AA.VV.: Un siècle de paysages, les choix d’un amateur, catalogue d’exposition Lyon, Musée des Beaux-Arts, du 19 juin au 4 octobre 2010, prolongée jusqu’au 25 octobre 2010, 168 p., 145 ill., 22 x 22 cm, ISBN 978 2 7541 04968, 25 €
(éditions Hazan, Paris - musée des Beaux-Arts, Lyon 2010)
 
Rezension von Elise Voisin
 
Anzahl Wörter : 2043 Wörter
Online publiziert am 2013-03-29
Zitat: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1154
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          Un Siècle de paysage. Les choix d’un amateur a été publié à l’occasion de l’exposition éponyme, sous le commissariat de Stéphane Paccoud, conservateur du patrimoine, chargé des collections de peintures et de sculptures du XIXe siècle au musée des Beaux-Arts de Lyon. Elle était présentée dans ce même musée du 19 juin au 4 octobre 2010. Ce petit catalogue se compose d’une préface, d’un essai signé de Pierre Wat et des notices des œuvres exposées. Une bibliographie complète l’ouvrage.

 

          Les 74 peintures rassemblées pour cette exposition ont été sélectionnées par un conservateur parmi la collection des amateurs lyonnais Brigitte et Jacques Gairard. Deux logiques prévalent donc au choix des œuvres. L’essai introductif de Pierre Wat, intitulé « Logique de l’étonnement » vise à clarifier les mécanismes de la constitution de la collection par un amateur, qu’il distingue du collectionneur. À l’approche raisonnée de ce dernier, qui cherche à compléter un ensemble constitué suivant des principes conscients, proches de ceux de l’historien de l’art, il oppose celle du premier, qui se laisse guider par ses sensations. L’étonnement apparaît comme la motivation première de l’amateur toujours en quête de l’œuvre qui le surprendra (1). Aussi, il est difficile de proposer un fil conducteur reliant les pièces de la collection de Brigitte et Jacques Gairard.

 

         Le conservateur dégage une cohérence a posteriori entre les peintures qu’il extrait de la collection. Elles partagent une temporalité, une nationalité et un genre : elles appartiennent toutes à l’école française du paysage de la fin du XVIIIet du XIXe siècle (seule exception, une œuvre du suisse Alexandre Calame). Pierre Wat propose d’y voir un goût pour l’utilisation de la lumière en tant qu’outil pour composer le motif, puisque la représentation fidèle de la nature importe peu à Jacques Gairard. L’auteur de l’essai souligne également l’ambiguïté inhérente à ces œuvres qui interrogent la limite entre convention et naturalisme dans la description du paysage. Ces peintures, esquisses ou tableaux de chevalet, reflètent la généralisation de la pratique du plein air et de l’étude sur le motif.

 

         En dépit de cette analyse, on peut regretter que la place de ces œuvres au sein de la collection Gairard ne soit pas réellement abordée. Si l’on apprend que les paysages voisinent les vanités hollandaises et les peintures abstraites chez l’amateur, aucune image ne permet de se faire une idée de l’effet recherché par celui-ci (2). En outre, il est dommage qu’aucune indication ne soit donnée sur la part de la collection que représente la sélection, à la fois par rapport à l’ensemble des pièces rassemblées par Brigitte et Jacques Gairard, et aussi vis à vis des œuvres relevant du même genre, le paysage. Le point de vue de l’amateur sur ses choix, rapporté sous la forme d’un entretien par exemple, aurait également enrichi cette introduction au catalogue des œuvres tout en répondant au propos de l’essai. Alors que la subjectivité de l’amateur est affirmée comme principe constitutif de la collection et comme moyen, pour l’historien de l’art de renouveler sa perception, son point de vue reste absent du propos développé dans le catalogue.

 

         Chaque œuvre fait l’objet d’une notice développée, rédigée par l’un des auteur suivants : Stéphanie Deschamps-Tan, Camille Lévêque-Claudet, Stéphane Paccoud, Vincent Pomarède, Elisabeth Portet, François de Vergnette et Viktoria von Brüggen. Il faut saluer ce catalogue qui donne, pour chaque peinture, les éléments nécessaires à une identification précise et une reproduction de grande taille. L’intégralité des inscriptions portées sur la feuille, le panneau, la toile, le châssis ou le cadre sont mentionnées. Les historiques sont retracés et, lorsqu’elle existe, la bibliographie de l’œuvre est détaillée. Un commentaire complète chaque notice. De longueur variable, selon que l’artiste ait fait l’objet ou non d’études antérieures, il comporte généralement une description assez fine de la peinture incluant une identification du site représenté ainsi que des renvois vers des œuvres reprenant la même iconographie, souvent reproduites en couleurs au format vignette. Dans la mesure du possible, les œuvres sont replacées au sein du parcours et de la carrière de l’artiste. L’étude peut se conclure sur une analyse critique des attributions envisagées, lorsqu’il s’agit d’une œuvre anonyme, et sur une proposition de datation.

 

         Les peintures commentées ont été classées alphabétiquement par nom d’auteur. Ce parti a le mérite de la clarté : le visiteur de l’exposition ou le lecteur peut facilement et rapidement se reporter aux œuvres de l’artiste qui l’intéresse. En revanche, il implique de ne tenir aucun compte de la chronologie de leur production. Aussi, alors que le point de vue de l’historien de l’art ou du conservateur semble prévaloir dans cette partie de l’ouvrage, il n’est pas possible d’avoir une vision claire de l’évolution de la peinture de paysage durant le XIXe siècle. A titre d’exemple, une Vue du port de Pasajes en Espagne par Eugène Lavieille, datée de 1863, précède immédiatement un Paysage animé à l’antique d’Achille Etna Michallon, exécuté en 1813. De plus, Pierre Wat annonce dans son essai que l’école lyonnaise occupe une place à part dans cette collection, ce que la présentation alphabétique du catalogue des œuvres ne rend pas immédiatement perceptible. Il aurait également été possible de retrouver dans le catalogue la répartition thématique des œuvres proposée dans l’exposition : le paysage classique et le développement de la peinture de plein-air ; influences nordiques, autour de Georges Michel ; le voyage en Italie ; la découverte du paysage français (cf. dossier de presse). Enfin, il faut déplorer l’absence d’index, que ne pallie pas le classement choisi. Les comparaisons abondantes dans les commentaires auraient pu justifier un recensement des artistes cités.

 

         Afin d’orienter les chercheurs, voici la liste des 40 auteurs des œuvres faisant l’objet d’une notice :

 

Jean Alexis Achard (Voreppe, 1807 - Grenoble, 1884) – 2 œuvres

Jean Alaux, dit Le Romain (Bordeaux, 1795 - Paris, 1864) – 1 œuvre

Jacques Barthélemy, dit Adolphe Appian (Lyon, 1818 - Lyon, 1898) – 5 œuvres

Jean Achille Benouville (Paris, 1815 - Paris, 1891) – 3 œuvres

Jean Victor Bertin (Paris, 1767 – Paris, 1842) – 4 œuvres

Jean Joseph Xavier Bidauld (Carpentras, 1758 - Montmorency, 1846) – 3 œuvres

Jean Claude Bonnefond (Lyon, 1796 - Lyon, 1860) – 1 œuvre

Eugène Boudin (Honfleur, 1824 - Deauville, 1898) – 2 œuvres

Jacques Raymond Brascassat (Bordeaux, 1804 - Paris, 1867) – 1 œuvre

Alexandre Calame (Corsier-sur-Vevey, 1810 - Menton, 1864) – 1 œuvre

Louis Hilaire Carrand (Lyon, 1821 - Lyon, 1899) – 1 œuvre

Théodore Caruelle d’Aligny (Chaumes, 1798 - Lyon, 1871) – 2 œuvres

Jean-Baptiste, dit Auguste Clésinger (Besançon, 1814 – Paris, 1883) – 2 œuvres

Jules Louis Philippe Coignet (Paris, 1798 - Paris, 1860) – 1 œuvre

Jean-Baptiste Camille Corot (Paris, 1796 - Ville-d’Avray, 1875) – 1 œuvre

Joseph Désiré Court (Rouen, 1797 - Rouen, 1865) – 1 œuvre

Antoine Jean Duclaux (Lyon, 1783 - Lyon, 1868) – 1 œuvre

Louis Dupré ( Versailles, 1789 - Paris, 1837) – 1 œuvre

Léon Victor Dupré (Limoges, 1816 - Paris, 1879) – 1 œuvre

Jean Paul Flandrin (Lyon, 1811 - Paris, 1902) – 3 œuvres

David Eugène Girin (Lyon, 1848 - Lyon, 1917) – 1 œuvre

André Giroux (Paris, 1801 - Paris, 1879) – 2 œuvres

François Marius Granet (Aix-en-Provence, 1775 - Aix-en-Provence, 1849) – 1 œuvre

Jean Michel Grobon (Lyon, 1770 - Lyon, 1853) – 1 œuvre

Jean Antoine Théodore Gudin (Paris, 1802 - Boulogne-sur-Seine, 1880) – 2 œuvres

Paul Camille Guigou (Villars, 1834 - Paris, 1871) – 1 œuvre

Paul Huet (Paris, 1803 - Paris, 1869) – 2 œuvres

Eugène Isabey (Paris, 1803 - Montévrain, 1886) – 2 œuvres

Louis Auguste Lapito (Joinville-le-Pont, 1803 - Boulogne-sur-Seine, 1874) – 1 œuvre

Eugène Lavieille (Paris, 1820 - Paris, 1889) – 1 œuvre

Achille Etna Michallon (Paris, 1796 - Paris, 1822) – 1 œuvre

Georges Bernard Michel (Paris, 1763 - Paris, 1843) – 8 œuvres

Auguste Morisot (Seurre, 1857 - Bruxelles, 1951) – 2 œuvres

Charles Mozin (Paris, 1806 - Trouville, 1862) – 1 œuvre

Antoine Claude Ponthus-Cinier (Lyon, 1812 - Lyon, 1883) – 1 œuvre

François Auguste Ravier (Lyon, 1814 - Morestel, 1895) – 2 œuvres

Jean Charles Joseph Rémond (Paris, 1795 - Paris, 1875) – 1 œuvre

Théodore Rousseau (Paris, 1812 - Barbizon, 1867) – 1 œuvre

Pierre Henri de Valenciennes (Toulouse, 1750 - Paris, 1819) – 1 œuvre

Jacques Antoine Vallin (Paris ?, vers 1760 - Paris ?, vers 1835) – 1 œuvre

 

         La vertu de ce catalogue est de proposer une analyse d’œuvres parfois inédites et de rassembler dans un ouvrage un pan cohérent d’une collection d’amateur par ailleurs inaccessible au public. Il ne s’agit cependant ni de faire un panorama complet de la peinture de paysage au XIXe siècle, ni d’insister sur les temps forts de cette collection comme le paysage historique, ou bien l’école lyonnaise.

 

         Les notices consacrées aux œuvres de Georges Michel, corpus le plus important puisque 8 peintures sont présentées, sont à distinguer pour les perspectives qu’elles ouvrent. Mal connu hormis pour sa production orageuse découverte dans les années 1840 par les jeunes peintres de l’école de Barbizon, dont il est considéré comme un précurseur, cet artiste n’a pas bénéficié d’une étude monographique depuis les années 1920. Vincent Pomarède met ici en évidence la complexité d’une figure artistique à la conjonction des grandes préoccupations esthétiques de son temps, du néoclassicisme au réalisme emprunté aux hollandais et flamands du Siècle d’Or en passant par les aspirations au sublime du romantisme. L’auteur revient sur sa carrière, afin d’en dégager les lignes de force.

 

          La formation de Georges Michel, initiée auprès de Carle Vernet et d’Elisabeth Vigée-Le Brun, se poursuit au Louvre. Le contact des maîtres des écoles du Nord, Jacob van Ruisdael au premier chef, l’entraîne dans une production alimentaire de copiste et pasticheur, mais aussi de restaurateur. Le mécénat du baron d’Ivry permet au paysagiste d’accéder à l’indépendance dès 1810. Ses recherches, menées conjointement avec Lazare Bruandet, le conduisent à développer un courant très personnel que Vincent Pomarède qualifie de « néoclassicisme nordique ». Les compositions font allusion à la peinture du XVIIsiècle, dans laquelle Georges Michel introduit des motifs inattendus, une nature souvent tourmentée dont le sublime est accentué par la perspective atmosphérique et le rôle structurant de la lumière. Dans les années 1820, Georges Michel concentre ses recherches sur la région parisienne et la forêt de Fontainebleau. Cependant, à l’inverse de ses contemporains, il soumet la nature étudiée sur le motif à sa culture visuelle. Durant toute sa vie, Georges Michel emprunte des formules aux grands modèles hollandais et flamands et les applique avec un esprit soutenu par une vraie maîtrise technique, ce qui complique la datation de sa production. A ce titre, les rapports ambigus entretenus par l’artiste avec le commerce ont sans doute retardé l’étude d’un œuvre souvent construit sur des poncifs qui mettent en doute la sincérité du créateur.

 

         Pour conclure, Un Siècle de paysages. Les choix d’un amateur est un ouvrage agréable à lire et bien illustré, dont le propos plutôt soutenu est dû à une sérieuse équipe scientifique. A mi-chemin entre l’album d’exposition et le catalogue érudit, à destination d’un public de spécialistes, il peine néanmoins à exister en dehors de l’exposition elle-même dont il était un complément naturel.

 

 

 

Notes :

 

(1)  On peut s’interroger sur la démarche de Jacques Gairard comme amateur. Un article contemporain de l’exposition (Nelly Gabriel, « Respirer. Le hasard et le goût », dans Acteurs de l’Economie, Juin 2010, p.70) rapporte qu’il regrette de n’avoir pu acquérir d’œuvres de Chintreuil ou de Courbet, tous deux illustres représentants de la peinture française de paysage. Ce regard sur la collection paraît plus proche de celui du collectionneur, selon la définition qu’en propose Pierre Wat.

 

(2)  Cet écueil semble avoir été en partie évité lors de l’exposition. Des œuvres contemporaines choisies dans la collection de Jacques Gairard par Sylvie Ramond, directeur du musée des Beaux-Arts de Lyon, étaient présentées simultanément sous le titre « L’émotion et la règle ».

 

 

Sommaire

 

Préface, p.7   

par Sylvie Ramond

 

Logique de l’étonnement, p.8          

par Pierre Wat

 

Œuvres exposées, p. 14

notices rédigées par Stéphanie Deschamps-Tan, Camille Lévêque-Claudet, Stéphane Paccoud, Vincent Pomarède, Elisabeth Portet, François de Vergnette et Viktoria von der Brüggen

 

Bibliographie, p.160