Cavalier, Odile (dir.): avec la contribution de : Vassiliki Gaggadis-Robin, Annie Gilet, Marianna Hamiaux, Christianne Pinatel, Pierre Pinon, Géraud Poumarède, Gilles Poissonnier, Alessia Zambon et avec la collaboration de François Queyrel, postface : Françoise et Roland Etienne.
Le Voyage en Grèce du comte de Choiseul-Gouffier
27,5x24,5 --160 pages--65 figures plus76 figures du catalogue.
ISBN: 978-2-87923-246-1
30 euros
(Fondation Calvet et Editions A Barthelemy Avignon 2007)
 
Recensione di Lorenz E. Baumer
 
Numero di parole: 3559 parole
Pubblicato on line il 2008-05-28
Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=117
 
 

« Le voyage pittoresque de la Grèce » par Marie-Gabriel-Florent-Auguste de Choiseul-Gouffier, récit d’un périple que le comte entreprit dans sa jeunesse et publié dans un premier tome en 1782 et ultérieurement en deux autres volumes en 1809 et 1822, a inspiré le titre d’une exposition présentée au Musée Calvet à Avignon en 2007, repris pour le présent catalogue. Le terme « catalogue » n’est cependant que partiellement approprié, car l’ouvrage comprend essentiellement une collection de neuf essais et deux postfaces (pp. 8-139), alors que la présentation des pièces exposées se limite à des notices sommaires (pp. 140-150). Ceci dit, il est évident que la publication dirigée par Odile Cavalier ne poursuit pas un simple but documentaire, mais invite à une lecture générale.

 

Choiseul-Gouffier (1752-1817), né à Paris en plein siècle des Lumières et élu membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres (1782) ainsi qu’à l’Académie française (1783), a été caractérisé par un de ses contemporains comme « un esprit encyclopédique, épris des lettres et des arts de l’ancienne Grèce » (p. 10). Comme d’autres jeunes gens de son époque, il embarque à l’âge de vingt-quatre ans pour la Grèce et publie après son retour le premier tome du récit de ce Voyage pittoresque en 1782. Nommé ambassadeur de France auprès de la Porte à Constantinople, il repart en 1784 pour l’Orient et donne rapidement l’image d’un érudit et collectionneur d’antiques. Son exil forcé en Russie lors de la Révolution française empêchera non seulement la publication continue du second tome du Voyage pittoresque, mais aboutit aussi à la confiscation de sa collection d’antiques, entreposée à Marseille. De retour en France en 1802, Choiseul-Gouffier se bat pendant de longues années – et partiellement en vain – pour la restitution de ses biens. Sa collection, dont environ la moitié se trouve aujourd’hui au musée du Louvre, est vendue un an après sa mort.

 

Voilà pour les dates essentielles d’un personnage dont le premier essai, par Vassiliki Gaggadis-Robin (pp. 8-23), tente de dresser la biographie et les traits essentiels de caractère. A travers un choix de citations du Voyage pittoresque, Choiseul-Gouffier est présenté comme un homme bien informé, avec un certain goût pour l’aventure, et intéressé par une variété de sujets, tout d’abord les monuments antiques, l’histoire des lieux, la géographie et le climat, mais aussi les Grecs modernes et leur vie quotidienne. Philhellène idéalisant le passé héroïque de la Grèce, Choiseul-Gouffier  s’indigne « contre cette fureur insensée qui a pu détruire tant de beaux monuments » et il cherche « au milieu de la dégradation que j’avais sous les yeux à démêler quelques traits héréditaires du caractère des Grecs, comme j’eusse cherché l’empreinte d’une médaille antique sous la rouille qui la couvre et qui la dévore » (p. 22). Comme il pense avoir trouvé dans les campagnes « quelques hommes capables de rappeler la mémoire de leurs ancêtres », il propose un plan – même s’il est très provisoire – pour libérer la Grèce du joug ottoman (ce qui le forcera à présenter au Divan à Constantinople seulement un exemplaire corrigé de son ouvrage).

Fidèle à sa source principale, ce premier essai montre moins le personnage de Choiseul-Gouffier, que l’homme tel qu’il voulait se voir lui-même. Son enthousiasme n’a visiblement pas manqué d’influencer l’auteur, même deux siècles après, ce qui se voit dans l’absence d’une certaine distance critique. Un tableau chronologique aurait permis de mieux suivre les différentes étapes de la vie de ce « personnage étonnant et passionnant que ses pairs appelaient (…) ‘le Grec’ » (p. 23).

 

Le deuxième essai, par Géraud Poumarède (pp. 24-36), reconstitue l’itinéraire de Choiseul-Gouffier, depuis son départ de Toulon à bord de la frégate L’Atalante en 1776 jusqu’à son retour par l’Italie, jusqu’à présent presque inconnu, à la lumière de sources inédites d’une précision remarquable. Se basant sur des papiers du marquis de Chabert, commandant de L’Atalante, sur la correspondance consulaire conservée aux Archives nationales et sur un manuscrit de la Bibliothèque Gennadios à Athènes intitulé « Suite du voyage de Monsieur le Comte de Choiseul » (21 septembre 1776 – 30 décembre 1776), l’auteur précise non seulement les détails du voyage, mais arrive à donner une image détaillée de son organisation : Chabert évoque dans son journal de bord que « Le ministre me répétait par rapport à ce seigneur [Choiseul-Gouffier] dans la lettre accompagnant mon instruction, ce qu’il m’avait dit de vive voix à Versailles sur les attentions qu’il me recommandait d’avoir pour lui (…) » (p. 26). Les dépêches consulaires, qui rapportent par exemple que « M. le Comte de Choiseul-Gouffier est revenu en parfaite santé de la tournée qu’il a faite dans les isles de l’Archipel et le midi de l’Asie Mineure (…) très fatigué, mais assez content de son voyage et de ses découvertes » (p. 32), montrent clairement que, même si le voyage a été sans doute une aventure à l’époque, le réseau occidental en Orient était si important et si bien ancré que le succès du comte a été aussi un succès de la présence diplomatique de la France dans le Levant : « on y rencontre partout quelqu’un à qui s’adresser », comme l’auteur le note à la fin de son essai (p. 36).

 

Les trois essais suivants traitent des personnes les plus importantes qui ont été embauchées par le comte pour son premier voyage et pendant sa période en qualité d’ambassadeur de France auprès la Porte. Pour sa part, Jean-Baptiste Hilaire (1753-1832) n’est présent que par un dessin en sépia et deux peintures, accompagnés de l’information rudimentaire qu’il s’agit d’« un collaborateur du comte de Choiseul-Gouffier » (pp. 37-39), malheureusement sans référence à la postface par François Queyrel (voir plus bas).

Moins oublié est le personnage de l’architecte et ingénieur Jacques Foucherot (1746-1813), étudié par Pierre Pinon (pp. 40-45) : engagé par Choiseul-Gouffier en 1776, il l’accompagne pendant son premier voyage et repart en 1780 de nouveau pour l’Orient avec Fauvel (voir ci-dessous). Ce deuxième voyage est bien documenté jusqu’à Athènes grâce à son Journal du voyage fait en Grèce, dont le manuscrit est conservé à la Bibliothèque Gennadios à Athènes. De sa main sont des relevés de plusieurs monuments antiques de Santorin, Naxos, Patmos, Ephèse etc. dans le premier tome du Voyage pittoresque, mais aussi des dessins d’architecture et des plans de villes antiques dans d’autres ouvrages, comme par exemple le Plan de la ville de Constantinople et de ses faubourgs tant en Europe qu’en Asie, publié en 1786 par Choiseul-Gouffier, pour ne citer qu’un seul des exemples qui sont mentionnés dans le texte. Gardien d’une partie de la collection parisienne du comte de 1793 à 1795, ce dernier lui doit encore en 1800 de l’argent. Malheureusement, son important portefeuille de dessins de l’Orient n’a pas été retrouvé à ce jour.

Plus marquantes sont les traces qu’a laissées Louis-François Cassas (1756-1827), dessinateur et « agent » de Choiseul-Gouffier, présenté par Annie Gilet (pp. 46-61). Après avoir rencontré le comte en 1784, il part avec lui pour Constantinople cette même année. Une courte escale à Athènes est documentée par plusieurs vues de la ville partiellement inédites (fig. 1-3), qui se présentent comme des mises en scène soigneusement réalisées, mais pas toujours réalistes, pour le marché de l’art. Caractérisé par Choiseul-Gouffier comme « un dessinateur intelligent qui s’entend bien à l’architecture », Cassas est envoyé par lui pour un voyage de plusieurs mois vers les provinces méridionales de l’Empire ottoman pour compléter ainsi l’itinéraire de Choiseul-Gouffier qui s’est terminé à Smyrne, avec « tous les moyens nécessaires, c’est à dire tout l’argent dont j’aurais besoin pour satisfaire ma curiosité et la sienne » (p. 54). Parti ensuite pour l’Italie, où il séjourne de 1787 jusqu’en 1791, Cassas, dans sa correspondance, documente une période intense de travail en qualité d’« agent » pour le comte, dont il reçoit une pension annuelle. L’exil de Choiseul-Gouffier met fin à cette collaboration et aboutit à une querelle entre les deux hommes autour de la propriété des dessins de Cassas et de la collection constituée à Rome.

L’article sur Louis-François-Sébastien Fauvel par Alessia Zambon (pp. 62-83) ne révèle pas seulement un personnage au caractère indépendant, mais jette aussi une lumière éclairante sur le personnage de Choiseul-Gouffier qui contredit au moins partiellement le premier essai de la collection : « Sorti de la galère de Choiseul, je n’y rentre plus : liberté, liberté chérie », écrit-il dans une lettre après la fin d’une relation de près de dix ans. Parti pour la première fois pour la Grèce avec Foucheron en 1780 pour récolter du matériel pour le second tome du Voyage pittoresque, Fauvel accompagne Choiseul-Gouffier en Orient, où il fut chargé de multiples missions. Parmi les « agents » du comte, il était sans doute le plus actif, comme le démontre le fait que plus de la moitié des objets dans le catalogue de vente de 1818 est arrivée dans la collection Choiseul-Gouffier par l’entremise de Fauvel. Envoyé à Athènes, il est chargé de mouler les sculptures du Parthénon. Les moulages sont envoyés par la suite à bord du navire L’Afrique à Marseille, accompagnés de treize pièces de marbre. A l’aide de la liste de l’envoi et grâce à la découverte fortuite d’un cahier de dessins représentant des antiques de la collection Choiseul-Gouffier, l’auteur arrive à identifier la presque totalité des objets et à préciser dans plusieurs cas leur lieu de trouvaille, comme c’est par exemple le cas pour une stèle à anthémion avec une scène d’adieux du troisième quart du IVe s. av. J.-C. au musée du Louvre (Ma 4971, p. 67 fig. 1).

Ce premier envoi a été suivi de trois autres entre 1787 et 1788. En même temps, Fauvel réalise des voyages et des recherches en Grèce et plus tard dans les Cyclades (Santorin etc.). Ne mentionnons ici que ses recherches à Olympie, d’où il rapporte entre autres des planimétries du stade et du temple de Zeus, publiées plus tard par Choiseul-Gouffier sans mentionner Fauvel. Cette omission, qui ne restera pas la seule, est sérieusement critiquée en 1847 par Joseph-Marie de Quérard, cité ici en extrait (p. 70) : « Voilà comment a été composé le Voyage Pittoresque en Grèce. M. Fauvel et compagnie ont fait les dessins auxquels M. de Choiseul-Gouffier a pris la peine de mettre son nom ; M. Jumelin a fait des fouilles, que M. de Choiseul-Gouffier a exploitées à son compte ; M. Le Chevalier a fait dans la Troade des incursions dont il a rédigé le journal auquel M. de Choiseul a bien voulu ajouter son nom (…) ».

La personnalité du comte Choiseul se révèle dans une série de lettres adressées à Fauvel, dans lesquelles il lui demande à s’approprier d’autres objets pour sa collection, en premier lieu de l’Acropole d’Athènes, sur lesquelles l’article présente une étude particulièrement riche en résultats : dans une lettre datée du 14 février 1789, il écrit p. ex. à Fauvel : « Enlevez tout ce que vous pourrez, ne négligez aucun moyen, mon cher Fauvel, de piller dans Athènes et son territoire, tout ce qu’il y a de pillable […] ; continuez, n’épargnez ni les morts, ni les vivans [sic] » (p. 76). Fauvel semble s’être opposé au moins à des déplacements de sculptures qui auraient entraîné des dégradations des bâtiments antiques, même si Choiseul-Gouffier lui demandait p. ex. à l’occasion d’« enlever une Caryatide [de l’Erechthéion], s’il y en a une bien conservée » (p. 75). Pour Zambon, la différence entre Fauvel et son commanditaire se révèle au changement de ses méthodes après la fin de leur relation professionnelle : Fauvel continuait à recueillir et à vendre des antiquités et à servir souvent de cicerone pour des voyageurs étrangers, mais de manière très réduite et plus prudente, comme le démontrent les exemples cités dans les dernières pages de l’article (pp. 76-80). Mais sa faute la plus grande, qui forme la conclusion de cette étude à recommander à tout lecteur : il ne publia jamais rien.

 

Les trois essais qui s’ajoutent aux études biographiques traitent de la période où la collection de Choiseul-Gouffier a été déposée à Marseille (pp. 85-93, par Vassiliki Gaggadis-Robin), des marbres qui sont arrivés au musée du Louvre (pp. 94-107, par Marianne Hamiaux) et des plâtres d’après la frise du Parthénon visibles à la Petite Malmaison (pp. 109-119, par Christiane Pinatel).

Le premier essai résume avec quelques précisions l’arrivée de la collection à Marseille depuis 1787, partiellement transportée ensuite à Paris à partir de 1799. Les démarches de Choiseul-Gouffier, qui essayait depuis son retour d’exil en 1802, avec le soutien du ministre de l’Intérieur, de recouvrer ses biens, aboutirent à une longue lutte avec le conservateur marseillais Achard qui voulait garder certaines pièces pour enrichir le musée de Marseille et qui recourait même à des ruses pour dissimuler la provenance de certains objets. La confusion créée a empêché pendant longtemps l’identification de plusieurs sculptures à Marseille et a caché leur provenance de la collection Choiseul-Gouffier, ce qui n’est éclairci dans plusieurs cas que par la présente étude. Exploitant la totalité des sources disponibles, l’auteur arrive à résoudre p. ex. le « mystère » d’un fragment de candélabre ou de brûle-parfum hellénistique avec un Apollon citharède (p. 92 fig. 5) qui provient probablement – comme plusieurs autres sculptures dont la provenance a déjà été établie par W. Froehner – de la collection du comte. Un dessin par Louis-François Cassas, publié dans le second tome du Voyage pittoresque, permet de situer la provenance d’un fronton de couvercle d’un sarcophage non pas à Marseille, comme cela a été proposé à plusieurs reprises, mais en fait en Grèce (p. 93 fig. 6-7). Mieux documentée est l’histoire de la statue de Chairopoleia, dite Uranie (p. 87 fig. 1 et 105 fig. 6, aujourd’hui au musée du Louvre, Ma 241) : trouvée à Santorin par Fauvel, elle avait été choisie pour décorer d’abord un monument patriotique en honneur du maréchal de Beauvau et ensuite, au cours de la Révolution française, pour un « monument patriotique représentant des emblèmes républicains » ; après une longue querelle, la statue fut finalement rendue à Choiseul-Gouffier pour être achetée après sa mort par le Louvre.

En ce qui concerne les sculptures qui sont finalement arrivées au musée du Louvre, trois sont liées d’habitude au nom de Choiseul-Gouffier : la plaque de la frise est (Ma 738, p. 97 fig. 1) et une métope du Parthénon (Ma 736, voir aussi les représentations de la métope aux pp. 53 fig. 2 et 65 fig. sans numéro), ainsi que la stèle dite « Marbre de Choiseul », relief classique également bien connu qui porte une inscription avec les comptes des trésoriers du Parthénon (Ma 438, p. 103 fig. 4). Mais l’auteur rappelle que la collection Choiseul-Gouffier comprenait en réalité plus de deux cent trente objets, dont une bonne centaine appartient aujourd’hui au musée, arrivée en plusieurs étapes et de façon assez compliquée. L’essai répète partiellement le trajet des sculptures envoyées par les agents du comte à Marseille où elles ont été séquestrées par le gouvernement de la République pendant la Révolution. L’envoi des 124 caisses à Paris, compliqué par les initiatives insidieuses du conservateur à Marseille, prit du temps, et l’acheminement se termina seulement en 1801, ce qui coïncide avec le retour de Choiseul-Gouffier de son exil en Russie. Deux ans après, il arriva à se faire restituer ses biens, à l’exception de la plaque de la frise du Parthénon qui a été exposée en hâte dans le musée et exempte par cette manœuvre rusée de la restitution. – C’est seulement après la mort de Choiseul-Gouffier que le Louvre put enfin acheter un peu moins de la moitié des antiquités de la collection, complétée par plusieurs achats et donations dont la dernière, la stèle attique déjà mentionnée (Ma 4971, p. 105 fig. 5 ; voir aussi p. 67 fig. 2) ne parvint qu’en 1995. Aujourd’hui, le musée possède cent dix-neuf objets de la collection Choiseul-Gouffier, dont la deuxième partie de l’essai présente un tableau synthétique et une revue sommaire (p. 102-107).

Les deux études documentent de manière exemplaire la complexité de l’histoire de la réception des sculptures antiques et la valeur d’une recherche minutieuse dans les archives.

Le dernier essai de cette petite section présente finalement les moulages en plâtre d’après la frise du Parthénon utilisés pour embellir la Galerie de la Serre de Malmaison. La documentation disponible et l’emplacement des moulages rendent l’étude forcément difficile, mais il est au moins clair que les moulages ont été vraisemblablement installés en 1807 et qu’il s’agit avec une certaine probabilité de surmoulages d’après les moulages de Fauvel. La qualité des moulages de la Malmaison, lissés et couverts à une période inconnue avec une couleur bronze, ne sont pas des meilleures, mais témoignent de l’intérêt que suscita l’arrivée des moulages d’après des parties originales des sculptures de Phidias. Une image de la galerie aurait permis de mieux évaluer leur valeur esthétique dans l’ensemble de l’architecture.

 

La série des essais se termine par une analyse détaillée par Gilles Poissonier de l’arbre généalogique des Choiseul, connu pour la première fois au IXe siècle (pp. 120-133). La synthèse impressionnante de dix siècles d’histoire familiale, avec maintes branches, dépasse les compétences du recenseur et est laissée à plus qualifié.

 

« Il n’y a pas que des avantages à être l’homme de son temps », concluent Françoise et Roland Étienne dans leur postface qui résume les résultats des précédentes études (pp. 134-137). Ils soulignent que le comte était par son philhellénisme l’héritier d’un double courant : « celui du ‘Grand Tour’ des aristocrates, notamment anglais, et le courant néogrec qui bouleverse bien des domaines de l’art et suscite l’engouement de la bonne société ». De la même manière, l’itinéraire de Choiseul-Gouffier suit ses prédécesseurs, sans découverte nouvelle ni originalité, et le désir de bien vouloir acquérir – si nécessaire par des méthodes de pillage, comme le souligne aussi l’essai par Alessia Zambon – ne rencontre pas l’approbation des deux auteurs. En résumé – et en contradiction presque totale avec le premier essai de l’ouvrage : « Le comte appartient à cette classe d’hommes qui ont suscité en Europe un courant favorable à la révolution grecque, mais, en même temps, il est un des derniers représentants de ces collectionneurs privés, qui, tel le comte d’Arundel dès le début du XVIIe siècle, voulaient ‘transplanter en Angleterre la Grèce ancienne’. » (p. 137).

En complément, François Queyrel présente sur une double page une aquarelle signée par J.-B. Hilaire qui est récemment passée en vente publique : la petite peinture, de 41 x 58 centimètres, montre l’« Embarquement des fragments antiques envoyés en France, recueillis en Grèce par M. le Cte de Choiseul-Gouffier, Ambassadeur du Roi, près la Porte Ottomane, en 1789 » et présente parmi d’autres plusieurs sculptures du Parthénon. La représentation des sculptures, dont une est restée en place et l’autre montrée dans un état de conservation qui ne correspond pas à la réalité, pose des questions : s’agit-il d’une invention libre (comme le démontrent des autres peintures de l’artiste, voir plus haut) ou de moulages ? – La question reste au moins pour l’instant ouverte.

 

L’ouvrage se conclut par le catalogue des pièces exposées déjà mentionné au début de ce compte rendu, structuré d’après les catégories des matériaux (monuments antiques ; peintures et arts graphiques ; manuscrits et imprimés, pp. 140-150). La très petite police choisie pour cette partie du livre rend les notices peu lisibles ; de plus, on a malheureusement renoncé à toute numérotation, ce qui rendra leur citation difficile. Les objets aussi ne sont qu’illustrés en format miniature, sans renvoi aux images beaucoup plus grandes qui se trouvent dispersées dans les textes. Sans commentaire restent les maquettes de costumes turcs (pp. 146-149), illustrées en plus grand format, un ensemble anonyme réalisé en 1786 à Constantinople et sans doute d’une valeur pittoresque pour l’époque de Choiseul-Gouffier, sans que le lien avec l’objectif principal du livre soit clairement établi.

 

Un lecteur intéressé aurait apprécié un essai qui placerait – en un sens qui n’est que très brièvement indiqué par F. et R. Étienne – les activités de Choiseul-Gouffier dans un cadre plus large, comme l’ont fait p. ex. F. Haskell et N. Penny, Taste And The Antique: The Lure of Classical Sculpture, 1500-1900 (Yale University Press, 1981 ; traduction française, sans le catalogue : idem., Pour l’amour de l’antiquité. La statuaire gréco-romaine et le goût européen [Paris 1999]) – ouvrage de base pour toute étude de l’histoire de la réception de la sculpture antique et étonnamment absent dans la bibliographie autrement très bien faite (pp. 151-159).

Terminons ces quelques critiques rédactionnelles par la mention de petites irrégularités dans la transcription des noms propres grecs (p. ex. « Coroni » = « Coron », p. 10 et 27) et des citations inutilement doublées (p. ex. p. 12 = p. 136 ; p. 76 = p.137). Mais ce ne sont là que des broutilles dans un ouvrage qui permet d’appréhender de manière très détaillée une période cruciale dans la réception de l’art antique, et qui apporte aussi aux spécialistes toute une série de précisions et de découvertes fascinantes.

 

Table des matières :

I – Essais : pp. 8-139

Vassiliki Gaggadis-Robin, Le comte de Choiseul-Gouffier (1752-1817), érudit, ambassadeur et philhellène : pp. 8-23

Géraud Poumarède, Voyager dans l’Empire ottoman au XVIIIe siècle, l’itiniéraire de Choiseul-Gouffier en 1776 à la lumière de sources inédites : pp. 24-36

Pierre Pinon, Jacques Foucheron, un architecte et ingénieur en Orient : pp. 40-45

Annie Gilet, Louis-François Cassas (1756-1827), dessinateur et « agent » du comte de Choiseul-Gouffier : pp. 46-61

Alessia Zambon, Louis-François-Sébastien Fauvel et la constitution de la collection Choiseul-Gouffier : pp. 62-83

Vassiliki Gaggadis-Robin, L’aventure de la collection Choiseul-Gouffier à Marseille : pp. 84-93

Marianne Hamiaux, Les Marbres de la collection Choiseul-Gouffier au musée du Louvre : pp. 94-107

Christiane Pinatel, Les Plâtres de la collection Choiseul à la Malmaison : pp. 108-119

Excursus :

Gilles Poissonnier, Les Choiseul, une histoire millénaire : pp. 120-133

Postface :

Françoise Étienne et Roland Étienne, Le comte de Choiseul-Gouffier, un philhellène du XVIIIe siècle : pp. 134-137

François Queyrel (sans titre) : pp. 138-139

II – Catalogue sommaire des pièces exposées : pp. 140-150

III – Annexes (Bibliographie, Index, Crédits photographiques) : pp. 151-160