Ricci, Cecilia : Soldati e veterani nella vita cittadina dell’Italia imperiale (URBANA SPECIES. Vita di città nell’Italia e nell’Impero romano), 148 p., 16 ill. in b/n, Brossura 17x24, Isbn: 978-88-7140-431-8, € 15,00
(Edizioni Quasar, Roma 2010)
 
Rezension von David Colling, Université catholique de Louvain
 
Anzahl Wörter : 1447 Wörter
Online publiziert am 2010-08-20
Zitat: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1099
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          Avec ce titre, Cecilia Ricci présente le premier volume de la collection Urbana Species, qu’elle dirige avec Maria Grazia Granino Cecere. À travers des thématiques particulières, dont la première porte sur l’armée, les directrices de la collection désirent ouvrir la discussion sur l’existence d’une classe moyenne au sein de l’Empire romain. Mais cette discussion n’est pas neuve, et l’auteur rappelle en préambule de l’ouvrage que certains savants se sont déjà penchés sur la question, à l’instar de P. Veyne qui, en 2005, chercha à savoir quelles classes sociales l’on pouvait insérer dans ces termes génériques de « classe moyenne », en s’interrogeant sur la pertinence même de parler de classes dans une société davantage divisée en ordines (1). C. Ricci s’appuie aussi abondamment sur G. Alföldy, qui s’intéressa plus particulièrement à la situation des militaires et vétérans par rapport au reste de la société,  malgré toute la difficulté qu’implique l’analyse de l’institution militaire, tellement diversifiée dans sa composition et sa hiérarchie.

 

          L’auteur a choisi d’axer son étude sur les simples soldats, jusqu’au grade de centurion, ainsi que sur les vétérans qui ont occupé des fonctions civiles après leur service militaire. En plaçant l’individu au centre des préoccupations, et plus particulièrement l’individu le plus humble de l’armée, cet ouvrage s’inscrit parfaitement dans les créneaux de recherches actuels sur l’armée romaine : « Les enquêtes sur les armées romaines de la période impériale… évoluent de plus en plus vers un autre regard… L’individu réel a remplacé la logique organisatrice, les exceptions et les situations concrètes sont mises en avant par une histoire anthropologique qui, dans le domaine de l’armée, n’en est encore qu’à ses balbutiements » (2). Le cadre géographique s’étend sur le territoire de l’Italie romaine, à l’exception notable de la ville de Rome, et la période concernée court de la dynastie julio-claudienne jusqu’aux Sévères. Les principales sources sont d’ordre épigraphique. Les militaires retenus n’ont pas été étudiés pour leur fonction dans l’armée ou pour leur valeur sur les champs de bataille, mais bien pour leur capacité à s’intégrer dans la société dont ils étaient issus ou dans laquelle ils avaient choisi de s’établir. Cela se concrétisait généralement par une implication dans la vie sociale et politique de la cité.

 

          Dans son introduction, C. Ricci insiste sur la grande diversité des réalités et des fonctions militaires abordées, entre le simple gregalis et le grade de centurion, montrant bien l’intérêt d’aborder l’étude des échelons les plus bas de la hiérarchie. En outre, l’accent est mis sur l’importance du critère de la citoyenneté requise dans la légion, ainsi que dans les unités de la garnison de Rome : la citoyenneté est fondamentale dans ce contexte, car elle représente le lien entre l’armée civique traditionnelle et l’armée de métier de l’époque impériale. Cet aspect d’armée professionnelle est d’ailleurs évoqué dans deux sous-titres de la partie introductive consacrés aux « soldats citoyens et au métier de soldat » ainsi qu’au « métier de vétéran ». Ce dernier sous-titre peut paraître quelque peu contradictoire de prime abord, étant donné que le vétéran est par définition un retraité de l’armée. Mais les différentes occupations des vétérans de la légion ou de la garnison de Rome prouvent qu’ils jouaient un rôle socio-économique majeur dans leur cité et dans leur province. Ici encore, l’auteur est en phase avec les recherches en cours en la matière, car c’est précisément au « métier de soldat » qu’est consacré le Ve Congrès de Lyon sur l’armée romaine, en septembre 2010, rassemblement devenu un événement incontournable pour les chercheurs de l’histoire militaire de Rome.

 

          Après la partie introductive (p. 9-28), l’ouvrage est divisé en deux chapitres : « Le rôle des soldats et des vétérans dans les cités de province : un aperçu » (p. 29-52) et « Soldats, vétérans et cités en Italie » (p. 53-98). Le premier chapitre passe ainsi en revue l’état des connaissances pour toutes les provinces de l’Empire, excepté l’Italie, tentant de dresser, pour chacune d’entre elles, les grandes tendances des relations connues entre les soldats et vétérans d’une part, et les cités d’autre part. Bien entendu, il ne s’agit ici que d’un très bref aperçu des recherches réalisées ou en cours pour toutes ces régions ; l’auteur renvoie d’ailleurs, pour chaque province, à une bibliographie abondante et récente. Cette première partie sert d’assise comparative au développement consacré à la péninsule italique.

 

          Dans le second chapitre, l’auteur a rassemblé toutes les attestations épigraphiques des milites et des vétérans qui, à l’époque impériale et dans les cités italiennes, ont reçu des magistratures ou des sacerdoces municipaux, ont fait partie de l’ordo local, ou encore ont comblé certaines cités par des actions d’évergétisme. Cela concerne en tout soixante-cinq documents épigraphiques, qui renvoient à soixante-six personnages.

 

          Avant l’exploitation et l’analyse proprement dites des différentes sources, l’auteur les présente classées en tableaux. Les militaires sont présentés selon un ordre hiérarchique : d’abord les simples gregales, ensuite les immunes et principales et enfin les centurions et décurions. La même logique est appliquée pour les vétérans : ex gregalibus, ex immunibus et principalibus / evocati, ex centurionibus. Pour chaque numéro d’inventaire attribué, les tableaux renseignent les informations suivantes : le nom du militaire ou du vétéran, son unité d’appartenance, le type de source concernée, la fonction du militaire dans la cité, la région de découverte, quelques renvois bibliographiques, la datation la plus précise possible.

 

          L’analyse de la documentation épigraphique est segmentée en quatre parties : 1. La distribution géographique et chronologique (p. 61-66), 2. Les différentes catégories de militaires (p. 66-73), 3. Les ressources économiques utilisées par les militaires essentiellement dans les dédicaces religieuses et dans l’évergétisme (p. 73-92) et enfin, 4. Le rôle des militaires au sein de la curie et de la gestion de la res publica (p. 92-98). La première partie révèle que la grande majorité de la documentation date du Ier siècle ap. J.-C. et qu’il n’y a presque plus d’inscriptions à partir de la fin du IIe siècle et du début du IIIe siècle. En ce qui concerne les provenances des attestations, il est difficile pour l’auteur de dégager de grandes tendances à partir de sources aussi peu nombreuses, mais certaines régions fournissent néanmoins quelques documents de plus que les autres : plus de la moitié des documents viennent des regiones I (Latium et Campania), IV (Samnium), et X (Venetia et Histria). Les prétoriens et les soldats issus des légions sont de loin les catégories de soldats les plus attestées. Quelques inscriptions renseignent des militaires des cohortes urbaines et de la marine. Par contre, il n’y a pratiquement aucune attestation de vigiles ou d’equites singulares Augusti ; cela n’étonne pas l’auteur et ne surprendra pas le lecteur non plus, étant donné que les vigiles étaient essentiellement des affranchis et que les equites singulares Augusti étaient plutôt originaires des autres provinces que l’Italie. L’auteur fait également remarquer que les attestations de centurions et de gradés en activité sont plus nombreuses que celles des gregales, alors que ces derniers sont plus nombreux chez les vétérans ; elle explique notamment cela par le fait que les centurions recevaient leur missio plus tardivement que les simples soldats. La troisième partie, consacrée aux ressources économiques des militaires, traite essentiellement de la façon dont les milites utilisaient leurs stipendia, soldes, butins, et autres viatica. Enfin, la quatrième partie présente les différentes fonctions occupées par les centurions et les vétérans au sein des cités dans lesquelles ils se sont impliqués, qu’ils aient été decurio, duovir, quattuorvir, praetor, aedilis, magister, quaestor ou praefectus.

 

          Malheureusement, la trop faible quantité de documents épigraphiques italiens à disposition ne permet pas d’extrapoler l’analyse de quelques cas particuliers vers des théories trop générales sur le rôle des militaires en activité ou retraités en Italie – l’auteur ne s’y risque d’ailleurs pas –, mais elle permet d’établir une synthèse sur l’état de la documentation, de proposer un angle d’approche particulier ainsi que des pistes de réflexion, et de dresser une solide bibliographie sur la matière. Cette bibliographie, très actualisée, s’étend sur pas moins de vingt-et-une pages. On pourrait juste lui reprocher parfois de ne citer, le cas échéant, que les traductions italiennes, et non pas l’édition en langue originale, comme par exemple lorsque P. Veyne renseigne sur L’imperio greco romano. Enfin, on saluera la présence de tables de sources littéraires, de sources épigraphiques et papyrologiques, d’auteurs modernes, ainsi qu’un index de noms anciens, de lieux et de fonctions ; autant de facilités qui favoriseront un usage aisé de l’ouvrage.

 

(1) P. Veyne, Existait-il une classe moyenne en ces temps lointains ?, in L’Empire gréco-romain, Paris, 2005, p. 117-162.

(2) P. Le Roux, H. G. Pflaum, l’armée romaine et l’empire, in S. Demougin, X. Loriot, P. Cosme, S. Lefebvre (éd.), H. G. Pflaum. Un historien du XXe siècle, Genève, 2006, p. 185.