Beck Saiello, Emilie: Pierre Jacques Volaire dit le Chevalier Volaire (1729-1799); 488p.; 589 ill. dont 113 coul.; ISBN 978 2 903239 43 5; 119€
(Arthena, Paris 2010)
 
Rezension von Jan Willem Noldus
 
Anzahl Wörter : 1844 Wörter
Online publiziert am 2012-01-03
Zitat: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1221
 
 


          Pierre Jacques Volaire, né et formé à Toulon, est surtout connu pour ses tableaux réalisés en Italie – d’abord à Rome, mais particulièrement à Naples où il a passé les trente dernières années de sa vie.  Ce sont les vedute représentant le Vésuve en éruption qui ont le plus contribué à sa célébrité. Aucune monographie récente n’avait été consacrée à ce peintre de paysage. Émilie Beck Saiello a maintenant comblé cette lacune en nous livrant ce beau livre qui consiste pour presque la moitié en un copieux catalogue raisonné. La première partie présente une étude approfondie – 200 p. – de la vie de l’artiste, de la façon dont il exerçait son métier, le marché de l’art en Italie pendant la deuxième moitié du XVIIIe siècle, et de quelques questions théoriques. Cette étude se termine par une analyse de la fortune (et l’infortune) de Volaire. L’ouvrage est complété par des annexes chronologiques, une riche bibliographie et une série de documents reproduits in extenso. Non seulement Mme Beck Saiello fait le point des connaissances actuelles sur Volaire et son œuvre, mais elle décrit aussi de manière détaillée le monde dans lequel l’artiste évoluait. La préface de Maria Teresa Caracciolo introduit le lecteur dans l’univers napolitain avec ses traditions populaires, qui fascinait tant les voyageurs du Grand Tour.

 

          Les Volaire formaient une véritable dynastie de peintres dont le lieu d’activité principale était Toulon. Comme la plupart de leurs collègues locaux, ils étaient spécialistes de la peinture marine, genre très prisé à Toulon à cause de l’importance du port. Mais ils ont pratiqué aussi la peinture religieuse pour répondre aux commandes d’institutions ecclésiastiques. Pierre Jacques a sans doute reçu sa première formation au sein de sa famille. La partie du livre consacrée à cette phase de la carrière du peintre est succincte. Il ne pouvait pas en être autrement à cause de la rareté des informations dont nous disposons. Mais Émilie Beck Saiello a exploité au maximum les documents existants et esquissé une vue d’ensemble très plausible.

 

          À l’âge de 26 ans, Pierre Jacques Volaire rencontre Joseph Vernet. Il est probable qu’à la fin de l’année 1756 il devient le collaborateur de ce dernier dans la grande entreprise qu’est la réalisation des Ports de France, importante commande royale qui signifie aussi la consécration de Vernet. Pendant les six ans qu’il travaille avec Vernet, Volaire va développer son propre style, évidemment très marqué par le modèle du maître qui réconcilie précision topographique et imagination. Pour les figures humaines, il restera toujours moins habile que Vernet, même s’il s’exerce inlassablement – ce dont témoignent de nombreux dessins. Après le départ de Volaire en Italie, les liens entre les deux artistes resteront forts. Vernet aide Volaire et sert ainsi sans doute aussi son propre intérêt, car celui-ci peut le représenter auprès d’une clientèle italienne éventuelle et faciliter des commandes. De l’autre côté, Volaire profite de la notoriété de son maître. Jusque très tard dans sa vie, il se présentera comme disciple de Vernet et attire ainsi des amateurs de la peinture de paysage. Certains qui ne peuvent pas s’offrir un tableau de Vernet, peuvent acquérir une œuvre de Volaire, moins chère certes, mais dans le même style.

 

          Une fois installé à Rome, en 1763, Volaire fréquente les cercles d’artistes étrangers vivant dans la Cité éternelle, mais il devient aussi membre de quelques associations de peintres plus officielles. Ses tableaux de paysages à moitié topographiques et à moitié imaginaires, caractérisés par une belle luminosité, trouvent vite des acquéreurs et assurent à leur créateur une aisance financière certaine. Cet aspect de la vie de Volaire offre à Mme Beck Saiello l’occasion d’analyser la dimension socio-économique de la peinture à Rome, et plus tard à Naples. Elle détermine qui étaient les clients de Volaire, quelle était leur position financière, comment était établi le prix d’un tableau… Il est clair que si Volaire avait une clientèle parmi les patriciens romains, ses acheteurs principaux étaient des étrangers qui souhaitaient garder des souvenirs matériels de leur séjour en Italie lors du Grand Tour. Après le déménagement de Volaire à Naples, la situation est restée essentiellement identique. Par son immobilité même, la clientèle locale formait un vivier restreint ; les amateurs qui avaient acquis un tableau d’un artiste, n’en achetaient pas forcément d’autres. Le budget des Romains ou Napolitains « de souche » était relativement limité à cause de leur situation économique labile qui était en partie due à de mauvais investissements. En revanche, la clientèle étrangère changeait en permanence et était donc virtuellement inépuisable. De plus, les touristes étaient généralement fortunés. Ceci explique aussi pourquoi tant d’œuvres de Volaire se trouvent maintenant dans des collections anglaises, russes, etc. Mais l’artiste devait souvent travailler vite pour satisfaire un client qui ne pouvait rester indéfiniment. C’est pourquoi il reprenait régulièrement les mêmes motifs, en variant le format selon le prix que le client était prêt à payer. Une autre raison pour ces répétitions était l’engouement pour ces grands évènements de l’histoire (naturelle) contemporaine qu’étaient les éruptions.

 

          Le style de Volaire n’a pas beaucoup évolué depuis son départ en Italie, raison pour laquelle il est difficile d’établir une chronologie de certains tableaux. Heureusement, certaines œuvres sont signées et datées, mais elles ne constituent qu’une partie de la production. Les sujets des peintures permettent souvent de distinguer où Volaire les a réalisées, et donc aussi la période : des paysages dans la campagne romaine entre 1762 et 1768, des vues du Vésuve forcément après 1768. Les éruptions ayant des caractéristiques très particulières, il est possible d’identifier celle de 1771 et celle de 1779 par exemple. Il y a donc des dates post quam. Cependant Volaire a peint d’autres paysages dans la région napolitaine aussi, une partie moins connue de son œuvre et néanmoins importante pour la compréhension de son activité professionnelle. Là, l’iconographie est moins utile pour dater les tableaux. Pourtant, Émilie Beck Saiello a réussi – avec une grande subtilité – à dresser une chronologie convaincante de l’ensemble des œuvres de Volaire. Elle s’est appuyée sur le rapprochement formel de certaines œuvres et sur des documents de natures diverses : des contrats, journaux, lettres… Elle a ainsi pu distinguer une facture plus épurée dans les œuvres de la dernière décennie de la vie du peintre. Cet Altersstil est peut-être moins dû à une évolution autonome qu’on croit parfois pouvoir déceler dans la production d’artistes vieillissants, qu’au changement général de goût à une époque où le néo-classicisme s’impose.

 

          Le seul regret qu’on pourrait peut-être avoir concernant ce livre est l’absence d’une analyse approfondie des sources formelles de l’art de Volaire. Le modèle qu’a été Joseph Vernet est bien étudié, mais pour le reste le lecteur ne trouve pratiquement que des noms cités au passage. Il aurait été bienvenu de trouver au moins quelques reproductions de tableaux de peintres provençaux, italiens et hollandais (Backhuysen !) mentionnés dans le texte, qui auraient permis au non-spécialiste de se faire une idée des ressemblances et des différences entre des paysages – marins ou autres –  du XVIIe siècle et ceux de Volaire. L’art des vedute est traité succinctement, mais uniquement en ce qui concerne Naples (Van Wittel/Vanvitelli). Il aurait été intéressant de voir ce qui pouvait rapprocher, et ce qui distinguait, Naples de Venise où des peintres du Nord ont aussi imposé un genre qui n’était pas particulièrement favorisé par les Italiens. Mais on peut comprendre que l’auteur ait décidé de se concentrer sur « son » artiste dont la vie et les stratégies professionnelles présentent déjà des sujets très riches.

 

          Elle analyse, par exemple, l’intégration par Volaire de l’esthétique du sublime. Celle-ci, développée en France et en Angleterre à partir du traité du Pseudo-Longin (traduit par Boileau, non cité par É.B.S.), a permis aux curieux du XVIIIe siècle de s’intéresser au phénomène « terrible » du volcanisme. À l’âge des Lumières, il y avait cependant une autre raison pour étudier les volcans : la science naissante de la géologie et la question du développement de la Terre. L’ambassadeur britannique Sir William Hamilton était fasciné par cette matière ; il a publié plusieurs livres sur le Vésuve et le volcanisme. Grand collectionneur d’art, sa résidence représentait un véritable pôle d’attraction pour les visiteurs étrangers, et il jouait un rôle central dans la vie culturelle et intellectuelle à Naples. Par ailleurs, il avait l’habitude d’aiguiller des touristes vers des artistes comme Volaire, contribuant ainsi à l’épanouissement du genre pictural des éruptions.

 

          Si Hamilton n’était pas un agent à proprement parler, d’autres Anglais en avaient fait leur métier. Émilie Beck Saiello décrit de très près leurs activités. Elle raconte comment ces hommes, dont le Père Thorpe est un exemple parfait, guidaient des étrangers vers les artistes qui pourraient leur peindre des tableaux-souvenirs, mais jouaient aussi le rôle d’intermédiaires et représentants locaux pour les clients qui étaient déjà partis ou n’avaient pu se rendre à Naples. Des documents cités dans le texte ou dans les notes – d’ailleurs abondantes – nous donnent une idée très précise de l’activité de ces agents, évoquant au passage avec force détails la vie napolitaine.

 

          La correspondance entre artistes, agents et clients nous est précieuse aussi pour mieux comprendre l’évolution du goût dans cette deuxième moitié du XVIIIe siècle. Situer Volaire dans cette évolution est un des buts d’Émilie Beck Saiello ; elle y consacre même la conclusion de son livre. On ne peut que constater que Volaire a été plus important pour les étrangers (dont les Italiens) que pour les Français. Le peu d’intérêt des amateurs français pour l’art de Volaire s’explique peut-être par la victoire du goût néo-classique et sa préférence pour l’héroïque et la beauté idéale. Le paysage sublime selon Volaire n’aurait été qu’un épisode de courte durée dans l’histoire de l’art français – épisode qui toutefois suscite à nouveau de l’intérêt ces dernières décennies.

 

          Le catalogue raisonné de l’œuvre de Volaire constitue une partie essentielle de l’ouvrage. Y sont répertoriés tous les tableaux et dessins de la main de l’artiste connus à ce jour, ainsi que les œuvres mentionnées dans des documents anciens – ces dernières peuvent être, en partie, identiques aux œuvres connues, mais ne sont pas identifiables telles quelles avec certitude. Une partie du catalogue contient des œuvres autrefois attribuées à Pierre Jacques Volaire mais rejetées maintenant, et des œuvres dont l’attribution est incertaine. Un catalogue des gravures d’après des œuvres de Volaire conclut cette partie du livre. Les œuvres connues attribuées ou désattribuées sont toutes reproduites – à quelques rares exceptions près – en noir et blanc dans le catalogue, mais beaucoup de tableaux sont reproduits aussi en couleur dans la première partie de l’ouvrage. Les notices sont bien fournies et donnent beaucoup d’informations sur l’histoire des collections. En même temps, elles permettent au lecteur un regard sur la démarche de l’auteur : la logique de la chronologie, l’identification des œuvres ou leur attribution.

 

          Le livre d’Émilie Beck Saiello est accessible pour un public de non-spécialistes intéressés par le monde de l’art du XVIIIe siècle, l’histoire du goût, l’histoire des idées et des théories artistiques. Le catalogue s’adresse évidemment bien plus aux utilisateurs professionnels du monde universitaire ou du marché de l’art.