Renaud, Patrick-Charles: Daum - Du verre et des hommes - 1875/1986, 24 cm x 30 cm. 192 pages, avec plus de 200 illustrations en couleur et en noir & blanc. Relié, jaquette en couleur pelliculée
(Editions Place Stanislas, Nancy 2009)
 
Compte rendu par Jennifer Beauloye, Université libre de Bruxelles - FNRS
 
Nombre de mots : 1487 mots
Publié en ligne le 2011-02-28
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1198
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          De 1875 à 1986, Patrick-Charles Renaud retrace l’historique de la verrerie, puis cristallerie, Daum Frères à Nancy. En un peu plus d’un siècle, celle-ci aura traversé plusieurs mouvements artistiques dont nous suivons l’évolution des styles dans la production de la Maison, depuis l’Art nouveau jusqu’aux créations contemporaines. Mais ce siècle est également jalonné par deux guerres, des crises économiques et des bouleversements sociaux retentissants qui n’auront pas épargné l’entreprise familiale.

 

          Dans le contexte politique français douloureux de l’Alsace-Lorraine annexée, la ville de Nancy, capitale de l’Est de la France, est choisie par les nombreux Alsaciens-Lorrains exilés. Ils seront une main-d’œuvre hétéroclite pour la verrerie nouvellement fondée par Guillaume Avril et Victor Josué Bertrand en février 1874. L’établissement inaugure ce qui deviendra rapidement une prestigieuse tradition pour la cité ducale. Émile Gallé, sur le point de devenir un artiste Art nouveau incontournable, fait alors exécuter sa propre production verrière à Meisenthal, en Moselle. Dans un premier temps, la production est essentiellement concentrée sur de la verrerie utilitaire. Jean Daum quitte une charge de notaire à Bitche pour s’installer à Dombasle, près de Nancy, en 1872, où il fait la connaissance des deux hommes. En quête de financements, Avril et Bertrand associent le notaire à leur projet avant de lui céder, pour des raisons financières principalement, toute l’affaire en 1878. À cinquante-trois ans, Jean Daum se retrouve à la tête d’une verrerie dont il doit apprendre le métier.

 

          Avec l’aide d’Alexandre Marquot, Jean Daum réorganise la petite entreprise et allège le catalogue. Auguste Daum, rejoint l’affaire de son père l’année suivante. Doué d’un grand sens commercial, il aide son père à  surmonter progressivement les difficultés financières des débuts et à améliorer la situation de la verrerie. Après la mort de Jean Daum, survenue en 1885, son troisième fils, Antonin, ingénieur de l’École centrale de Paris, entre à son tour à la verrerie en 1887 et crée le département artistique en 1891. À Paris, où il assista à la première exposition d’Émile Gallé, Antonin s’est sensibilisé aux arts décoratifs qui alimentent les débats, en France, surtout depuis l’exposition universelle de Paris en 1867. Il cherche à dégager la production des pièces traditionnelles de gobeleterie et trouve dans la nature, tout comme Émile Gallé, une source d’inspiration inépuisable. Il recrute de jeunes artistes, dont Jacques Gruber et Henri Bergé. Au même moment, Émile Gallé crée ses propres ateliers de production à Nancy, avenue de la Garenne.

 

          Nancy devient alors le berceau d’une importante production verrière dont les concurrences suscitent un cadre d’émulation propice aux recherches techniques et artistiques qui marqueront la création du début du siècle. Ainsi, les Frères Daum expérimentent et mettent au point successivement les techniques du multicouche, de la gravure à l’acide et à la roue, le fond moucheté et les vases dits intercalaires.

 

          Dès 1890, la production artistique des Frères Daum s’inscrit dans le mouvement Art nouveau qui opère la rupture avec les pastiches des styles anciens.

 

          Cette production artistique sophistiquée et raffinée constitue un instrument de promotion indéniable qui va contribuer au prestige et à la renommée de la maison, tandis que la production courante, au prix de revient moins élevé, permet de satisfaire une clientèle plus modeste. En outre, dès 1893 à l’occasion de la World’s Columbian Exposition qui se déroule sur les bords du lac Michigan, à Chicago, les frères Daum participent aux grandes Expositions universelles et autres manifestations artistiques en France et à l’étranger où la qualité de leurs envois est systématiquement récompensée de médailles et prix divers. Cette même année, à Nancy, les prémices de la future École de Nancy voient le jour dans les galeries Poirel. C’est à l’Exposition universelle de Paris 1900 que les Frères Daum seront consacrés. Ils décrochent le Grand Prix, à partager avec Émile Gallé. Mais Antonin Daum ne s’arrête pas là pour autant, il développe de nouvelles techniques d’applications à chaud avec Eugène Gall, élargit la palette de couleurs, lance la production de luminaires en collaboration avec Louis Majorelle et, à l’instar d’Henri Cros, contribue à remettre la pâte de verre au goût du jour, avec Almaric Walter.

 

          Parallèlement, avec l’entrée en fonction du fils aîné d’Auguste, Jean, l’entreprise familiale accueille la troisième génération de Daum. Peu après, en 1909, Auguste Daum meurt, cinq ans après Émile Gallé. Il laisse Antonin Daum, secondé par son neveu, à la tête de la verrerie. L’entreprise se prépare alors pour l’Exposition de Nancy de 1909, dernière grande manifestation de l’École de Nancy. Paul et Henri Daum, les deux fils d’Antonin, rejoignent à leur tour la manufacture, alors en prise avec le syndicalisme naissant. Mais, déjà, la Première Guerre mondiale éclate et vide la verrerie de ses ouvriers. La guerre sonne également le glas définitif de l’Art nouveau.

 

          Au lendemain de la guerre, le style s’épure et s’oriente, après quelques tâtonnements et non sans ajustements au sein des ateliers, vers l’Art Déco. Ce sont Paul Daum et Émile Wirtz qui seront les acteurs principaux de cette réorientation. La nouvelle tendance sera couronnée à l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes de 1925. La même année, Daum ouvre une seconde verrerie à la Belle-Étoile où ils développent la fabrication d’articles à la presse ou au « soufflé fixe » afin d’augmenter la production mais de distinguer clairement les deux types de réalisation.

 

          Antonin meurt en 1930 alors que le virage Art déco est résolument pris par l’entreprise qui va bientôt subir les conséquences de la crise économique des années 1930. Grâce à la commande du paquebot « Normandie », l’entreprise survivra aux difficultés économiques de l’époque. Cette commande suscite aussi l’introduction du cristal par Michel Daum, fils d’Antonin. Pourtant, la Belle-Étoile devra fermer ses portes en 1935.

 

          Après la Seconde Guerre mondiale, Daum focalise sa production sur le cristal et devient la Cristallerie Daum. À nouveau, il faut réorganiser les ateliers, ajuster les équipements et recruter de la main-d’œuvre qualifiée qui développe la technique du mandrin. Avec l’arrivée des années cinquante, la cristallerie multiplie les participations aux expositions et salons, nationaux et surtout internationaux. Dès 1951, le nouveau style, « l’Art des formes libres en cristal » est célébré lors de l’exposition L’Art du Verre au Musée des Arts décoratifs de Paris. Au cours de cette décennie, plusieurs verriers de l’entreprise sont nommés Meilleur ouvrier de France. C’est le cas notamment de Jean Martin, René Baumgarten et Louis Gisquet. Mais les années 1960 révèlent une production repliée sur son passé. Lorsque Jacques Daum succède à Michel Daum, en 1965, il tente de réintroduire la pâte de verre avec l’aide d’Antoine Froissart. Pour ce faire, il sollicite la collaboration d’artistes contemporains. C’est dans ce cadre-là que Dali et César vont travailler avec la cristallerie. Toutefois, et malgré la fusion avec la Compagnie française du cristal en 1975, Daum s’essouffle peu à peu. Des hommes tels que Guy Petitfils quittent l’entreprise qui se dirige inéluctablement vers son dépôt de bilan, en 1983. Daum est finalement repris en 1986 par un holding.

 

          Par ses liens personnels et familiaux avec la firme – fils de verrier chez Daum et petit-fils de peintre décorateur – l’auteur traite du sujet de l’intérieur et de manière fouillée. Il aborde le travail rigoureux et précis des verriers chez Daum jusqu’en 1986, mais aussi, plus globalement, de l’ensemble du milieu verrier en Lorraine.

 

          La présente publication se distingue donc des publications qui ne décrivent généralement que certaines œuvres Daum, ou des publications plus généralistes sur l’Art nouveau et/ou l’Art déco qui évoquent la place de Daum parmi les autres artistes de la période étudiée, sans rentrer dans le détail ou les spécificités.

 

          Néanmoins, l’attachement familial de l’auteur à la verrerie transparaît et nous force parfois à nous interroger sur sa subjectivité. L’ouvrage est rempli d’anecdotes et autres souvenirs touchants et affectueux mais il manque de références d’archives ou bibliographiques plus précises et nécessaires pour le considérer pleinement comme une publication scientifique. Toutefois, une riche documentation visuelle sur les ateliers et les ouvriers au travail appuie les explications techniques des différents procédés et illustre l’histoire de l’entreprise familiale. En annexe, le glossaire des principaux termes spécifiques au verre s’avère très utile pour mieux appréhender les différentes techniques très élaborées. L’ouvrage renseigne également sur la généalogie de la famille Daum et rassemble les signatures de la maison à travers le siècle. Nous déplorons le fait que l’auteur se réfère régulièrement à certaines pièces importantes sans fournir de support visuel, ni d’indications sur leur localisation actuelle ou appartenance à des collections publiques ou privées.

 

          Cependant, sans se limiter aux pièces prestigieuses issues de la production de la maison ou à ses grands moments historiques, tels que les grandes Expositions universelles du début du XXe siècle, l’auteur balaie les cinq générations qui ont créé, développé et dirigé l’entreprise tout en suivant également le parcours des maîtres verriers et autres artistes et artisans collaborateurs travaillant dans les fours et les ateliers adjacents. En effet, le rôle de chacun est très clairement mis en lumière et permet de mieux comprendre les procédés de création et d’expliquer la présence de noms ou signatures additionnelles sur les pièces issues de la production Daum. Accompagné de nombreux témoignages et citations, le récit de leurs parcours richement documenté éclaire d’autant mieux l’histoire de la verrerie par des aspects peu traités jusqu’à ce jour. Des conditions de travail des ouvriers et de la formation des jeunes apprentis à l’hygiène, la création et les revendications des syndicats, l’organisation du travail ou la répartition des tâches au sein des différents ateliers, jusqu’à la modernisation progressive des équipements et techniques, rien n’est laissé de côté.