et de l’indispensable dialogue entre égyptologues et archéologues qui doivent user d’un langage commun pour aborder une discipline relativement jeune. Il insiste par ailleurs sur le fait que nous devons nous méfier de nos archétypes mentaux face aux techniques anciennes. Ce besoin de clarification, de précision du vocabulaire et de conceptualisation se retrouve dans d’autres contributions. Ainsi J. BOURRIAU, s’attachant à l’intérêt du public pour l’histoire des techniques, accorde une grande importance à la lexicographie (Technology in the Pottery of the Middle and New Kingdom : an Underrated Tool in the Archeologist’s Armoury, p. 31-43). W. WENDRICH dans son article intitulé Body Knowledge. Ethnoarcheological Learning and the Interpretation of Ancient Technology, p. 267-275, s’intéresse notamment au concept de chaîne opératoire cher à Leroi-Gourhan et analyse les différents stades mentaux de l’artisan conduisant à la fabrication de l’œuvre. De manière plus pragmatique, M. MOSSAKOWSKA-GAUBERT se penche sur le vocabulaire utilisé dans les textes, observe son évolution et démontre l’importance des indications géographiques dans les différentes appellations des tuniques (Quelques expressions grecques liées à l’aspect technique de la production des tuniques en Égypte, p. 169-184).

Il est en effet important d’essayer d’approcher le cadre mental de l’artisan et les conditions dans lesquelles il œuvrait pour cerner plus justement l’histoire des techniques. Les Égyptiens avaient des divinités protectrices de leur art, tels Ptah maître de tous les arts mais lié de manière plus approfondie avec l’art du métal, ou encore Thot pour les écrits et la parole. Cependant le travail manuel (par rapport notamment à celui du scribe), avec des nuances, était méprisé. B. MATHIEU, dans son article intitulé Techniques, culture et idéologie. Deux exemples égyptiens : les navires de Kaïemânkh et la toise du foulon, p. 155-167, relève ainsi que parmi vingt professions énumérées dans la Satire des Métiers remontant au Moyen Empire, visant à glorifier la profession de scribe, le métier de blanchisseur est situé entre l’ « univers sauvage et le monde civilisé et socialisé ». Le statut de l’artisan selon la fonction exercée est analysé tout au long de l’ouvrage grâce aux textes sur matériaux divers qui sont parvenus jusqu’à nous.

Le problème des influences extérieures, de l’exportation du savoir-faire égyptien et des échanges méditerranéens (Levant, Mésopotamie, Grèce, Anatolie et Rome pour l’essentiel) est vu à travers plusieurs contributions, telles celles de Ph. JOCKEY (Des premiers « kouroi » grecs et de leur éventuelle « paternité » égyptienne à la sculpture hellénistique : fragments d’une histoire technique helléno-égyptienne, p. 143-154) avec une réflexion sur le problème de l’antériorité de la sculpture égyptienne sur son homologue grecque (pureté du matériau, colossalité et monolithisme, rythmos et symmetria sont étudiés) ainsi que la vogue du bleu égyptien à l’époque alexandrine (l’auteur envisage un syncrétisme du savoir-faire) mais également de C. DEFERNEZ et S. MARCHAND (Imitations égyptiennes de conteneurs d’origine égéenne et levantine [VIe s. – IIe s. av. J.-C.], p. 63-99) avec un rappel des principaux courants commerciaux, mais également des imitations des produits étrangers accompagnées d’une augmentation des copies grecques et d’une disparition progressive des conteneurs d’origine chypriote et syro-palestinienne avec les conquêtes d’Alexandre. Dans la même optique, P. POMEY (Le rôle du dessin dans la conception des navires antiques. À propos de deux textes akkadiens, p. 239-249) s’attache à démontrer l’antériorité et la supériorité de la marine égyptienne sur la flotte hittite et à relativiser sa dépendance vis-à-vis de la marine levantine (la conceptualisation du dessin est évidemment mise en avant) et M. WISSA (Du rouleau de cuir au parchemin. Réflexion sur l’évolution d’une technique en Égypte, depuis les origines jusqu’au début de l’ère islamique, p. 277-301) démontre que les Égyptiens connaissaient l’utilisation du parchemin (une longue analyse est donnée sur la définition de celui-ci) avant le royaume de Pergame et que celui-ci s’attacha surtout à la perfectionner.

Il faut noter l’importance dans cette étude du souhait de porter à la connaissance du plus grand nombre plusieurs découvertes faites par plusieurs écoles d’archéologie et d’expliquer ce que représente l’ethnoarchéologie à cet effet. P. BALLET, F. BEGUIN, G. LECUYOT et A. SCHMITT retracent ainsi les fouilles effectuées depuis une quarantaine d’années dans l’antique Bouto (actuelle Tell el-Fara’in) de fours et de céramiques qui dévoilent des techniques de cuisson variées et inédites (De nouvelles techniques céramiques à Bouto, p. 15-30). D. CARDON, à partir de nouvelles découvertes de textiles par les archéologues dans le désert oriental égyptien (Haillons précieux. Développements du tissage et de la teinturerie en Égypte romaine d’après de récentes découvertes de textiles archéologiques, p. 45-61) estime que « l’étude de ces textiles produit une impression visuelle de chatoiement coloré, évoquant une société où la teinture des textiles était un art techniquement fort développé ». G. HADJI-MINAGLOU revient quant à elle sur les techniques de construction des Égyptiens du IVe siècle à l’époque impériale à partir de constructions fouillées récemment (La mise en œuvre de la brique à Tebtynis, p. 117-124) et K. INNEMEE soulève la question de l’origine des artisans qui œuvrèrent sur des peintures murales à Deir al-Surian datant du VIIIe siècle (Encausting Painting in Egypt, p. 133-139).

L’irruption d’un savoir-faire dans une société antique, sa maîtrise, sa disparition ou décadence et son renouvellement sont illustrés à travers l’article de R.-P. GAYRAUD, La réapparition des céramiques à glaçure en Égypte, p. 101-116. Cette technique apparue au deuxième millénaire disparut après le début de l’époque romaine puis fut de nouveau en vogue au début de l’époque islamique (IXe siècle) et eut un grand succès dans l’Occident. Autre grand savoir-faire égyptien : le verre ; M.-D. NENNA (Les artisanats du verre et de la faïence : tradition et renouvellement dans l’Égypte gréco-romaine, p. 185-205) rappelle à ce sujet que la faïence était bien implantée dès la période pré-dynastique et qu’elle jouissait d’une excellente réputation chez les auteurs classiques. La soude minérale (natron) fut utilisée pour sa fabrication des environs de l’an 1000 avant notre ère jusqu’au IXe siècle après J.-C. puis fut remplacée par les cendres des plantes. La faïence au contraire, aux époques hellénistique et impériale, était peu exportée et était considérée comme un produit exotique. Toujours concernant les matériaux nécessaires à la fabrication du verre, P. T. NICHOLSON (Petrie and the Production of Vitreous Materials, p. 207-215) revient sur les conclusions formulées il y a près d’un siècle par Sir Flinders Petrie, à partir des fouilles que ce dernier avait effectuées à Amarna et Kom Helul. À la lumière de nouvelles découvertes (examen de fours, fouilles de Memphis, Amarna et Kom Helul à nouveau) et sans naturellement minimiser l’apport de ce précurseur, l’auteur démontre les limites qui étaient imposées à celui-ci. Le problème des extractions des matériaux nécessaires aux artisans, des voies de communication pratiquées et de leur pérennité à travers le temps est traité par I. SHAW (« Master of the Roads » : Quarrying and Communications Networks in Egypt and Nubia, p. 253-261) qui conclut que trois facteurs principaux conditionnaient l’utilisation de ces routes : la quantité des minerais extraite, la topographie et les matériaux immédiatement disponibles pour la construction desdites routes.

Deux contributions se signalent enfin par leur originalité en raison du traitement des thèmes abordés :

  • La première, de V. PICHOT, Ph. FLUZIN, M. VALLOGGIA et M. WUTTMANN, est intitulée Les chaînes opératoires métallurgiques en Égypte à l’époque gréco-romaine : premiers résultats archéométriques et archéologiques, p. 217-237. Il s’agit du résumé d’un programme de recherche visant « entre autres à identifier à partir de nombreux vestiges archéologiques (minerai, scories, culots de forge, chutes métalliques, battitures, objets…) le type d’activité, l’organisation technico-sociale au sein des sites, ainsi que l’organisation spatio-temporelle de la circulation des produits (matières premières, demi-produits, produits finis) ». L’objectif est donc de retracer les différents processus qui préludent à la fabrication de l’objet et de le replacer dans son contexte. Plusieurs disciplines sont donc sollicitées et les résultats, les questions soulevées démontrent le travail qu’il reste à accomplir. Les auteurs souhaitent d’ailleurs en conclusion un approfondissement de la pluridisciplinarité (un lexique riche et très utile est annexé).
  • La seconde a été rédigée par S. IKRAM (Through Process to Product : Studying Meat Preservation in Ancient Egypt, p. 125-131). L’auteur dans un essai d’anthropologie sociale de reconstitution des pratiques de préservation de la viande par les Anciens, répertorie l’ensemble des moyens dont disposaient ceux-ci et les compare avec les usages des modernes Égyptiens.

Comme on peut le constater, cet ouvrage est riche et ouvre de nombreuses perspectives. Il a le mérite en outre de démontrer l’importance de l’interdisciplinarité dans un domaine qui peut paraître ardu au néophyte. Il faut noter à ce sujet que la grande majorité des articles comporte, à la suite des textes, des plans, figures et cartes très utiles au lecteur.