Desbuissons, Frédérique (éd.): Jacques-Nicolas Paillot de Montabert (1771-1849). Idées, pratiques, contextes. Actes du colloque des 4 et 5 mai 2007 à Troyes et Saint-Julien-les-Villas, Ouvrage broché. Format 16 x 24 cm. 223 pages. Illustrations en couleurs. ISBN 978-2-87825-464-8. 24 euros. Publié en partenariat avec l’Institut national d’histoire de l’art (Paris)
(Editions Dominique Guéniot, Langres 2009)
 
Recensione di Marie-Claude Chaudonneret, CNRS
 
Numero di parole: 2353 parole
Pubblicato on line il 2011-01-31
Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1094
Link per ordinare il libro
 
 


          Jacques-Nicolas Paillot de Montabert est surtout connu pour son monumental Traité complet de la peinture, ouvrage en neuf volumes publié de 1828 à 1829. En revanche, l’œuvre peint de cet élève de David a sombré dans l’oubli ou le mépris. Peu d’œuvres du peintre sont conservées dans les collections publiques ; seul le musée Saint-Loup de Troyes conserve un ensemble significatif. Il revenait donc à Troyes, la ville natale du peintre, de le redécouvrir et de lui rendre hommage. Le musée Saint-Loup lui consacra, du 5 mai au 9 septembre 2007, une exposition ; dans le même temps, à l’initiative du Centre d’études et de recherche en histoire culturelle (CERHIC) de l’Université de Reims Champagne-Ardenne et de La Maison du patrimoine de l’Agglomération Troyenne, Frédérique Desbuissons et Richard Wrigley organisaient un colloque sur l’enfant du pays, colloque international qui réunissait historiens, historiens de l’art, plasticiens. Les textes des communications ont été réunis par Frédérique Desbuissons et publiés en un volume d’actes intitulé Jacques-Nicolas Paillot de Montabert 1771-1849. Idées, pratiques, contextes, le sous-titre indiquant bien que c’est toute la complexité du personnage qui est ici envisagée. Dans le texte introductif, A la recherche de l’artiste perdu (p. 15-28), Frédérique Desbuissons constate que l’activité d’écrivain de Paillot a rapidement supplanté, voire éclipsé sa carrière de peintre, que l’on a fini par retenir de Paillot uniquement son volumineux Traité complet de la peinture. La réhabilitation de l’artiste paraissait d’autant plus difficile qu’elle avait échoué du vivant même de Paillot. Pour le redécouvrir il ne fallait donc pas dissocier les diverses facettes du personnage mais bien envisager à la fois le peintre et le savant, le théoricien qui mit en pratique ses recherches sur la peinture à l’encaustique. Ce colloque répondait à un véritable besoin, celui de susciter des études pour mieux connaître l’artiste, sa production, son milieu social. Il fournissait également l’occasion de mieux comprendre le statut de l’artiste, les stratégies de conquête de la célébrité dans la France post-révolutionnaire, période qui mobilise encore trop peu l’attention des historiens de l’art. Il s’agissait également, en redécouvrant un peintre méconnu et qui n’a jamais bénéficié d’une grande notoriété, de « mettre en lumière les mécanismes d’intégration et de marginalisation des artistes entrant dans la carrière des arts entre la fin de la période révolutionnaire et l’Empire ».

 

          Les onze communications sont réparties en trois sections. La première (Emigration, formation, carrière) a pour objectif de donner de la consistance à la vie et à la carrière de l’artiste qui comprend de nombreuses zones d’ombre. Karine Rance (Les trois vies de Paillot de Montabert, p. 31-39) cherche à élucider la période la plus obscure et la plus mystérieuse de la vie de Paillot, la période révolutionnaire. D’une famille de petite noblesse de province, il aurait, pendant ces années sombres, parcouru une partie du monde, de l’Egypte aux Etats-Unis, et ce, semble-t-il, en tant qu’émigré. D’autres témoignages suggèrent qu’il quitta la France en 1793 pour s’enrôler dans la Marine de la République. K. Rance réexamine ce dossier à partir des sources policières. Elle constate que le nom de Paillot figure bien sur la liste des émigrés mais un autre document révèle que ses parents obtinrent provisoirement, en 1797, sa radiation de cette liste. De retour à Paris en 1801 Paillot était bien considéré comme un émigré, puis il fut amnistié en 1801. Sous la Restauration, profitant de ces éléments biographiques contradictoires, il se créa une figure de noble contre-révolutionnaire. Dès 1814 il écrivait au chef du gouvernement de Louis XVIII, le comte de Blacas, qu’il avait émigré en 1789 et avait mis à profit son exil pour étudier les beaux-arts. Cette lettre ne démontre rien ; comme tant d’autres artistes qui tentaient de survivre dans cette situation nouvelle, Paillot cherchait à obtenir des travaux en se créant une image de bon royaliste. Qu’il soit perçu comme défenseur de la patrie républicaine ou émigré contre-révolutionnaire, Paillot fut surtout un opportuniste habile qui sut tirer le meilleur parti des circonstances. Selon Karine Rance, Paillot était indifférent à la politique ; il aurait multiplié les déclarations contradictoires, brouiller les pistes pour éviter que « la lumière soit faite sur un récit qui s’apparente au légendaire ». Anne Lafont (« Roustam » et le couvent des Capucines, ou le clan davidien hors les murs, p. 41-52) se penche sur l’apprentissage de Paillot chez David en 1805 et les relations qui se sont nouées au sein du couvent des Capucines, annexe de d’atelier de David. A juste titre, l’auteur souligne que, à la suite de l’ouvrage de Thomas Crow, on a eu tendance à oublier combien le second atelier de David différait du premier. La filiation traditionnelle maître-apprenti avait disparu au bénéfice de liens transversaux, intergénérationnels. Ainsi, au couvent des Capucines, Gros et Girodet dominaient l’atelier ; c’est là qu’ils élaborèrent leurs premiers tableaux « orientalistes ». Tandis que le premier fabriquait l’image de la campagne d’Egypte, le second peignait ses portraits de Mamelouk. Si Gros occupait le devant de la scène, Girodet faisait office de modèle pour certains de ses camarades auprès desquels il exerçait un véritable ascendant. C’est dans ce contexte que Paillot élabora son Portrait de Roustam. Ce portrait, le seul de ce type dans l’œuvre de Paillot, ne doit pas, selon Anne Lafont, être envisagé comme une œuvre isolée du peintre mais comme le fruit de l’agitation, de l’émulation du couvent des Capucines qui « fonctionna comme un centre d’art pendant dix ans ». Roustam serait alors « le produit d’une élaboration collective » dont « l’auteur serait le couvent et le fabriquant Paillot ». C’est la carrière de peintre de Paillot et la réception de ses œuvres que Catherine Granger (Paillot de Montabert au Salon, 1802-1831, p. 53-67) aborde en étudiant la participation de l’artiste au Salon. Il exposa régulièrement de 1802 à 1817 en envoyant à la fois des peintures d’histoire et des portraits, ces derniers appartenant, selon l’artiste, à un genre particulier et non secondaire, un genre difficile « puisque le beau doit être associé au vrai et fondu avec lui ». Le Salon de 1812 constitua un tournant dans la carrière du peintre : pour la première fois il présenta des tableaux peints à l’encaustique. Les critiques ont rarement rendu compte des peintures de Paillot et, quand ils le font, l’accueil est loin d’être enthousiaste. Ainsi, en 1814, Gault de Saint-Germain affirmait que Paillot était plus un érudit qu’un peintre ; sa connaissance des maîtres des treizième et quatorzième siècles, son goût pour un certain primitivisme n’en faisaient pas un talent original, Ingres, que pourtant le critique n’aimait pas, lui étant, dans cette recherche d’archaïsme, indiscutablement supérieur. Paillot exposa pour la dernière fois en 1817 un nouveau tableau à l’encaustique, Diane visitant Endymion (dont un détail est reproduit sur la couverture des actes). Charles-Paul Landon, le seul critique à mentionner cette œuvre, notait qu’elle fut retirée du Salon quelques jours après l’inauguration, sans que l’on sache pourquoi. Après ce qui semble bien être un échec, le peintre n’exposa plus et se consacra à l’érudition, et c’est sa qualité d’écrivain qu’il mit en avant pour solliciter la Légion d’honneur en 1843. Marianne Guérin (Paillot de Montabert et la vie culturelle troyenne, p. 69-79) s’interroge sur la position de Paillot au sein de la ville de Troyes, sur son implication dans la vie socio-culturelle. L’auteur souligne que Troyes connut une vie culturelle beaucoup plus importante que ses voisines Reims et Châlon ; elle bénéficia notamment de deux institutions fondées sous l’Ancien régime et réactivées sous le Directoire, une Académie et une Ecole de dessin. D’autre part, la ville s’engagea très tôt à soutenir financièrement les artistes et les institutions, ainsi que les sociétés savantes qui se mettaient en place à partir de la Restauration : Marianne Guérin évalue, pour les années 1820-1840, à 2% ou 3% la part du budget municipal consacrée à la vie artistique. Comme la grande majorité des artistes, Paillot fut membre de la Société académique de l’Aube mais, s’il fit bien figure de notable local, il semble qu’il fut peu impliqué dans la vie culturelle locale. Il fut, en effet, absent des diverses manifestations organisées régulièrement à Troyes alors que la plupart des artistes troyens furent très engagés dans la vie locale.

 

          La deuxième section de ce volume d’actes (Pratiques critiques) est consacrée au savant et au pédagogue. Jean Da Silva (Byron à Taiwan, p. 83-94) narre sa visite au musée Chi Mei à Taiwan où il découvrit un Portrait de Byron par Paillot de Montabert. Il rapproche, d’une façon convaincante, ce portrait du tableau intitulé Un artiste présenté à une exposition des peintures à l’encaustique, organisée à Troyes en 1843. Ce tableau, exécuté en 1823 alors que le peintre travaillait à son Traité complet de la peinture, serait un portrait de l’artiste idéal, tel que Paillot le décrit dans le huitième volet de son ouvrage. Paillot, dès 1814 avait mis en avant son rôle dans la connaissance de la technique de l’encaustique, technique qu’il avait pratiquée et qu’il entendait promouvoir avec son Traité complet de la peinture. C’est le dernier chapitre du neuvième tome du Traité, chapitre entièrement consacré à la peinture à l’encaustique, que Michel Bulcourt (Tentative d’approche de la peinture encaustique, suivi de l’invention de Paillot de Montabert, p. 95-126) analyse en nous apportant ses connaissances et son expérience de praticien. Il décrit précisément les différentes composantes de la peinture à l’encaustique et l’innovation de Paillot. Enfin, Michel Bulcourt donne son expérience de peintre ayant pratiqué la peinture encaustique et dit son admiration pour ces artistes qui ne bénéficiaient pas des moyens modernes de chauffe et qui préparaient eux-mêmes les très nombreux éléments nécessaires à cette technique. Clotilde Roth-Meyer (Paillot de Montabert et les marchands de couleurs : une histoire haute en couleurs…, p. 111-126), après des généralités sur le métier de marchand de couleurs, relève, dans le Traité complet de la peinture, les mentions de ce type de commerce. Elle note que Paillot regrettait que ses contemporains fassent trop confiance à ces marchands ; ce qui n’est pas étonnant quand on sait, comme Michel Bulcourt l’a bien souligné, le soin que le peintre apportait à la fabrication de ses pigments. Le goût pour la pédagogie dont Paillot fit preuve sous la monarchie de Juillet alors qu’il renonçait à peindre n’a, pas plus que sa brève carrière de peintre, contribué à une reconnaissance officielle comme le montre Renaud d’Enfert (Paillot de Montabert, pédagogue et réformateur de l’enseignement du dessin, p. 127-140). Si Paillot manifesta très tôt son intérêt pour le dessin, ce ne fut que dans les années 1830-1840 qu’il livra ses conceptions didactiques pour réformer l’enseignement du dessin, le volumineux Traité complet de la peinture, mais aussi deux manuels Le Dessin linéaire enseigné aux ouvriers (1832) et le Guide des élèves en dessin linéaire(1839). Dans ces deux derniers ouvrages, conçus comme des manuels destinés aux élèves des écoles primaires, il exposait sa méthode basée sur le tracé de figures géométriques et non sur l’étude d’après le modèle vivant. Dénonçant le système académique incapable selon lui de former de bons artisans et croyant à la fonction sociale de l’artiste, il conçut une méthode susceptible d’atteindre les classes populaires. L’enseignement de ce qu’il dénomma « le dessin linéaire » était le premier stade d’une méthode qu’il pensait pouvoir être appliquée à « tous les arts », une méthode qui devait utile aussi bien aux artistes qu’aux ouvriers et artisans. Mais Paillot n’a jamais pu faire homologuer ses manuels par la Commission d’examen des livres élémentaires du Conseil de l’Instruction publique. Sa tentative d’enseigner sa méthode à Troyes se solda également par un échec, ses adversaires lui reprochant de bousculer les convenances académiques.

 

          La troisième section (Le « peintre-philosophe ») est consacrée au théoricien, à celui qui chercha à allier culture historique, réflexion théorique et pratique du métier. Les trois articles de cette dernière partie proposent une relecture de certains chapitres du Traité complet de la peinture pour éclairer des points précis. Richard Wrigley (L’Artiste dans son temps : Paillot de Montabert, le climat et la création, p. 143-170) pose la question des effets du climat sur la production artistique. Les idées de Paillot sont inattendues puisque, à contre courant de ce qui était développé depuis les Lumières, il ne pensait pas que le climat ait un impact sur l’artiste. Celui qui avait été dans l’atelier de David un dissident, proche du groupe des Barbus, montrait non seulement son indépendance d’esprit mais aussi une volonté de contester une doctrine « officielle », de défendre une certaine autonomie de l’art. Dans sa démonstration, il réfutait méthodiquement les arguments sur l’influence du climat diffusés par les deux théoriciens du néoclassicisme, Winckhelmann et Quatremère de Quincy. En s’en prenant à Quatremère de Quincy (secrétaire perpétuel de l’Académie des Beaux-Arts depuis 1816), il s’en prenait indirectement à une institution. A Quatremère de Quincy qui affirmait que le climat romain permettait à un artiste de percevoir le beau et de se former, Paillot répondait que transporter un artiste ignorant à Rome ne le transformera pas en génie. Ceci l’amenait à contester l’utilité du séjour à l’Académie de France à Rome, idée qui participe de sa critique plus générale de l’enseignement artistique. Paillot s’érigeait encore contre la doctrine académique quand il exposait ses théories des proportions et que met en lumière Claire Barbillon (Type et archétype dans la théorie des proportions de Paillot de Montabert, p. 155-170). Cette volonté de rénover la pédagogie fut saluée plus tard par Charles Blanc qui, dans sa Grammaire des arts du dessin publiée en 1867, se référait longuement aux théories de Paillot. Chiara Savettierri (« Il faut que la peinture adopte, comme le musicien, un mode » : peinture et musique dans la pensée esthétique de Paillot de Montabert, p. 171-187) envisage une autre idée développée par Paillot sur la formation de l’artiste : la musique fait partie des connaissances que le peintre doit cultiver. Fasciné par la force d’expression de la musique, Paillot établissait des analogies entre la musique et la peinture. Certes, il croyait à l’autonomie de la peinture mais soulignait également « les rapports intimes » entre musique et peinture, les deux arts ayant « des règles et des rapports qui sont presque les mêmes ». Aussi, il chercha à transposer à la peinture la théorie des modes musicaux. Les modes musicaux, comme les signes optiques, sont les vecteurs de sentiments et d’idées. Ceci conduisit Paillot à refuser la vieille hiérarchie des genres selon laquelle la valeur d’un tableau dépendait de la noblesse du sujet ; il refusait la primauté du sujet et mettait en avant la capacité des moyens picturaux à exprimer une idée ou un sentiment. Comme le musicien, le peintre doit chercher un « mode » propre au sujet qu’il veut représenter. Ces trois articles soulignent donc fortement le goût pour la pédagogie de Paillot de Montabert et aussi son anticonformisme, sa volonté de trouver un palliatif au système académique. Il rejoignait ainsi les contestations de bien des artistes de cette génération dite romantique.

 

          En cherchant à décloisonner les diverses facettes du « peintre-philosophe », notamment en replaçant le fameux Traité complet de la peinture dans un large contexte, en ne séparant pas les théories de la pratique du métier, ce colloque a apporté une contribution substantielle à notre connaissance de Jacques Paillot de Montabert. Le volume d’actes ouvre donc de nombreuses pistes qui seront peut-être exploitées, les futurs chercheurs pouvant dorénavant bénéficier de la généreuse donation de Jacques Paillot de Montabert. Le descendant de l’artiste a annoncé, au moment de l’organisation du colloque, tout comme il l’avait comme annonçé dans son allocution inaugurale publiée en tête de cet ouvrage, son intention de léguer les archives de sa famille aux Archives départementales de  l’Aube.