Grandazzi, Alexandre: Alba Longa, histoire d’une légende. Recherches sur l’archéologie, la religion, les traditions de l’ancien Latium (Bibliothèque des Écoles françaises d’Athènes et de Rome 336). 2 volumes, 990 p., 22 pl., in 8°, ISBN 978-2-7283-0412-7, 124 euros
(Ecole française de Rome, Rome 2008)
 
Rezension von Claire Leger
 
Anzahl Wörter : 1110 Wörter
Online publiziert am 2011-12-16
Zitat: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1167
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          Écrire un ouvrage sur Alba Longa, c’est un peu tenter de lever le voile sur une énigme. La localisation de la cité latine antique, d’où seraient venus les jumeaux fondateurs de Rome, a fait l’objet de nombreux débats depuis le XVIe siècle. L’auteur, Alexandre Grandazzi, a déjà consacré sa thèse et plusieurs ouvrages  à cette problématique : on citera son ouvrage paru aux éditions des Belles Lettres ; « La fondation de Rome » qui, comme un préambule, vient annoncer l’ouvrage présenté ici. Son ouvrage « Les origines de Rome », publié aux Presses Universitaires de France, a déjà fait connaître les recherches de l’auteur sur la région du Latium. Malgré ces travaux, mythe et réalité peinent à se retrouver sur le terrain : pour reprendre les termes de A. Grandazzi, « on ne sait que penser de cette ville introuvable, de ce lac débordant, de ces forêts ombrageuses et de ces rois fantômes ». Le rôle joué par les Monts Albain dans la culture latiale est encore flou et les relations entre ce territoire volcanique et Rome sont loin d’être claires.

 

          Le point de départ des recherches de l’auteur se trouve dans l’Histoire de la fondation de Denys d’Halicarnasse, qui nous parle d’un site entre le Mont Cavos et le lac Albain. Sans rien omettre ni prendre le risque de s’enfermer dans les énigmes annoncées, A. Grandazzi a recours à un large éventail de disciplines pour étayer recherches et hypothèses : archéologie, géographie, histoire, science de la terre, philologie... Toutes lui fournissent les pistes utilisées dans cet ouvrage pour aboutir à une synthèse qui ne néglige, in fine, ni les ouvertures ni les nouvelles hypothèses.

 

          La première partie de l’ouvrage explore la géographie de la région à travers des chapitres analytiques : relief, climat, orientation, eau, etc. L’auteur prend à cœur, durant ce premier livre, de dissocier le paysage Albain tel qu’il est aujourd’hui et le paysage tel qu’il pouvait exister aux premiers jours de Rome, mettant l’accent sur des points essentiels comme la  déforestation. Ce n’est d’ailleurs pas chose aisée, car au fil des siècles, la multiplicité des écrits et des théories sur la chronologie et la localisation des peuples Albains peut entraîner des erreurs d’appréciation. Il n’est d’ailleurs pas évident de suivre toutes les pistes ouvertes par A. Grandazzi et l’on aurait souhaité un peu plus de clarté et de simplicité dans les pérégrinations géographiques de l’auteur. Pourtant, il semble bien qu’un inventaire des lacunes serait d’un plus grand intérêt pour une meilleure connaissance du Latium archaïque. La proximité de Rome n’aidant en rien les recherches d’une zone qui, a priori, n’avait rien d’une « terra incognita ». Véritable forteresse volcanique, les Monts Albains ont servi d’avant-poste à la ville de Rome, comme l’exprime parfaitement la formule « qui tient les Monts Albains tient Rome, et qui veut tenir Rome doit tenir les Monts Albains ».

        

          Dans le second livre (t. 1, p. 178-514), A. Grandazzi s’applique à relier archéologie et histoire en reprenant, site par site, les découvertes connues afin de les comparer aux indications de la littérature. Après cette « promenade archéologique albaine », l’auteur tente de faire le point sur les faits archéologiques afin de les confronter aux légendes, et finalement de proposer une analyse chronologique et spatiale de ces dernières. Une partie de la discussion est, bien entendu, réservée aux pratiques funéraires et à leur rapport avec les structures sociales.

 

          Au centre de ce débat, la question de la relation entre archéologie et histoire s’avère centrale. Elle est compliquée par la démarche des auteurs latins qui ont eu à cœur, dans bien des cas, de donner du sens à l’histoire romaine en intégrant des données que nous n’avons plus. La liste des peuples albains donnée par Pline reflète-t-elle, dans ce contexte, une description ou une appropriation de l’environnement de la Rome des origines ? Pour aller au-delà de la description des données, sans doute une démarche complémentaire aurait-elle été nécessaire ici : celle que peut tenter aujourd’hui l’archéologie du paysage et du peuplement, utilisant toutes les sources disponibles et en proposant une lecture critique. Les relations entre archéologie et histoire en sortiraient certes plus complexes, mais également décantées par rapport à des données qui sont ici  évoquées sans réexamen systématique. Mais sans doute cette démarche aurait-elle nécessité un volume supplémentaire.

 

          L’utilisation des cartes, reproduites ici pour illustrer la topographie plus que pour localiser des découvertes (toutes ne pourraient sans doute pas y être positionnées avec précision), illustre cette ambiguïté. Les seules cartes de peuplement (pl. 12 et 13) sont à grande échelle et ne facilitent pas la relation entre des données, souvent anciennes, et le paysage.

 

          En définitive, c’est à  la question de la localisation même d’Albe, posée à travers ces diverses approches, que A. Grandazzi s’attaque ensuite. Pour cela, il dresse l’inventaire de tous les textes antiques en  portant mention afin de proposer une hypothèse argumentée sur la non-existence d’une ville et sur une légende née des spectacles liturgiques annuellement renouvelés sur le Mons Albanus.

 

          C’est à travers le troisième volume de ces études, faisant office de second tome de cette publication, que l’auteur étaye cette nouvelle hypothèse. Il procède pour cela de la même façon méthodique, en analysant tout ce qui peut avoir un lien avec ces féeries latines, les « Sacra Albana ». Les textes antiques sont étudiés en détail et permettent d’élaborer des hypothèses d’interprétation quant au fonctionnement de cette fête, sa durée, les offrandes faites à cette occasion et les dieux qui y étaient vénérés. La relation avec les antiques rois d’Albe est abordée mais au final, les questions restent plus nombreuses que les réponses. La réécriture romaine de la réalité albaine, un brouillard organisé pour des raisons politico-religieuses à l’époque de la République, se dessine en filigrane au centre de cette interrogation rigoureuse des sources antiques.

 

          Ce recours systématique aux textes antiques, constamment analysés et disséqués, ainsi que la confrontation avec les données de terrain, participent d’une rigueur particulièrement appréciable devant l’abondance d’informations, parfois complexes et imbriquées jusqu’à la confusion. Des dossiers ainsi que des inventaires précis, conjugués avec les textes antiques qui sont à chaque fois traduits, débouchent sur une nouvelle vision régionale. En ce sens, l’ouvrage est un formidable outil de travail pour qui s’intéresse au Latium ancien. Explorant la difficulté de relier un mythe avec un territoire, il reste néanmoins assez complexe et obscur pour les non-spécialistes. Il s’agit sans nul doute de la synthèse en langue française la plus complète à ce jour sur les questions évoquées. En confrontant une analyse détaillée des données factuelles aux brumes du mythe, l’ouvrage apporte une contribution novatrice aux recherches sur les origines de Rome.