Desbordes, Jean-Michel: Voies romaines en Gaule. La traversée du Limousin (Travaux d’archéologie limousine, Suppl. 8 ; Aquitania, Suppl. 19), 196 p., 160 fig. dt 20 coul. - 200 p. - 210 x 297 mm - ISBN 978-2-9530543-3-0 - 39 €
(Archéologie en Limousin, Limoges - Fédération Aquitania, Bordeaux 2010)
 
Rezension von Nicolas Mathieu, Université Pierre Mendès-France, Grenoble 2
 
Anzahl Wörter : 1256 Wörter
Online publiziert am 2010-12-22
Zitat: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1214
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          Archéologue de terrain, Jean-Michel Desbordes a arpenté pendant des décennies les terres limousines dont il fut directeur régional des antiquités historiques, et multiplié les enquêtes (en témoignent en bibliographie 24 articles écrits seul et 15 en collaboration) dans un esprit pluridisciplinaire propice à l’appréhension la plus large possible des questions archéologiques. Comprendre ce qu’est une voie romaine, ce que sont ses caractéristiques techniques, son évolution au fil du temps, distinguer la voie romaine de toutes celles qui ont pu être postérieures mais nouvelles ou des cheminements indigènes antérieurs ou contemporains nécessite, entre autres apports, les connaissances de l’histoire, des textes littéraires et épigraphiques, de la géographie, de la géologie, de la géomorphologie, de la botanique. Organisé en quatre chapitres qui présentent successivement en termes généraux ce qu’est une voie romaine (p. 1-17), la documentation disponible pour le Limousin (p. 19-79), les voies romaines du Limousin en tant que monument routier (p. 77-136), les tracés routiers reconnus (p. 137-180), suivis d’une courte conclusion (p. 181-182) et d’un glossaire utile des mots latins (p. 183), le livre est complété par une abondante bibliographie (p. 185-196). Il montre la longue familiarité de l’auteur avec la cité des Lémovices et la parfaite maîtrise de son sujet qui permet une grande simplicité dans la présentation des données et des interprétations qui semblent toujours évidentes. J.-M. Desbordes avait, il y a quinze ans, en 1995, fait paraître un ouvrage sur le même sujet, intitulé Voies romaines en Limousin (Supplément 3 aux Travaux d’archéologie limousine). Il était épuisé mais le sujet non, comme le montrent l’augmentation du nombre de pages (un peu plus d’une cinquantaine) et des exemples liés aux découvertes de bornes milliaires épigraphes ou anépigraphes ainsi qu’aux nombreuses fouilles. Si le plan suivi est identique dans ses grandes lignes (les données sur les grandes caractéristiques du paysage limousin ont logiquement intégré le deuxième chapitre et disparu des généralités sur les voies romaines du premier chapitre), la perception des voies en tant que monuments construits est légèrement modifiée et plus claire parce que la connaissance de tronçons nouveaux, la comparaison avec des voies d’autres territoires sont à la fois plus larges et plus fines. Il en résulte une meilleure vue d’ensemble. Le changement de titre illustre cette nouvelle perspective en plaçant le Limousin dans un monde plus vaste. Depuis 1995 le corpus des bornes milliaires a augmenté d’un tiers, passant de 17 attestations à 27. La comparaison des cartes du tracé schématique des principaux itinéraires antiques dans la cité des Lémovices (fig. 18b, p. 32 et fig. 110, p. 112 en 1995 ; fig. 13, p. 25 et fig. 118, p. 143 en 2010) est révélatrice. Tout l’axe méridien partant de Limoges en direction de Bourges, chez les Bituriges Cubes, et hypothétiquement placé du fait de l’existence de trois bornes, l’une au sud, près de Limoges et deux autres au nord à proximité d’une voie est-ouest en direction de Poitiers, est désormais mieux situé par la découverte de cinq bornes, dont deux à proximité de Rancon qui apparaît bien comme une agglomération secondaire intégrée au réseau. La grande voie est-ouest de Clermont-Ferrand à Saintes, passant par Ahun est désormais jalonnée par 18 bornes, soit six de plus.

 

          La connaissance des voies a aussi progressé en tant que construction. Après avoir repris les descriptions et conclusions du premier chapitre qui ne devaient pas être modifiées, à savoir que tout chemin creux n’est pas d’origine romaine et que toute chaussée bâtie n’est pas d’origine antique, l’auteur insiste sur la diversité des largeurs, des profils en travers, sur l’importance des aménagements en remblai ou en cavée et sur la nécessité d’observer et analyser la toponymie locale et les matériaux de construction. Au passage, il démonte quelques erreurs encore vivantes : les fossés ne sont pas creusés mais résultent de l’élévation, au milieu de la terrasse préparée, de l’agger qui sera la surface de roulement ; toutes les voies romaines n’étaient pas pavées. Il précise aussi la connaissance technique des constructions et de l’architecture des voies romaines : le profil en travers de la chaussée résulte toujours de l’adaptation aux caractéristiques du terrain ; la largeur de la chaussée d’une même voie varie non seulement selon sa situation locale (remblai ou creux) mais aussi en fonction de la proximité urbaine et des besoins de circulation, de sorte que la mesure de la largeur n’est pas a priori un indice qu’elle serait ou non antique ; les restaurations ont eu tendance au fil du temps à élargir la surface de roulement en raison des recharges de matériau ; le matériel lithique utilisé pour construire les voies provient généralement des environs. La toponymie routière est caractéristique : chaussade, estrade, chemin ferré sont des mots et des expressions courants un peu partout en France mais il faut être particulièrement prudent. Ainsi, en Limousin, les toponymes comme Chaussidoux n’ont aucun rapport avec des voies car ils sont formés sur le mot limousin chaussido qui signifie chardon. Le mot pouge est quant à lui associé à des voies et peut par conséquent être un indice de l’existence de l’une d’entre elles parfois aujourd’hui perdue. Tout au long du livre sont donnés de nombreux exemples, décrits et illustrés à bon escient, suivis d’analyses et d’interprétations qui permettent de changer d’échelle, de passer de la micro-histoire à une possibilité d’élargissement du questionnement et de la réflexion.

 

          Parmi les observations significatives sur le terrain qui conduisent à poser les questions autrement, il faut notamment retenir la nature du lien ancien entre la localisation des sanctuaires gallo-romains et la proximité des chemins fréquentés. J.-M. Desbordes montre que la plupart de ces sanctuaires étaient, dans le Limousin, proches de cheminements d’origine préromaine guidés par les lignes de partage des eaux alors que les chaussées créées après la conquête en étaient éloignées ou passaient ailleurs. La romanisation n’est donc pas exclusivement passée par les voies romaines et celles-ci n’accueillirent pas les mêmes usagers. Le dense réseau des cheminements indigènes a toujours été fréquenté par des marchands, des paysans, une proportion de population locale ou de la cité probablement plus importante que celle qui utilisait les grandes voies mises en place avec la conquête qui permettaient d’aller de ville en ville plutôt qu’elles n’irriguaient les campagnes car elles étaient construites sur un sol exproprié, devenu public, qui ignorait, au milieu des campagnes, les foyers d’habitat.  

 

          Parmi les apports nouveaux dans ce beau travail il faut enfin signaler la comparaison des caractéristiques formelles de bornes routières lémovices conservées car elle contribue, en l’absence de texte pour celles qui n’ont pas été retrouvées in situ, à préciser leur appartenance à la cité. Le tableau comparatif de la page 37 est intéressant, mais il aurait été plus lisible encore si avait été reporté, à la suite de la situation et de la dénomination éventuelle de la borne dans la première colonne, le numéro qui lui a été attribué dans le catalogue commenté des pages 26 à 35 et dans les deux cartes récapitulatives des pages 25 et 143. On aurait aussi aimé disposer d’un tableau récapitulatif de l’ensemble des bornes connues avec les références aux corpus et aux sources indiquant leur état et leur existence actuelle.  

 

Richement illustré de photographies, coupes, plans et tableaux toujours d’une grande clarté, à juste propos et bien annoncés dans le texte, ce livre doit donc aussi bien être lu comme une synthèse régionale aboutie, ancrée dans la réalité antique, que comme un manuel méthodique à l’usage de ceux qui voudraient entreprendre le même type d’enquête dans d’autres cités des Gaules.