Lichtenstein, Jacqueline - Michel, Christian (édition critique intégrale sous la direction de): Conférences de l’Académie royale de peinture et de sculpture, années 1712-1746, TOME IV
Vol. 1 :
– Les conférences au temps d’Antoine Coypel (1712-1721)
– Les conférences au temps de Louis II de Boullogne (1722-1733). 22 x 28,5, 296 p., ISBN:978-2-84056-340-2
Vol. 2 : Les dernières années de Dubois de Saint-Gelais et les premières de François-Bernard Lépicié(1733-1746). 22 x 28,5, 304 p., ISBN:978-2-84056-341-9
(Beaux-arts de Paris - les éditions, Paris 2010)
 
Reseña de Nathalie Manceau, Université de Provence
 
Número de palabras : 1605 palabras
Publicado en línea el 2011-08-08
Citación: Reseñas HISTARA. Enlace: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1151
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           Ces deux volumes font partie de la grande entreprise scientifique éditoriale dirigée par Jacqueline Lichtenstein et Christian Michel, l’édition intégrale des conférences de l’Académie Royale de Peinture et de Sculpture (voir le compte rendu du tome 1, 1-2 : http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=66). La collaboration entre le Centre allemand d’histoire de l’art (Paris) et l’École nationale supérieure des Beaux-arts a permis la parution du premier tome en 2007. Les conférences n’avaient jamais connu d’édition intégrale et rigoureuse. La démarche actuelle a tout de l’érudition scrupuleuse : étude et comparaison des différents manuscrits, mention des précédentes publications, explicitation des références textuelles et artistiques. Il faut relire dans ce premier tome l’essai de Thomas W. Gaehtgens qui montre qu’il n’a jamais existé de réelle doctrine académique, cohérente et codifiée, et l’introduction signée par J. Lichtenstein et Ch. Michel qui présente l’ambition de ces discours. Rappelons que le premier tome présentait les conférences au temps d’Henri Testelin (1648-1681), le deuxième au temps de Georges Guillet de Saint-Georges (1682-1699) et le troisième au temps de Jules Hardouin-Mansart (1699-1711).

      

          Le tome 4 contient les conférences prononcées dans l’enceinte académique entre 1712 et 1746. Une introduction permet de comprendre le contexte général de la période. Le contenu des conférences dépend en effet étroitement de la personnalité des protecteurs de l’Académie, des directeurs et de leurs ambitions, des artistes et de l’implication des amateurs dans l’institution. Il est nécessaire de replacer les conférences dans leur contexte d’énonciation, pour en comprendre tous les enjeux. La fin de cette conclusion souligne un apparent paradoxe : durant cette trentaine d’années, beaucoup de conférences sont relues et peu de discours théoriques sont prononcés, ce qui pourrait faire penser à une période d’atonie alors même que sont reçus à l’Académie quelques-uns des artistes les plus réputés du XVIIIe siècle (Watteau, Chardin, Boucher, Van Loo, Bouchardon, etc.), ce qui suggère au contraire une institution dynamique.

 

          Les textes sont organisés en trois grandes parties. La première contient les « Conférences au temps d’Antoine Coypel » (1712-1721) et permet de mettre la lumière sur les ambitions théoriques élevées du directeur de l’Académie d’alors. L’Épître à son fils et les Commentaires de l’Épître sont lus lors de plusieurs séances, entre 1712 et 1720. Certains discours seront relus jusqu’à la fin du siècle, ce qui témoigne de leur succès auprès des académiciens. Le point est fait sur la chronologie d’écriture et de lecture de l’Épître et des Commentaires et sur les différences entre les différentes versions des textes. Antoine Coypel apparaît préoccupé par la question du jugement des amateurs (alors même que l’heure n’est pas encore aux expositions et aux critiques d’art), ce souci reflétant sans doute l’importance prise par les amateurs parmi les auditeurs des conférences et par les collectionneurs privés, dans un contexte de raréfaction des commandes royales. Coypel est membre de l’Académie des Inscriptions, et la mise en garde s’adresse autant aux artistes qu’aux hommes de lettres qu’il fréquente. Les uns doivent se méfier des flatteurs et accepter les critiques, les autres rester modestes dans leurs savoirs et compétences : « Comme un des principaux objets que les arts se proposent est de plaire, il n’y a presque point d’hommes qui ne croient être en droit de juger. Il est certain que les principes et les règles n’ont été faits que pour arriver à ce but. Mais ces mêmes principes établis par succession de temps sur la raison et sur l’expérience, et qui sont en général presque les mêmes dans tous les beaux-arts, n’étant pas également bien entendus de tout le monde, font prendre le change à une infinité de gens ». (Coypel, Commentaire de l’Épître à son fils. La peinture, ceux qui s’y appliquent et ceux qui en jugent, prononcé le 2 juillet 1712). Ses réflexions sont contemporaines de celles de l’abbé Jean-Baptiste Du Bos (Réflexions critiques sur la poésie et sur la peinture, 1719). En ce qui concerne la théorie de l’art, Coypel rappelle les conversations qu’il a eues avec Roger de Piles tout en s’en distinguant. La fin de la peinture n’est pas seulement l’imitation, il s’agit également de « fidélité de l’histoire » comme dans la tragédie : « Que dans tous vos sujets la passion émue, / Aille chercher le cœur, l’échauffe et le remue » (Épître, v. 165-166). Coypel emploie souvent des métaphores théâtrales, musicales ou renvoyant à l’univers de la danse, plus qu’à la poésie. De façon générale, la position de Coypel est mesurée et confirme l’absence de dogme académique en renvoyant dans un passé révolu la Querelle du dessin et du coloris. Il examine l’art du coloris chez plusieurs maîtres du passé, notamment Corrège, invitant le jeune artiste à les étudier sans prévention et sans systématisme. « Si j’attaque ici ce que je crois condamnable dans le Corrège, c’est parce que les fautes qui sont échappées aux grands hommes sont plus capables que les autres de nous corriger de nos erreurs. Elles nous frappent plus vivement, et peuvent nous dépouiller de l’amour-propre qui nous ôte cette docilité qui nous fait profiter des avis salutaires que l’on peut nous donner. Il est aussi nécessaire de faire remarquer leurs fautes pour les éviter, que de proposer leurs grands talents pour exemple » (Coypel, Commentaire de l’Épître à son fils. Le coloris et le pinceau, prononcé le 8 juillet 1713). Cette langue élégante, cette position équilibrée expliquent l’importance de ces discours. Il est également intéressant de les lire en considérant le succès des peintures de Watteau en ce début du XVIIIe siècle, la réflexion de Coypel éclairant un art aussi singulier.

 

          La deuxième partie présente les « conférences au temps de Louis II de Boullongne », directeur de l’Académie entre 1722 et 1733. Plus qu’une théorie de l’art, ce dernier désire que soit rédigée une histoire de l’Académie. En 1725, il fait nommer Louis-François Dubois de Saint-Gelais comme historiographe. Pendant sa direction, plusieurs mémoires de Guillet de Saint-Georges sur des vies d’artiste sont relus. Dubois de Saint-Gelais reprend les textes de Guillet, de Félibien, de Roger de Piles, de Florent Le Comte ou Nicolas Guérin pour rédiger ses propres vies d’artiste. Nous mesurons mal la portée exacte de son travail car les manuscrits disponibles sont ceux de son successeur, François-Bernard Lépicié, qui va les réutiliser. L’introduction présente soigneusement les divers manuscrits consultables, les problèmes d’attribution et de chronologies qui se posent, un véritable travail philologique étant nécessaire. Cette question permet de souligner l’intérêt d’avoir une édition intégrale, par l’intrication étroite entre des textes écrits par des auteurs distincts, dans des époques différentes, mais qu’il serait maladroit de séparer. On constate aussi, à la lecture de ses discours, que l’Académie du XVIIIe siècle possédait bien peu de connaissances sur les artistes français du XVIIe siècle et ne disposait pas toujours d’informations sur leur vie et leurs ouvrages – lacunes que l’histoire de l’art a diversement comblées. Cette édition des conférences met en lumière ce paradoxe : si l’Académie est étroitement préoccupée de son histoire et de son passé, au point de multiplier les projets de publication, elle ne parvient pas à conserver la mémoire de ses premiers membres ni à faire aboutir un seul de ces projets. Il faut enfin signaler la conférence prononcée par l’amateur Jean-Baptiste Fermel’huis, Sur l’utilité des conférences sur les différentes connaissances qui conduisent à la perfection de la peinture et de la sculpture. Charles-Antoine Coypel, alors adjoint à professeur, prononce sa toute première conférence, Dialogue sur la connaissance de la peinture. Le comte de Caylus, récemment reçu comme amateur, prononce son premier discours en 1732, Discours sur les dessins. Charles-Antoine Coypel et Caylus sont donc présents dès ce moment à l’Académie mais conservent une place discrète et ne déploient pas encore tous leurs efforts. Ce constat permet de mesurer l’importance de la personnalité du directeur de l’institution, qui initie le mouvement autour de lui, l’activité académique dépendant à la fois d’individus et de composantes plus collectives.

 

          La troisième partie regroupe, en une sorte de transition, les dernières conférences de Dubois de Saint-Gelais et les premières de Lépicié (1733-1746), avec les mêmes problèmes d’étude de manuscrits évoqués plus haut. Ce sont quelques années où les différents directeurs ne s’intéressent guère aux conférences. Les séances sont souvent consacrées à des relectures, voire aux affaires courantes. Se poursuit ce mouvement de lectures de vie d’artistes des XVIIe et début XVIIIe siècle et de relectures de conférences commentant des œuvres de maîtres du passé. Dubois de Saint-Gelais lit une seule nouvelle vie, consacrée à Philippe Vleughels, se contente ensuite de relire d’anciennes vies d’artistes. Son activité d’historiographe dépendait étroitement de la volonté de Louis II de Boullongne. Sont relus des textes de Nicolas Guérin sur l’histoire de l’Académie, les conférences d’Antoine Coypel, rares discours théoriques de la période. Lépicié, nouvel historiographe, reprend le projet et les papiers de Dubois de Saint-Gelais. Il conçoit un questionnaire systématique permettant la rédaction d’une vie d’artiste. Cette période ne semble pas extrêmement féconde pour l’Académie, bien qu’elle voit l’établissement régulier des expositions au Louvre, il faut donc encore une fois se méfier de cette impression. Ce n’est qu’en 1747, avec la direction de Charles-Antoine Coypel, que les conférences reprendront réellement vie.

 

          Pour quiconque s’intéresse à la vie artistique du siècle des Lumières, l’édition intégrale et annotée des textes des conférences est fondamentale. Elle rejoint le corpus constitué par Anatole de Montaiglon en son temps, Procès-verbaux de l’Académie (1875-1892) et Jules Guiffrey, Correspondance des directeurs de l’Académie de France à Rome (1887). Il s’agit d’un matériau essentiel pour tous ceux désireux d’étudier les artistes du siècle des Lumières ou de rédiger enfin une histoire de l’Académie Royale de Peinture et de Sculpture.