Hamburger, Jeffrey F. : La double page dans les manuscrits enluminés du Moyen Âge. Conférence prononcée le 7 octobre 2010 à l’Université Lumière Lyon 2, dans le cadre du cycle « L’Amphi des arts ». Traduit de l’anglais (États-Unis) par Sophie Renaut. 11 x 18 cm,120 p., ISBN : 978-2-84066-419-2, 16 €.
(Les presses du réel, Dijon 2010)
 
Reseña de Judith Soria, INHA, Paris
 
Número de palabras : 1030 palabras
Publicado en línea el 2011-07-18
Citación: Reseñas HISTARA. Enlace: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1210
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          L’essai de Jeffrey Hamburger s’ouvre sur la comparaison du livre tel que nous le connaissons encore avec le livre électronique qui a fait son apparition au cours de la dernière décennie. Cette comparaison met en évidence certaines de ses singularités par rapport au rouleau, mais également par rapport à son dernier avatar qu’est le e-book. En effet le livre s’ouvre, donnant à voir une double page ; ce qui était une nouveauté à la fin de l’Antiquité, alors que le codex s’apprêtait à remplacer le rouleau, les supports pour la lecture des œuvres numérisées ne le permettent plus. L’ouverture et la double page constituent donc le sujet de l’essai de J. Hamburger, qui se développe en quatre parties.

 

          Dans la première, intitulée l’ouverture comme révélation, l’auteur, partant du verset de l’Apocalypse où est évoquée la vision du « livre écrit dedans et dehors et scellé des sept sceaux » et son ouverture imminente (Apoc. 5 :2), fait le lien entre l’ouverture du livre et la révélation. De nombreux exemples de codex représentés dans des miniatures médiévales présentent en effet un moment de révélation (la vierge lisant au moment de l’Annonciation, l’hétimasie où le livre trône sur le siège préparé pour la seconde venue du Christ) et jouent sur la mise en abîme du livre représenté dans le livre tenu par le lecteur.

 

          Dans une seconde partie, le rouleau et le codex, le passage d’une technique à l’autre est appréhendé du point de vue historique et symbolique. J. Hamburger rappelle à cette occasion que la fin de l’Antiquité, perçue souvent comme une période de décadence est, au moins dans l’histoire du livre, un moment riche en innovations techniques. Le livre, outre ses nombreux avantages bien connus (conservation, ergonomie etc.) se prête mieux que le rouleau à l’illustration, grâce notamment au cadre de la page qui favorise l’indépendance de l’image, mais aussi sa mise en relation avec le texte dans le champ visuel de la double page. Le rouleau, malgré le grand avantage du codex, n’a jamais tout à fait disparu et a gardé tout au long du Moyen Âge un usage assez circonscrit, notamment liturgique. Symboliquement, le rouleau est souvent associé dans l’iconographie médiévale à l’inspiration divine, et plus généralement à l’Ancien Testament, en opposition avec le codex représentant la Nouvelle Loi.

 

          La partie la plus importante et la plus longue, l’architecture de la double page, encadrer l’espace et le temps, dans laquelle l’auteur touche plus particulièrement au sujet qu’il s’est donné, aborde donc la construction de la double page. Un très bref détour par la réalisation du livre et l’assemblage des cahiers permettant le face à face des pages, l’amène à considérer les rubriques, les titres, ainsi que la glose encadrant éventuellement le texte. Cet appareil participe en effet de la définition de la double page comme champ visuel. Les images s’insèrent donc de façon dynamique dans ce cadre, enchâssant ou étant enchâssées par le texte. Elles se répondent ou se complètent, permettent éventuellement à une narration de se mettre en place entre le verso et le recto. Elles produisent par leur juxtaposition et leur confrontation au texte des commentaires exégétiques notamment à travers les parallèles et les typologies qui sont les dispositions les plus courantes sur une double page.

 

          La dernière partie envisage la présence du lecteur dans les pages du livre. Cette présence est surtout traduite par les portraits de donateurs faisant face au saint ou à la divinité à qui ils adressent l’ouvrage, ces scènes étant généralement disposées sur des doubles pages, à la façon d’un diptyque, dont le diptyque Wilton est un bon exemple.

 

          On le voit, la problématique de ce petit ouvrage est volontairement large. Envisageant le livre médiéval dans toute son étendue, les exemples sont choisis entre le IXe siècle et la fin du XVe, il souhaite considérer la double page comme unité sémantique et analyser l’effet dynamique de l’association ou de la confrontation au sein de ce champ. Le texte, très court (une cinquantaine de pages de texte), reste assez général, comme il est annoncé dès la première note, la forme orale de la conférence dont il est issu ayant été respectée. L’auteur renvoie à sa contribution publiée dans les actes du colloque au cours duquel le texte a pour la première fois été présenté (J.F. Hamburger, « Openings », dans C. Mews et G. Kratzman (dir.), Imagination, Books and Community in Medieval Europe : A Conference at the State Library of Victoria, actes du colloque de Melbourne, 29-31 mai 2008, Melbourne, 2009, p. 50-133) où l’on trouve une version à peine plus développée de ce texte, mais accompagnée d’une riche iconographie et de notes. On regrette donc que le développement soit bien souvent très rapide, les exemples se multipliant sans être analysés en profondeur. Les œuvres évoquées n’ont pu toutes être reproduites et cela nuit sans doute à la clarté de la démonstration. D’une manière générale, malgré l’intérêt du thème abordé, de l’intuition de l’ouverture du livre comme révélation et de la considération de la double page comme champ sémantique, les trop fréquentes approximations et le survol de nombreux points qui mériteraient approfondissement frustrent le lecteur plutôt qu’ils ne le stimulent. On peut également être dérouté par quelques petites erreurs qui se sont glissées dans cette version du texte (par ex. « architecture métallique parisienne », p. 81 au sujet de la miniature du jardin d’Eden de fol. 25v des très riches heures du duc de Berry. L’article en anglais donne metalwork ; l’auteur voulait donc évoquer une pièce d’orfèvrerie). Notons que l’article reproduit une plus grande quantité d’œuvres et de double page de manuscrits et permet, rien que par l’accumulation d’images qu’il propose, de saisir l’intérêt du sujet.

 

         Ce livre se veut donc plutôt introduction au manuscrit qu’œuvre scientifique, les notes et la bibliographie sont en effet limitées à l’essentiel. On retiendra les qualités esthétiques du livre, sa couverture – jaquette raffinée et l’attention portée à la maquette – les  reproductions de manuscrits ou de double page font par exemple toujours coïncider la gouttière du livre reproduit et du livre lu – et la qualité des reproductions.