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Compte rendu par Marie-Christine Comte, CNRS Nombre de mots : 2642 mots Publié en ligne le 2011-03-22 Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700). Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1141 Lien pour commander ce livre
La collection des guides archéologiques de l’Institut français du Proche-Orient (IFPO) vient de s’enrichir de son 8e numéro dédié au domaine d’Iraq al-Amir, en Jordanie.
Le Qasr, construction princière d’époque hellénistique, avait fait l’objet de plusieurs études exhaustives, mais il manquait une synthèse sur l’ensemble, facile à consulter et ce guide vient combler cette lacune. Destiné aux chercheurs et étudiants, plus peut-être qu’aux simples touristes, l’ouvrage se veut un résumé de toutes les recherches précédentes et détaille ce rare cas d’urbanisme seigneurial hellénistique du Proche-Orient et de paysage construit, dont le propriétaire nous est connu. Illustré de photographies anciennes et récentes, de plans et de dessins, le livre rassemble les contributions d’une dizaine de savants, professeurs et archéologues qui ont été associés souvent de près à l’histoire, à la fouille ou à la restauration du site, comme membres de l’équipe de l’Institut français du Proche-Orient, et qui livrent dans ce guide un résumé de plus vastes ouvrages. Ces articles, coordonnés par R. Étienne et J.-F. Salles se fondent sur les données textuelles littéraires et papyrologiques, sur la numismatique, les recherches archéologiques et prospections scientifiques menées sur le site depuis des décennies, complétées par l’étude architecturale et la reconstitution du monument principal, ainsi que par l’étude de son environnement élargi. L’approche pluridisciplinaire proposée traduit bien la variété des points de vue et des propositions.
’Iraq al-Amir, situé à 17 km à l’ouest d’Amman, est célèbre pour son Qasr en gros blocs de calcaire, orné d’un puissant décor patiemment remonté en une dizaine d’années à partir de 1976 par F. Larché, architecte de l’IFAPO. Depuis sa découverte, il a été identifié comme la « forteresse de Tyr » édifiée par Hyrcan le Tobiade, vassal du roi Ptolémée, évoqué par Flavius Josèphe dans ses Antiquités judaïques. La description que donne Josèphe de ce complexe, dont bien des éléments ont été retrouvés sur place, a conduit plusieurs chercheurs à voir dans ce pavillon entouré de parcs en terrasses et probablement de plans d’eaux, une image recomposée du Palais royal d’Alexandrie et de son paradeisos dont Hyrcan était familier, comme personnage officiel de l’entourage des Ptolémées.
Le guide se compose de trois grandes parties, une sur l’histoire, une autre sur la géographie du domaine et la dernière sur le Qasr.
La première partie, centrée sur l’histoire du domaine des Tobiades, rassemble quatre articles. F. Zayadine aborde longuement l’histoire compliquée de cette famille d’ascendance ammonite et juive et les raisons de son installation à l’est du Jourdain (p. 15-29). Ses premiers membres revenus de l’exil babylonien à l’époque perse auraient eu pour premier ancêtre Tobias, « serviteur (fonctionnaire) ammonite » du temps de Néhémie lequel aurait reçu, comme intendant du roi, un domaine « paradeisos », dans la vallée du Wadi as-Sir. Plus tard se déroule l’histoire complexe de Joseph, collecteur d’impôts des Ptolémées, et de son dernier fils Hyrcan, qui prit sa suite. Liens et influences sont multiples entre cette famille, la Judée et les rois lagides.
Cet article est complété par la traduction (F. Villeneuve, p. 31-32) du texte de Flavius Josèphe faisant référence à la construction du Qasr et du domaine par Hyrcan.
L’approche numismatique de C. Augé appuie l’analyse historique sur l’étude des monnaies (p. 33-42). Le très intéressant et riche trésor d’argent ptolémaïque, trouvé dans les déblais d’une tranchée creusée en 1993 en contrebas des grottes (un des plus importants trouvés au sud du Levant) qui fut probablement réuni et enfoui à l’époque de Ptolémée III vers 243/2, suscita l’émoi des savants et des collectionneurs (p. 36). L’affectation de cette trouvaille reste pourtant incertaine. Plutôt qu’une part de tribut collectée par un Tobiade, elle pourrait être mise en relation avec la fin de la guerre entre l’Égypte et la Syrie, destinée à payer la troupe ou à compléter le trésor royal.
Ces trois contributions sont utilement complétées par un glossaire.
L’historique des fouilles est présenté par J.-F. Salles qui retrace les étapes de la découverte du site, avec la première mention occidentale en 1818 et son identification, puis l’évolution des hypothèses formulées au cours de plus d’un siècle de prospections et études. Le Qasr a d’abord été considéré comme un temple, puis comme une forteresse et un palais et il a fallu attendre son remontage pour s’apercevoir que s’il était resté inachevé dans ses détails, il avait bien été occupé par Hyrcan. L’auteur insiste sur les nouvelles interprétations des diverses phases de construction et de l’architecture du Qasr, rendues possibles par sa restauration presque complète par F. Larché (p. 43-50). Les deux volumineuses synthèses dues à des membres éminents de l’équipe, publiées à 15 ans d’intervalle l’une de l’autre (E. Will et F. Larché, Iraq I, en 1991 et F. Larché, Iraq II, en 2005), sont un reflet des divergences de vues apparues entre F. Larché et E. Will sur l’interprétation de l’architecture et l’organisation de l’espace intérieur du Qasr qui ont longtemps pesé sur la connaissance du monument.
La deuxième partie qui s’intitule « Géographie du domaine des Tobiades », réunit 7 contributions. La présentation du site (p. 51) met bien en évidence la situation géographique de la propriété de famille d’Hyrcan, placée dans une zone aisément accessible, présentant une topographie en gradins naturels et un utile potentiel d’irrigation. À partir des prospections récentes, F. Villeneuve (p. 52-61) s’est attaché à la description de trois sites d’époque hellénistico-romaine parmi lesquels on retiendra le pigeonnier rupestre monumental illustré également par la belle gravure de la p. 10, les villages d’el-Bassa et el-Bardun, ainsi que les vestiges d’un grand bâtiment (non fouillé) qui pourrait être un château secondaire et les ruines de la forteresse de Sur, sorte de poste de garde d’époque hellénistique ou hérodienne.
J.-P. Braun, (p. 62-69) fait le point sur l’organisation au centre du domaine. Il détaille tous les vestiges constitutifs de cet aménagement complexe qui visait probablement la création d’un paysage artificiel fait de terrasses, réseaux d’irrigation, murs de soutènement et vestiges architecturaux. L’image romantique que l’on se fait généralement de ce petit « château » placé au milieu d’un lac artificiel, qui a été largement diffusée par certaines des études précédentes (en particulier par E. Netzer et P. Gentelle, voir la bibliographie à la fin du volume), est démontée par l’auteur. Celui-ci s’attache à dessiner l’extrême complexité des divers aménagements, la quasi-impossibilité technique d’un lac ou d’un étang unique dans la dépression, voyant à la place tout un paysage reconstruit pour les besoins et selon les désirs du propriétaire. La figure 14, p. 64, bien que de petites dimensions, illustre bien ce paysage recomposé. Les différentes parties du domaine sont examinées et étudiées. Si les restes de bassins, réseaux de canalisations, pigeonniers, et la présence de carrières sont évidents, l’usage des grottes aménagées n’est pas toujours clair et celui des pierres trouées reste mystérieux. Cet état des lieux remarquablement documenté montre un système complexe, nécessitant toutefois une grande part d’imagination.
Pour le lecteur peu familier avec le site d’Iraq el-Amir, il n’est pas toujours aisé de se retrouver dans l’environnement du Qasr. On aurait apprécié un plan général de plus grandes dimensions avec tous les toponymes cités, par exemple en élargissant la carte proposée p. 62 (fig. 13) dont les numéros obligent constamment à se reporter au texte.
F. Villeneuve (p. 70-76) retrace l’histoire du village, placé au nord du Qasr, où vraisemblablement Hyrcan avait établi sa résidence lorsqu’il surveillait les travaux de son domaine. L’auteur met en évidence l’ancienneté de cet établissement et sa presque constante occupation dont la phase hellénistique a laissé quelques traces, comme un tronçon de l’enceinte avec sa porte plusieurs fois refaite, le « plaster building » qui était peut-être une aula résidentielle, venant en complément de deux bâtiments hellénistiques maintenant disparus et répertoriés sur les plans de De Saulcy.
Le pan de falaise troglodytique situé au nord du site est analysé par L. Borel, un des archéologues de la mission de 2002 (p. 77-81). L’auteur revient sur les discussions suscitées par l’interprétation des vestiges des grottes qui durent attendre les années 1960 avant d’être l’objet de sondages. La description des 17 cavités sur deux niveaux, avec la présence de grottes à inscriptions en araméen est l’occasion pour l’auteur d’aborder la question toujours discutée des datations (4e ou 3e siècle av. J.-C. d’après l’épigraphie du nom familial qui apparaît dans les grottes 2 et 4) comme la fonction de certaines des grottes. S’agissait-il d’anciens tombeaux non utilisés et convertis en salle de réunions pour les grottes inscrites ? Les autres cavités aménagées pourraient avoir abrité des citernes, des bassins de décantation, des écuries ou des étables. Le débat à leur sujet n’est pas clos.
L. Borel poursuit son étude par l’examen du bassin de la falaise (p. 82-85), une construction non évoquée par Flavius Josèphe qui fut découverte en 1999, dont la fonction utilitaire est bien attestée, présentant les restes d’une colonnade dorique élaborée qui le rattache à d’autres éléments du paysage construit du domaine, comme le « square building » et le « bâtiment rectangulaire » (nos 16 et 15 sur la fig. 13, p. 62).
Cette deuxième partie se termine par l’étude d’une des portes du domaine, dont le soubassement est toujours visible sur place. À cette occasion, J.-M. Dentzer (p. 86-91) revient sur la fonction de l’enclos entourant le Qasr. Pour lui, cet espace où devait être associés jardins, cultures, présence d’eau et constructions pourrait être une variante du paradeisos, diffusé depuis l’empire perse vers les palais d’époque hellénistique puis romaine. Ce type de domaine dont l’interprétation reste l’objet de vifs débats ne nécessitait pas l’érection d’une muraille de défense, sinon d’un mur d’enceinte pour le protéger des brigands. De même la porte monumentale conservée n’avait pas de fonction défensive, malgré son appareil mégalithique de dolomite blanche et son décor d’aigles et de lions, mais elle était seulement destinée à faire une forte impression. Cette porte qui fut abandonnée à la mort d’Hyrcan (soit vers 175 avant J.-C.) a dû être commencée en même temps que les travaux de soutènement et le remodelage du paysage vers le premier quart du 2e siècle av. J.-C.
La troisième partie traite du « Qasr al’Abd », ou « château du serviteur », que les auteurs préfèrent appeler « le pavillon d’Hyrcan », ce terme de pavillon ne préjugeant pas de sa fonction qui reste encore énigmatique. La visite et la description dudit pavillon se fait sous la conduite de R. Étienne et F. Larché (p. 94-107).
Les fouilles entreprises depuis 1976 par l’IFAPO ont constitué un apport considérable à la compréhension des vestiges du Qasr. Celui-ci se présentait comme une construction rectangulaire en calcaire avec deux façades symétriques. Le remontage des murs écroulés a permis la lisibilité du plan et de l’élévation. Le Qasr se compose de deux niveaux, aux circulations assez complexes ; il est muni de réservoirs au niveau supérieur dont le trop-plein s’évacuait à l’extérieur en traversant la gueule d’élégants félins. La salle d’apparat du niveau 2, entourée d’un couloir, présente quelques rapprochements avec l’œcus Ægyptius décrit par Vitruve. Les ordres utilisés pour les deux loggias et les éléments porteurs des baies se réfèrent à l’architecture grecque, alors que le décor de félins et d’aigles traduit des influences plus orientales.
L’analyse architecturale de F. Larché, dont le travail de remontage a été fondamental (p. 102-107), a apporté plusieurs confirmations techniques, comme l’utilisation de deux calcaires différents, de trois sortes d’appareils pour les murs et d’un plan interne unique dans cette région du Levant. La présence de voûtes sur le premier niveau s’est avérée contemporaine de l’époque hellénistique et il est évident que l’élévation à deux niveaux était couverte d’un toit dont seule la forme reste ignorée. Si la fonction exacte des pièces des deux étages n’a pu être déterminée, l’auteur suppose que le niveau 1 était dédié au personnel de service, alors que le niveau 2, abondamment décoré et dans un état de finition plus avancé, était réservé à Hyrcan.
Le décor architectural étudié par J. Dentzer-Feydy (p. 108-113) vient compléter certaines conclusions précédentes sur l’architecture, comme l’état d’inachèvement partiel du bâtiment et son rattachement pour une grande part aux modèles alexandrins, par l’usage de la coudée pour l’architecture et la présence des gigantesques félins, de tradition hellénistique comme orientale.
F. Queyrel (p. 113-118) développe plus avant l’iconographie de ce bestiaire, insistant également sur les traditions croisées qui mêlent recherches alexandrines, goût pour l’ancien, pour le pittoresque et les modèles de l’Ancien Orient, traduisant les préférences d’Hyrcan, juif hellénisé fidèle à ses maîtres comme à son lointain passé babylonien.
Les fonctions du pavillon sont analysées par R. Étienne (p. 119-122). L’hypothèse d’un temple, comme la fonction de mausolée qui avait été émise précédemment, n’est pas reprise par l’auteur, qui sans chercher à défendre la fonction de forteresse ou de palais de réception, penche plutôt pour une construction de prestige servant au rituel seigneurial ou encore un bâtiment d’octroi où Hyrcan recevait de façon ostentatoire les porteurs de tributs. Le palais hasmonéen de Jéricho, dérivant probablement du fameux palais royal des Ptolémées avec son paradeisos, fournit un point de comparaison plutôt pertinent.
J.-F. Salles revient sur la destinée du domaine après la mort d’Hyrcan (p. 123-124). Il est très difficile de reconstituer la vie de cette propriété qui semble avoir été seulement en partie réoccupée après le suicide du maître des lieux. Concernant le Qasr, on constate l’abandon du pavillon puis la réoccupation du seul niveau 1 à l’époque byzantine en deux étapes, séparées probablement par un séisme, entraînant une modification interne de cet étage inférieur. Le mot de la fin revient à R. Étienne (p. 125) qui rappelle sur quoi reposaient la mise en place et le bon fonctionnement de ces domaines seigneuriaux, dont ‘Iraq al-Amir a constitué un illustre exemple.
En conclusion de la lecture de ce guide, on se rend compte qu’après presque deux siècles d’études, le sujet est loin d’être épuisé. Des fouilles complémentaires restent à faire sur les abords du Qasr, l’étude des grottes n’a pas livré tous ses secrets et celle des monnaies n’est pas terminée. Dans les environs du pavillon, le grand bâtiment rectangulaire, dessiné par Butler, peut-être un château hellénistique secondaire, mériterait une fouille approfondie ; de la même façon, les prospections de la forteresse de Sur et de son fortin gagneraient à être poursuivies, comme le font remarquer différents contributeurs.
Ce petit ouvrage, loin de mettre un point final à la connaissance et à l’interprétation du site, se révèle extrêmement dense en informations. Les apports historiques et archéologiques nombreux qu’il fournit contribueront à nourrir notre réflexion et nul doute qu’ils suscitent un nouvel intérêt pour cette exceptionnelle construction et son environnement.
Sommaire
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Éditeurs : Lorenz E. Baumer, Université de Genève ; Jan Blanc, Université de Genève ; Christian Heck, Université Lille III ; François Queyrel, École pratique des Hautes Études, Paris |