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Compte rendu par Isabelle Lochouarn Nombre de mots : 1821 mots Publié en ligne le 2015-01-29 Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700). Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1107 Lien pour commander ce livre
Dans la collection « Culture Guides », qui regroupe une dizaine d’ouvrages aux PUF, ce livre répond à l’objectif d’aider le lecteur à « appréhender l’essentiel d’une culture et d’une histoire ». A la fin de chaque chapitre, quelques extraits d’œuvres littéraires viennent illustrer les propos développés dans les pages précédentes. Je vais ici privilégier les données sur l’archéologie et l’histoire de l’art tout en soulignant la réussite de cette entreprise de vulgarisation qui aborde succinctement les principaux aspects de la civilisation grecque.
Le premier chapitre, « La Terre austère et joyeuse de la Grèce », qui s’ouvre sur une citation de Nikos Kazantzakis, plante le décor et le cadre chronologique met ensuite en valeur l’intérêt suscité par la Grèce et son passé, dès le Ve siècle avant J.-C. avec la naissance du genre historique, nourri à la fois de mythes et des restes des civilisations disparues. L’auteur recense époque par époque les publics intéressés par la Grèce et son passé, aussi bien humanistes que « premiers antiquaires » avec la première grande exploration archéologique est menée par le Lyonnais Jacob Spon et le botaniste anglais Georges Wheler. La société londonienne des Dilettanti finance des voyages et des publications tandis que le Comte de Caylus et Winckelmann mettent en place les bases de l’archéologie moderne. Le tournant des XVIIIe et XIXe siècles voit la création des grands musées européens : « à l’heure des grands pillages », la compétition est vive entre les nations et Lord Elgin en devient l’une des figures emblématiques. C’est aussi l’époque de la création du Xéneion, première association internationale d’archéologues unis par la passion pour l’antiquité grecque. Au XIXe siècle, l’archéologie en Grèce connaît une nouvelle impulsion avec l’indépendance de la Grèce : les Allemands et les Grecs créent conjointement le service archéologique en 1833 ; la Société archéologique grecque voit le jour en 1837 et l’Ecole Française d’Athènes en 1846. Au fil du XIXe siècle, ce sont tous les grands instituts archéologiques étrangers d’Athènes qui s’installent et se répartissant les grands sites à fouiller. Des corpus documentaires, typologiques et chronologiques sont élaborés. Deux archéologues sont des figures emblématiques : Heinrich Schliemann et Arthur Evans. L’auteur clôt le chapitre par un rapide état des lieux de l’archéologie en Grèce à notre époque. Le XXe siècle marque la fin des grandes entreprises individuelles, pour céder la place aux chantiers désormais nombreux et institutionnalisés : toutes les périodes antiques intéressent dorénavant les scientifiques.
Ch. Mauduit dresse ensuite un tableau de la Grèce, depuis l’arrivée des premiers Grecs dans le bassin égéen, jusqu’à la période minoenne, partant du Paléolithique moyen avec une occupation vers 40 000 av. J.-C. en Grèce centrale, dans les îles ioniennes, en Eubée et dans le Péloponnèse, et du Néolithique, où de nouveaux sites émergent en Thessalie, Macédoine, Crète et dans le Péloponnèse ; le Bronze Ancien (3500-2000 av. J.-C.) voit l’épanouissement de la civilisation cycladique. Pour la civilisation minoenne, l’auteur précise la chronologie de cette période découpée en trois grandes phases par A. Evans (découpage encore d’actualité, même s’il est régulièrement ajusté), ou parfois en deux (premiers et seconds palais). La période s’achève par la destruction des seconds palais et la fin de la puissance crétoise vers 1450, période durant laquelle apparaît le linéaire B à Cnossos. Ch. Mauduit consacre ensuite un développement au musée archéologique d’Héraklion qui abrite la plus riche collection d’objets minoens au monde et dresse un panorama complet de l’histoire de l’île du Néolithique à l’époque romaine. Après deux pages sur la légende du Minotaure vient finalement une étude du palais de Cnossos, le site le plus vaste de la civilisation minoenne connu à ce jour, un immense complexe de 1300 pièces réparties sur cinq niveaux autour d’une cour centrale, dans lequel s’imbriquaient les activités économiques, politiques et religieuses.
Le monde mycénien qui s’épanouit de 1550 à 1100 environ, hérite du système palatial minoen en s’appuyant sur une société guerrière. Les premiers témoignages sur l’essor de Mycènes sont fournis par deux complexes funéraires de Mycènes : les cercles B et A, premières tombes à tholos. Les ouvrages de défense se multiplient et on note la coexistence de plusieurs sites importants avec un palais perché sur un piton rocheux (Pylos, Mycènes, Tirynthe). Ch. Mauduit évoque la difficulté de repérage des lieux de culte, malgré le témoignage apporté par des vestiges iconographiques, matériels et des tablettes de linéaire B (grâce auxquelles nous connaissons un panthéon polythéiste élaboré). Dans la période où les échanges entre le continent grec et le reste du monde grec sont en plein essor les contacts répondent à des impératifs économiques et non à une politique de colonisation. La mort de Mycènes est abordée, grâce au repérage d’ouvrages défensifs du milieu du XIIIe siècle. La plupart des grands centres continentaux sont détruits : conflits internes ? causes naturelles ? invasions régulières doriennes ? L’économie palatiale et le linéaire B disparaissent, la démographie baisse, les populations se déplacent et les peuples de la mer mènent des attaques répétées. Enfin Ch. Mauduit rappelle le déchiffrement du linéaire B par Michael Ventris et John Chadwick en 1952, puis traite de l’existence contestée de la guerre de Troie. Alors que la période mycénienne est communément acceptée pour situer la guerre de Troie dans le temps, elle évoque la découverte par Heinrich Schliemann en 1870 de l’ancienne Troie en Turquie, avant de spécifier que la datation du « Trésor de Priam » permet d’affirmer que le site qui correspond chronologiquement à la guerre n’était qu’un petit village.
L’expression des « Âges obscurs » de la Grèce, popularisée par l’historiographie anglo-saxonne dans les années 1960-70 pour désigner la période de l’histoire grecque qui sépare la disparition de la civilisation mycénienne du début de l’époque archaïque, donc du XIe au IXe siècle, voit l’écriture disparaître lentement et la culture matérielle et artistique s’appauvrir ; néanmoins les progrès archéologiques permettent aujourd’hui de nuancer et de considérer cette période comme une période de transition. Aux XIe-Xe siècles, on observe un déclin démographique brutal, une diminution du nombre de sites occupés et le retour au pastoralisme. L’Attique et l’Eubée accueillent des réfugiés et de petits groupes de populations venant de différentes régions de Grèce continentale s’installent en Asie Mineure, tandis que des établissements sont fondés dans les îles de la côte micrasiatique. La période est marquée par la disparition de la production artisanale de luxe, l’appauvrissement de l’art de la céramique et le développement de la métallurgie du fer autour des zones d’extraction situées en Grèce. A partir du Xe siècle toutefois, l’Eubée rétablit des contacts de plus en plus lointains. Les IXe-VIIIe siècles sont marqués par le renouveau avec un essor démographique et une reprise des contacts dans l’ensemble du bassin méditerranéen. La céramique de style « géométrique » voit le jour à Athènes (série des grands vases du Dipylon) et au milieu du VIIIe siècle, l’écriture réapparaît avec un nouveau système, alphabétique, emprunté, comme le dit Hérodote, aux Phéniciens. L’auteur explore les sources historiques pour tenter de dater les épopées homériques et montre que le monde décrit par Homère présente une image de la société aristocratique.
Ch. Mauduit a choisi de traiter l’histoire de la période archaïque en trois temps, avec l’émergence de la cité, puis l’expansion coloniale et enfin les législateurs et tyrans et la crise de croissance des cités aux VIIe-VIe siècles. L’art de la céramique est marqué par le développement du style orientalisant, la domination de Corinthe puis d’Athènes et la suprématie de la figure rouge. L’architecture est caractérisée par une multiplication des lieux de culte, un essor des grands sanctuaires panhelléniques, de nombreuses expérimentations et la domination à la fois de l’ordre dorique (Grèce continentale et colonies grecques d’Occident) et de l’ordre ionique (Asie Mineure et îles de l’Egée). Dans le domaine de la sculpture, nous assistons à un essor des œuvres monumentales en pierre et constatons une influence de l’Egypte (style dédalique). A la fin du VIIe siècle sont élaborés les deux types représentatifs de la période : les couroi et les corai. Le chapitre se termine par une présentation du musée de l’Acropole d’Athènes, évoquant tout d’abord les œuvres qui y sont conservées puis le nouveau musée. Le tableau de la religion grecque privilégie les grands sanctuaires oraculaires, en particulier ceux de Zeus à Dodone et d’Apollon à Delphes. On trouve aussi des développements sur Olympie et Delphes.
Au Ve siècle, le « siècle de Périclès », les dieux demeurent les premiers bénéficiaires de l’activité artistique mais l’homme prend désormais une place centrale comme sujet de réflexion et de représentation. Périclès lance le grand chantier de l’Acropole, programme de construction le plus prestigieux de toute l’histoire d’Athènes : le Parthénon, érigé sous le contrôle du sculpteur Phidias, les Propylées dont le chantier est dirigé par l’architecte Mnésiclès. Ch. Mauduit évoque aussi les constructions du temple d’Athéna Nikè et de l’Erechthéion après la mort de Périclès. La période classique est aussi très importante pour la sculpture avec « l’apprentissage du réalisme », selon Ch. Mauduit. Les conventions archaïques sont progressivement abandonnées et les artistes recherchent un plus grand naturel dans le rendu des postures et des expressions. Le chapitre se termine avec une partie sur l’histoire et les collections du musée national archéologique d’Athènes.
La création littéraire et artistique du IVe siècle est riche. L’auteur traite successivement des différents domaines de création, abordant dans un premier temps l’art oratoire, brillant grâce à Isocrate et Démosthène, puis la création théâtrale, florissante avec les nombreuses créations de concours, les nouvelles pièces et les constructions de théâtres. L’architecture militaire connaît un développement remarquable (l’état de guerre est permanent) et l’architecture civile jusque-là négligée connaît un bel essor avec un intérêt nouveau pour le cadre de la vie privée. Dans le domaine de la sculpture, la recherche de réalisme et d’expressivité est extrêmement poussée. La figure humaine s’anime grâce à des artistes tels que Scopas, Lysippe ou Praxitèle. Ch. Mauduit consacre ensuite quelques développements à la constitution de l’Agora d’Athènes, puis une autre au développement du sanctuaire d’Epidaure et enfin une dernière partie aux tombes royales de Vergina.
La partie consacrée à la civilisation hellénistique évoque la diffusion sur un espace géographique immense des modèles et valeurs de la civilisation grecque. La politique de prestige menée par les rois permet à l’activité artistique d’être stimulée pour répondre à d’amples programmes d’urbanisme, de monumentalisation et d’embellissement des centres urbains, d’enrichissement des sanctuaires. La sculpture puise désormais une partie de son inspiration dans la référence aux maîtres et modèles des périodes antérieures. L’art du portrait est en plein essor tandis que la représentation de la figure féminine reste un thème privilégié. Une attention nouvelle est portée au cadre de vie : peintures et mosaïques mais aussi objets d’art sont en plein développement. Délos, l’île sacrée d’Apollon, occupe la dernière partie du chapitre.
Cet ouvrage se signale par un exposé clair et succinct qui fait le point à destination d’un public cultivé, dans une tradition éditoriale dominée par quelques synthèses classiques comme L’aventure grecque de Pierre Lévêque (1964) et La civilisation hellénistique de François Chamoux (1981), alors que le présent ouvrage se présente comme un guide.
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Éditeurs : Lorenz E. Baumer, Université de Genève ; Jan Blanc, Université de Genève ; Christian Heck, Université Lille III ; François Queyrel, École pratique des Hautes Études, Paris |