Recht, Roland (dir.): Recht, Roland - Sénéchal, Philippe - Barbillon, Claire - Martin, François-René, Histoire de l’histoire de l’art en France au XIXe siècle , Actes du colloque international, Paris, 2-5 juin 2004. 528 pages, 16x24 cm, 35 euros, ISBN : 978-2-11-006539-1
(La Documentation française, Paris 2008)
 
Compte rendu par Michèle-Caroline Heck, Université Paul Valéry - Montpellier 3
 
Nombre de mots : 2220 mots
Publié en ligne le 2009-04-04
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
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          Ce volume s’inscrit dans une réflexion sur l’histoire de l’art qui se développe actuellement tant pour les périodes plus anciennes qu’à travers l’étude de personnalités marquantes qui ont profondément marqué la genèse et le développement de cette discipline. Son propos est centré sur le XIXe siècle et sur la manière dont a alors été pratiquée l’histoire de l’art. Cette restriction chronologique n’est en rien une limitation, elle permet au contraire de mieux cerner les problématiques majeures. Les diverses contributions de ce colloque interrogent ainsi autant l’histoire elle-même que les méthodes et les figures essentielles d’historiens d’art. R. Recht, dans ses Remarques liminaires, définit les champs traditionnels de l’histoire de l’art. Il retrace les contours de la crise méthodologique qui est née en particulier à partir d’implications idéologiques et qui ont contribué à faire de l’histoire de l’art un objet anhistorique, et examine l’impact d’une prise de conscience nationale et l’impact des idéologies sur la définition de l’art. Pour dégager la singularité française, R. Recht resitue la méthodologie qui a présidé à l’analyse de son histoire dans le contexte de l’apparition de cette discipline, et s’appuie sur une réflexion sur les « nouveaux objets » et sur les nouvelles approches depuis le début du siècle au sein de l’école de Vienne, en Allemagne, en Italie.

          Autant que la diversité des figures, c’est la pluralité des méthodes, des outils et des références qui est mise en évidence. C. Hurley aborde ainsi la question de la bibliographie comme outil de connaissance, dont l’apparition dans les livres sur les Beaux-Arts correspond à une mutation de l’histoire de l’art qui s’ouvre à un public plus large. G. Bickendorf analyse l’émergence du mythe de l’histoire de l’art comme discipline germanique qui naît avec l’école de Berlin, et la nationalisation du champ disciplinaire autour de personnalités comme Waagen et Rumohr qui sont à l’origine d’une nouvelle attitude académique. Les liens qui existaient avec le reste de l’Europe sont rompus à partir de 1820, et cette rupture correspond à la création du musée et centrée sur l’invention d’une histoire nationale. A travers l’enseignement de l’art du Moyen Age de Jules Quicherat à l’école des Chartes, J.-M. Leniaud met en évidence les catégories référentielles (modèle historique, modèle scientifique, tant biologique que chimique) qui président à une conception de l’histoire de l’art et définissent le concept d’unité de style. G. Bresc-Bautier aborde la question du nationalisme et de l’évaluation normative de l’art à partir de l’exemple de la Renaissance française. Il montre comment au sein d‘une conception cyclique de l’histoire se définit la notion de foyer, de climat, de périodisation qui se manifeste dans la volonté pédagogique de découper l’histoire et l’art en « tranches » définies, selon des normes précises que l’on cherche à légitimer. La question des références pour l’élaboration d’une histoire de l’art est également abordée par P. Vaisse à propos de Courajod (son rôle particulier dans la valorisation de l’art italien, sa conception du rapport entre le monde gothique et la renaissance et sa position sur la latinisation de l’Antiquité et l’exclusion de la Grèce) et P. Sénéchal à propos de M. Reymond et de son refus, au nom de la modernité, de l’influence antique à laquelle il substitue, pour la Renaissance, les sources chrétiennes. Les modalités et mutations du discours sur l’art pendant la Révolution sont analysées par D. Poulot. La conception antiquaire se transforme alors en une histoire dans une perspective plus large, plus universelle dans laquelle le musée, le monument, au même titre que le grand homme, s’inscrivent dans un passé national, dans une dynamique de progrès et dans la catégorie de la célébration en relation directe avec une cité ou une nation.

 

            Un certain nombre de communications interrogent la place et le rôle des illustrations dans les livres d’histoire de l’art. D. Mondini se penche ainsi sur le discours visuel des planches de Seroux d’Agincourt qui engendre une lecture visuelle ; donne une place privilégiée à la comparaison, à la classification, en analogie avec les grands systèmes taxinomiques et induit directement la mise en place d‘une conception nouvelle du progrès et l’émergence d‘un regard méthodique aboutissant à une esthétique scientifique. Sans doute parce qu’elle a pour objet des monuments, cette démarche est pourtant rare dans la première moitié du XIXe siècle en France, comme le montre P. Griener. La France reste en effet à l’écart du mouvement européen de publication de livres d’art pendant la 1ère moitié du XIXe siècle, et les premiers ouvrages d’histoire de l’art restent sans illustrations. La forme du discours reste l’ekphrasis, le commentaire, la biographie, et la référence est alors, plus que la gravure dont on considère qu’elle oblitère le chef d‘œuvre, le tableau lui-même. F. Hamon analyse également le rôle de l’image et du regard de l’architecte-dessinateur dans l’histoire de l’architecture, en s’appuyant sur l’historiographie du médiévalisme. S. Aubenas analyse l’apport de la reproduction qui correspond à l’apparition de nouvelles méthodes en histoire de l’art qui s’appuient sur des photographies. 

 

          Les enjeux du discours sur l’art sont étudiés sous l’angle de l’approche des connaisseurs français par D. Levi. Le propos de Thoré ou de T. Gautier est de transcrire une étude visuelle de l’œuvre d’art en un discours qui parle à un public de plus en plus exigeant en associant le souci d’une analyse sérieuse propre à l’expert, une narration qui s’inscrit dans la biographie de l’artiste et l’expérience visuelle et esthétique de l’auteur. Un autre enjeu est bien défini par M. Gottlieb, celui de la quête des origines derrière les biographies d’artistes proposée par Vasari, correspond au but de l’histoire de l’art de se débarrasser du mythe. Dans cette perspective, C. Georgel analyse le rôle des collections et des musées et les inflexions que ceux-ci donnent à l’histoire de l’art. Le lien entre collectionneur et histoire est également approfondi par M. Tomasi à propos de l’Histoire des arts industrieux de Jules Labarte, lien qui définit la structure même de l’ouvrage, alors que la méthodologie employée se caractérise par une double maîtrise des sources et des œuvres.

 

          La question du rapport entre critique ou esthétique et histoire de l’art est abordée par P. Junod à propos de Gautier et de Baudelaire, et de leur rôle dans la transformation d’une histoire des artistes en une histoire des arts. E. Jollet traite du cas de Taine qui se situe entre histoire de l’art, esthétique et histoire, et associe déterminisme historique, psychologie de l’art qui prend pour objet le processus créatif, et cherche à préserver l’expérience de l’œuvre d’art  face au poids de l’érudition. La frontière entre esthétique et histoire de l’art est plus perméable autour de 1900 : Robert de la Sizerane fait ainsi partie de ces critiques qui, comme le montre S. Bann, a l’ambition de dresser un état visuel de son temps en combinant la sensibilité de l’esthéticien et juste appréciation de l’historien.

 

          Diverses conceptions souvent issues d’autres disciplines viennent également enrichir le discours de l’histoire de l’art. D. Gamboni examine ainsi la notion de suggestion (issue de la médecine et de la psychologie, et qui touche également l’esthétique et la critique) et le rôle actif de récepteur qu’elle suggère, c’est-à-dire la participation du spectateur dans l’expérience de l’œuvre d’art ; il montre la manière dont cette notion a infléchi l’histoire de l’art, en particulier dans l’œuvre de Focillon. A. Thomanine s’intéresse à une autre mutation dans la conception de l’histoire de l’art et plus particulièrement de l’architecture, qui est intervenue grâce au recours aux modèles orientaux pour comprendre et expliquer l’architecture occidentale. D. Jarassé démontre que l’analogie entre art et langage a engendré une ethnicisation favorisée par la mise en place et l’adoption d’un modèle philologique comparatiste, et l’utilisation de la référence à la linguistique naturaliste. Le recours à des conceptions empruntées à des théories ou à des mythes raciaux a aussi marqué l’analyse de la production des œuvres d’art et l’histoire de l’art entre 1840 et 1870. L’ethnicisation emprunte également des voies différentes, plus nationalistes comme le montre F.-R. Martin à propos de l’histoire de l’art de l’Alsace qui, entre une histoire de l’art française et une Kunstgeschichte allemande, cherche à affirmer et ses particularités et ses revendications artistiques en définissant un espace homogène. A travers les figures éminentes de Louis Dimier et plus particulièrement de Jules Renouvier, H. Zerner analyse les implications de l’idéologie politique dans l’histoire de l’art que ce soit dans les références choisies, les goûts et les jugements, ainsi que dans les options définies. N. Mc William développe le rapport ambigu entre érudition et engagement politique de L. Dimier en confrontant l’érudit et le royaliste.

 

          D‘autres approches de l’œuvre d’art, à travers des aspects plus formels, forment des outils de référence nouveaux pour l’histoire de l’art. R. Rosenberg fait ainsi une histoire de l’étude des schémas de composition et la manière dont, au cours du siècle, ils deviennent  moyen de démonstration et servent alors à une éducation de l’œil. Tout en élucidant les effets de la peinture, ils contribuent à l’examen de l’œuvre d’art. Un souci d’analyse identique apparaît dans l’emploi de la métaphore de la grammaire qui est utilisée de manière récurrente dans la littérature artistique (dans les manuels techniques ou dans les ouvrages d’histoire de l’art) de la 2ème moitié du XIXe siècle en France, et qui préside à la mise en place de normes, de méthodes, de catégories cohérentes. Dans la même perspective de recherche sur les fondements formalistes de l’histoire de l’art et de la connoisseurship, J. Anderson présente les relations que Morelli entretient avec la France, en particulier avec les conservateurs du Louvre.

 

          Le volume s’achève sur deux articles qui abordent la question de la modernité. M. Zimmermann définissant chez Apollinaire l’artiste et le critique comme des historiens contemporains, analyse les concepts de nouveauté et d‘historicité en relation avec celui de sublime. Il montre comment ces notions ouvrent la voie à l’orphisme et comment le poète se situe comme historien de l’art. P. Mainardi cerne les contours d‘une écriture sur l’art du XIXe siècle et définit les modifications apportées au XXe siècle par la prise en compte de l’analyse institutionnelle de l’art à travers les expositions et l’étude du marché de l’art, par une revalorisation des canons, par la prise en compte des identités politiques, par un intérêt nouveau pour l’histoire sociale de l’art, qui ensemble ont fait prendre conscience de l’importance d’autres formes de l’art, et ont ainsi modifié les contours de l’objet de l’histoire de l’art et défini culture visuelle plus large. Cette modification des frontières de l’art s’accompagne d’un nouvel intérêt pour l’interdisciplinarité qui associe à l’histoire de l’art à des domaines comme la littérature, l’anthropologie, la sociologie et la psychologie.

 

          On peut déplorer que les éditeurs du colloque n’aient pas eu le souci d’articuler l’ensemble des contributions en sections. Cela aurait considérablement aidé le lecteur de même qu’on peut regretter l’absence d’index. Il n’en reste pas moins que, par le nombre de communications cet ouvrage offre un panorama presque complet de l’histoire de l’histoire de l’art au XIXe siècle même si certains figures restent encore peu étudiées comme par exemple André Michel, dont l’Histoire de l’art n’est présentée que sous l’aspect de la photographie par H. Dilly.

 

            Par la richesse de ces approches, ce volume apparaît ainsi comme un complément important du colloque publié par Edouard Pommier (Histoire de l’histoire de l’art, Paris, 1995, 2 volumes) donnant aux chercheurs des instruments essentiels pour une réflexion stimulante sur leur propre discipline, ses méthodes et ses enjeux.

 

Sommaire :

 

Remarques liminaires, Roland Recht, p. 7-15.

« L’art de rassembler : la naissance de la bibliographie systématique en histoire de l’art », Cecilia Hurley, p. 17-34.

« The Berlin School and the Republic of Letters », Gabriele Bickendorf, p. 35-46.

« Projecteur sur une zone d‘ombre dans l’histoire de l’histoire de l’art médiéval : le cours inédit d‘archéologie médiévale de Jules Quicherat (1814-1882) », Jean-Michel Leniaud, p. 47-68.

« La bataille dure encore entre les Pontifes de l’Antiquité et les Paladins du Moyen Age », Geneviève Bresc-Bautier, p. 69-93.

«  Courajod et le problème de la Renaissance », Pierre Vaisse, p. 95-112.

«  Marcel Reymond et la haine de l’antique  », Philippe Sénéchal, p. 113-126.

« Notes pour une anthropologie historique de l’histoire de l’art : le cas de l’histoire de l’art pendant la Révolution française », Dominique Poulot, p. 127-151.

« Apprendre à voir l’histoire de l’art. Le discours visuel des planches de l’Histoire de l’Art par les monuments de Séroux d’Agincourt», Daniela Mondini, p. 153-166.

« Le livre d’histoire de l’art en France (1810-1850) – une genèse retardée. Pour une nouvelle étude de la littérature historiographique », Pascal Griener, p. 167-185.

« 1800-1840 – Le regard de l’architecte-dessinateur », Françoise Hamon, p. 187-196.

« Connaisseurs français du milieu du XIXe siècle : tradition nationale et apports extérieurs », Donata Levi, p. 197-214.

« Histoire/ histoires : sur les traces de Léonard », Marc Gotlieb, p. 215-227.

« Photographies d’œuvres d’art anciennes au XIXe siècle : bilan et perspectives de la recherche », Sylvie Aubenas, p. 229-239.

« Le collectionneur et le musée ou comment infléchir l’histoire de l’art ? », Chantal Georgel, p. 243-253.

« De la collection à l’histoire : sur la genèse et la structure de l’Histoire des arts industriels au Moyen Age et à l’époque de la Renaissance de Jules Labarte », Michele Tomasi, p. 255-266.

« De l’histoire de l’art selon Gautier et Baudelaire », Philippe Junod, p. 267-277.

« L’histoire de l’art entre histoire et esthétique : le cas de Taine », Etienne Jollet, p. 279-289.

« Robert de la Sizeranne : entre l’esthétique et l’histoire », Stephen Bann, p. 291-310.

« De Berheim à Focillon : la notion de suggestion entre médecine, esthétique, critique et histoire de l’art », Dario Gamboni, p. 311-322.

« Art d’Orient/ Art d’Occident. Les débats sur l’apport oriental dans l’architecture médiévale française au XIXe siècle », Alice Thomine, p.323-336.

« Ethnicisation de l’histoire de l’art en France 1840-1870 : le modèle philologique », Dominique Jarrassé, p. 337-359.

« L’histoire de l’art des vaincus. L’Alsace et son art dans l’historiographie française entre 1870 et 1918 », François-René Martin, p.361-377.

« Etudier et photographier. Arthur Haseloff, ein deutscher Mitarbeiter von André Michels Histoire de l’art », Heinrich Dilly, p. 379-390.

« Histoire de l’art et idéologie politique chez Jules Renouvier et Louis Dimier », Henri Zerner, p. 391-401.

« Erudition et engagement politique : la double vie de Louis Dimier », Neil McWilliam, p. 403-417.

« Le schéma de composition, outil et symptôme de la perception du tableau », Raphael Rosenberg, p. 419-431.

« La grammaire comme modèle de l’histoire de l’art », Claire Barbillon, p. 433-445.

« Giovanni Morelli and the French », Jaynie Anderson, p. 447-461.

« Apollinaire historien du présent : invention et destin de l’orphisme » Michael F. Zimmermann, p. 463-483.

« Writing Nineteenth-Century Art, Then and Now », Patricia Mainardi, p.485-499.