Martin Pruvot, Chantal - Reber, Karl - Theurillat, Thierry (dir.): Cité sous terre. Des archéologues suisses explorent la cité grecque d’Érétrie, 317 pages, plus de 500 illustrations, format 28x23cm, ISBN 978-2-88474-403-4. 42 CHF (30,00 euros)
(InFolio éditions, Gollion 2010)
 
Rezension von Guy Meyer
 
Anzahl Wörter : 1989 Wörter
Online publiziert am 2011-04-25
Zitat: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1205
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Ce gros et beau catalogue, dont il existe une version allemande et une version grecque, a été réalisé à l’occasion d’une exposition présentée à Bâle du 19 septembre 2010 au 31 janvier 2011, après avoir été montrée à Athènes durant l’été 2010.

La cité d’Érétrie, dans l’île d’Eubée, est bien connue des historiens et des archéologues. Des découvertes spectaculaires, comme l’hérôon de la porte ouest, la maison aux mosaïques, ou les dépôts votifs associés au sanctuaire d’Apollon, ont contribué à alimenter sa notoriété et celle de l’École Suisse d’Archéologie qui les a mises au jour. On les retrouve dans cet ouvrage et bien plus encore, car les archéologues suisses ont entrepris de mettre sous nos yeux l’histoire et la vie quotidienne de cette cité depuis la préhistoire jusqu’à la fin de l’Antiquité.

 

En lever de rideau, on nous propose trois interventions regroupées sous le titre « Les Suisses et la Grèce »: « Le philhellénisme en Suisse » (p. 31-35), par K. Reber, « La Société archéologique d’Athènes et ses recherches à Érétrie », par V.  C. Petrakos (p. 37-39), secrétaire général de ladite société, et « L’École suisse d’Archéologie en Grèce », par K. Reber (p. 41-45), actuel directeur de l’ESAG (avec un encart de P. Ducrey, p. 44, sur « Le financement de l’École suisse d’archéologie en Grèce »). L’article de Pétrakos rappelle que l’activité de la Société archéologique d’Athènes fut pratiquement permanente depuis 1885. La présence des Suisses est plus récente. Les premières fouilles helvétiques remontent à 1964.

Le reste du catalogue est divisé en quatre grandes parties : « Une cité au cœur du monde méditerranéen » (p. 49-101), « La cité des vivants » (p. 105-189), « La cité des dieux » (p. 193-249), « La cité des morts » (p. 253-315). Les articles qui composent chacune de ces parties sont eux-mêmes richement illustrés. Outre les principales interventions, de brèves communications d’une page (posters ou encarts) viennent éclairer un point particulier. Le catalogue des objets exposés, soit 367 numéros pour l’ensemble de l’exposition, est réparti, par thèmes, à la fin de chaque partie.

 

S. Müller Celka fait le point sur les premiers établissements : « Avant la cité » (p. 51-55). Les premiers habitants s’installent sur l’acropole dès le néolithique final au tournant du Ve et du IVe millénaire avant J.-C., puis sur le rivage d’alors (sous le centre de l’agglomération actuelle) vers 2500 avant J.-C. Vers 1600 avant J.-C., le site de l’acropole est réoccupé par un village fortifié abandonné dès la phase suivante (HR II), avec un retour au cours de l’HR IIIC. A la fin du XIIe siècle, le site semble avoir été abandonné jusqu’à la fondation de la cité proprement dite au VIIIe siècle avant J.-C. Le même auteur a inséré un poster sur « Un four de potier » (p. 54) de l’Helladique ancien III.

L’article suivant, rédigé par I. S. Lemos, présente rapidement le site de « Lefkandi » (p. 57-63), avant que S. Verdan ne traite de « La naissance de la cité » (p. 64-71), avec un encart de S. Fachard sur « Les colonies érétriennes en Grèce du Nord » (p. 69). Verdan évoque rapidement (trop rapidement, mais il faut sans doute incriminer les contraintes éditoriales) la colonisation érétrienne et les origines de l’alphabet grec. Peut-être aurait-il fallu signaler d’une phrase l’importance que représente la mise au point d’un système qui transcrit les voyelles à la différence des modèles phéniciens, soit le passage d’une écriture alphabétique n’utilisant que des consonnes et des semi-voyelles, à un alphabet. On regrettera que la bibliographie ne renvoie à aucune étude ni sur l’alphabet ni sur la colonisation érétrienne en dehors de la Grèce du Nord. Un encart de A. Kenzelmann Pfyffer sur « La céramique géométrique » (p. 72) érétrienne complète cette étude.

L’histoire d’Érétrie est résumée dans une communication de D. Knœpfler, adaptée par P. Ducrey, « La cité dans l’histoire » (p. 75-82), complétée par deux posters de P. Ducrey, l’un intitulé « 2010 : 2 500e anniversaire de la prise d"Érétrie par les Perses » (p. 78), l’autre « Le taureau des Érétriens à Olympie » (p. 81). P. Thémélis offre une note sur « La statue d’un jeune Érétrien » (p. 83) où il reconstitue à partir d’éléments épars (une base avec deux pieds, des morceaux de drapé, une main, une tête retrouvée en 1885) une statue de jeune homme d’époque impériale. Enfin, E. Gerousi étudie « Les derniers siècles de la cité » (p. 84-85).

La première partie se termine sur un catalogue de 62 pièces (p. 86-101) qui vont du début des époques cycladiques et helladiques jusqu’au géométrique récent dont plusieurs objets de Lefkandi : alabastre avec deux griffons et un sphinx (n° 11), un askos en forme d’oiseau (n° 13) et un autre en faïence. La présence du n° 47, pièce de frontail en bronze avec une dédicace en araméen, provenant de l’Héraion de Samos n’est pas expliquée. Il faut la rapprocher de l’œillère décorée d’un maître des animaux (photo p. 67) trouvée dans le sanctuaire d’Apollon Daphnéphoros. Une autre œillère avait déjà été découverte au même endroit avec, comme le frontail de l’Héraion, une dédicace en araméen. L’Héraion de Samos est le seul autre sanctuaire ayant livré des œillères comparables en plus de ce magnifique frontail. En haut de la page 101, la photographie du premier objet est dépourvue de numéro [lire n°55].

 

La cité des vivants se propose d’abord de nous présenter leurs maisons. K. Reber traite des habitations en général, « Les maisons érétriennes » (p. 107-110), en insistant particulièrement sur la « maison II de la porte de l’Ouest », une grande demeure de la fin de l’époque classique. P. Ducrey nous emmène dans « La maison aux mosaïques : visite guidée » (p. 113-118). Entre-temps, S. Gürter consacre une page à « L’éclairage » (p. 111) artificiel. K. Gex présente une note sur les amphores panathénaïques retrouvées à Érétrie, qui introduit le chapitre, du même auteur « Autour du repas » : nourriture, vaisselle et symposion.

E. van der Meijden Zanoni entreprend de décrire la vie quotidienne des femmes de la cité, à travers l’exemple d’Aristokrateia, une jeune adolescente dont la stèle funéraire (photo, p. 126) ouvre le chapitre, « La vie d’Aristokrateia : le quotidien des femmes à Érétrie » (p. 127-132). Le superbe épinétron conservé au musée national d’Athènes (n° 125 de l’exposition) retrouvé à Érétrie illustre doublement son propos (p. 129, 131, 270), à la fois en tant qu’objet féminin et par son iconographie. K. Reber signe ensuite un poster sur « Une Pharmacie domestique » (p. 133). C. Riva explore les cultes domestiques : « Les divinités protectrices de la maison » (p. 135-137), avec un complément de P. Thémélis sur « Aphrodite et Éros » (p. 139), à propos d’un charmant petit groupe sculpté (photo p. 139 et n° 151 du catalogue).

La fin de cette seconde partie est consacrée à l’Espace public. D. Knoepfler traite (trop) brièvement « Les institutions politiques et la vie publique : l’agora » (p. 140-142). Le titre est un peu trompeur car l’agora n’est évoquée qu’en quelques lignes et une photo (p. 141) de la tholos (mais voir infra à propos de la destination de la tholos). L’essentiel de ce chapitre décrit le calendrier local, le territoire (une des rares excursions dans la chora qui fait vivre la cité, on regrettera l’absence d’une carte du territoire) et les magistratures. Mais Th.Theurillat consacre une page aux stoas de l’agora, « Échanges commerciaux : les stoas » (p. 143), où l’on a découvert un trésor de monnaies d’argent. Bonne transition, qui prépare à la contribution de M. Brunner et M. Spoerri Butcher « Monnaies et monnayage à Érétrie » (p. 145-149, avec une très bonne photo de la loi sur le monnayage, p. 145), suivie par un article de K. Hitzl sur les « Poids et mesures » (p. 150-151). Cette séquence économique et politique se termine par une page de M. Palacziyk sur « Les amphores » (p. 152).

E. Mango, « Un esprit sain dans un corps sain : le gymnase et les bains » (p. 155-159), présente deux institutions caractéristiques des cités grecques. On regrettera que l’étude sur La loi gymnasiarchique de Béroia, par Ph. Gauthier et M. B. Hatzopoulos, ne soit pas citée dans la bibliographie. S. Fachard, en contrepoint à l’étude sur la vie d’Aristokrateia, dans la section sur l’espace privé, entreprend de reconstituer « La vie de Polycharès, fils de Polyktis » (p. 161-162), un nom trouvé dans un catalogue d’époque hellénistique.

Un catalogue de 136 objets illustre la vie des Érétriens (p. 164-189). On y retrouve quelques pièces connues, outre l’épinétron n° 128, on peut citer le miroir, n° 114, avec son couvercle représentant l’enlèvement d’Orithye par Borée, ou le grand lébès gamikos à figures noires n° 127.

 

À « la cité des hommes » succède « la cité des dieux » qui s’ouvre sur cinq contributions consacrées au sanctuaire d’Apollon Daphnéphoros, le temple situé au centre de la ville. S. Verdan décrit l’évolution architecturale et cultuelle du « Sanctuaire d’Apollon Daphnéphoros » (p. 195-199). Le même auteur propose de « Reconstruire le temple d’Apollon d’époque géométrique » (p. 201; maquette au 1/50, p. 200). M. Glaus propose un projet identique pour l’époque archaïque dont le titre « Le temple archaïque d’Apollon » (p. 203-205) laissait espérer un traitement plus large. E Touloupa décrit « Le fronton du temple d’Apollon » (p. 207-209), d’époque archaïque. S. Huber analyse les structures, les traces de sacrifices et les offrandes de « L’aire sacrificielle nord » (p. 211-213) consacrée vraisemblablement à Artémis, sœur et voisine d’Apollon.

S. Hubert s’occupe ensuite du « Sanctuaire d’Athéna » (p. 215-216) sur le sommet de l’acropole. Toujours, sur l’acropole, mais sur le versant, L. E. Baumer décrit « Deux sanctuaires sur les flancs de l’acropole : les thesmophorieia » (p. 219-221). Il remet justement en doute l’identification du second thesmophorion. On redescend en ville avec A. Bignasca, « Les divinités égyptiennes à Érétrie : l’iséion » (p. 223-224), et le poster d’A. Psalti sur « La mosaïque de l’iséion » (p. 225). D. Knœpfler traite quant à lui de « Deux grandes fêtes érétriennes, les Artémisia et les Dionysia » (p. 227-233). Il nous conduit d’abord, et pour une seconde fois, dans la chora, à Amarynthos, au grand sanctuaire d’Artémis, puis au théâtre, au bas de l’acropole, pour les Dionysia. « La tholos d’Érétrie » (p. 235) est analysée brièvement par A Psalti qui conclut qu’il s’agit d’un sanctuaire féminin, sans doute consacré à Artémis. B. Dubosson présente ensuite « Le sébasteion, temple du culte impérial » (p. 236-237).

Un catalogue de 58 objets correspond à cette troisième partie (p. 238-249). L’aire sacrificielle a fourni des objets orientaux ou orientalisants dont six scarabées ou scaraboïdes (nos 219-224) et une amulette pour laquelle plutôt que d’égide, il faudrait parler de collier pectoral à trois rangs (n° 226, p. 242).

 

La dernière partie, « La cité des morts », concerne les nécropoles, l’hérôon de la porte ouest et les pratiques funéraires. B. Blandin analyse « Les rites et le mobilier funéraires du IXe au VIIe siècle av. J.-C. » (p. 255-256). « La céramique orientalisante » (p. 257), particulière à Érétrie et réduite à deux formes, amphores et cruches, est présentée en une page par S. Hubert. Un bel ensemble de céramique géométrique provenant d’un foyer funéraire est décrit par A. Psalti, « Une remarquable pyra d’époque géométrique » (p. 259-261). Le cratère n° 265 (p. 258 et 261) est décoré sur une face d’une iconographie exceptionnelle : une union sexuelle humaine séparée par deux lignes verticales de la saillie d’une jument par un étalon. « Les sépultures de l’Hérôon » (pp. 263-264) de la porte ouest sont rapidement évoquées par B. Blandin.

K. Gex a pris en charge la période qui va de la fin de l’époque archaïque jusqu’à l’époque hellénistique : « Les rites et le mobilier funéraires du VIe au IIe siècle av. J.-C. » (p. 267-270). Le matériel d’une tombe enfantine acquis par le musée du Louvre est étudié par I. Hasselin Rous et C. Huguenot, « D’Érétrie au Musée du Louvre : sur les traces d’une tombe de fillette » (p. 273-277). C. Huguenot présente ensuite le matériel et l’architecture d’une belle tombe à chambre hellénistique, « La tombe macédonienne aux Érotes » (p. 279-285). Le matériel et l’aspect des tombes plus tardives est traité très rapidement par B. Dubosson, « Les rites et le mobilier funéraires du Ier siècle av. au VIe siècle apr. J.-C. » (p. 287-288), et par A. Psalti, « Deux tombes d’époque impériale » (p. 289-290). La dernière communication traite de « La stèle funéraire de Mégistoklès » (p. 291), un sculpteur, par P. Karanastasi.

Le catalogue du matériel funéraire exposé compte 108 objets (p. 292-315).

 

À travers un ensemble de 367 objets divers et variés et 53 communications, les 59 auteurs dressent un tableau assez complet des résultats des fouilles d’Érétrie avec un souci constant de pédagogie, sans pour autant sacrifier le contenu scientifique. L’exposition et le catalogue apportent un complément bienvenu au guide, Érétrie : guide de la cité antique (Gollion, 2004, en français, anglais et grec, qui remplace le guide de P. Auberson et K. Schefold, Führer durch Eretria, paru à Berne en 1972, en allemand et en grec). L’ouvrage présente un large échantillon d’objets arrachés au sous-sol de la ville et remis dans leur contexte.