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Compte rendu par Milovan Stanic, Université Paris Sorbonne - Paris IV Nombre de mots : 1765 mots Publié en ligne le 2011-03-28 Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700). Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1230 Lien pour commander ce livre
On ose à peine le dire : il n’y a que récemment qu’une lacune béante dans l’exploration, et dans la connaissance, de l’un de plus grands acteurs sur la scène architecturale française – Jules Hardouin-Mansart – vient d’être comblée. S’il est vrai que celui qu’on identifiait presque comme son mécène royal, celui dont la carrière vertigineuse et l’œuvre pléthorique ont intimidé plus d’un chercheur, a été étudié depuis fort longtemps, et de manière très détaillée et innovatrice, par Bertrand Jestaz, ce travail universitaire remarquable, indispensable à toute nouvelle approche du sujet, est demeuré difficile d’accès pendant plus de trente ans dans la bibliothèque de l’École des Chartes, jusqu’à sa publication, un peu hâtive, en deux volumes en 2008. Publication capitale, pourtant trop vite considérée comme définitive par ceux qui ne s’étaient pas sérieusement penchés sur l’œuvre mansartien (car un opus d’une telle complexité et d’une telle richesse saurait-il être épuisé d’une manière définitive ?). C’était le cas, entre autres, de la recension d’Alexandre Maral, éditée en ligne sur le site de La Tribune de l’Art en octobre 2008. Qu’il en restait à faire et à découvrir, la présente publication, sous la direction d’Alexandre Gady, le confirme tout en rendant hommage au travail de Jestaz à maintes reprises.
Il est vrai que l‘ouvrage est impressionnant : plus de 600 pages, dont on devine aisément les difficultés et les frais de la réalisation à tous les niveaux (signalons tout de suite que ceci fut rendu possible grâce au soutien généreux et indéfectible, tout au long de la longue gestation du projet, par le Centre allemand d’histoire de l’art). Il réunit un nombre considérable d’auteurs pour aborder les différents aspects de la vie et de la carrière de Hardouin-Mansart, ainsi que ses réalisations : huit auteurs pour les dix articles de la première partie, intitulée « L’homme et l’architecte », une quarantaine pour la seconde partie, réunissant sous le titre « Catalogue de l’œuvre bâtie », les bâtiments et les édifices de différents types (châteaux, hôtels, palais abbatiaux, édifices religieux), les édifices royaux, les places royales et les édifices publics, les ouvrages d’art, ainsi que les œuvres à l’attribution problématique et celles qui sont rejetées. Le risque d‘éclatement est compensé par la cohérence et la précision concentrées sur une problématique, une œuvre particulière et ses détails.
Jean-Marie Pérouse de Montclos, au début de l’ouvrage, s’est interrogé sur la renommée de Hardouin-Mansart, sur les critiques malveillantes de Saint-Simon, si difficiles à resituer dans leur contexte, les appréciations plus compétentes des collègues, celles de la postérité en général, sur les hommages au XIXe siècle. Il s’est interrogé aussi sur les reprises, presque textuelles, du château de Herrenchiemsee de Louis II de Bavière, et les étonnants exercices d’équilibrisme dans les analyses stylistiques au XXe siècle : baroque ou classique (Antony Blunt) ? Question que l’époque n’a évidemment pas posée, et à laquelle, contrairement à l’espoir de Pérouse de Montclos, les études de l’œuvre mansartien ne sauraient apporter une réponse.
Dans son article « Le jeune prodige (1646 – 1675) », Claude Mignot s’est penché sur les débuts de la carrière du petit-neveu du grand François Mansart, sur laquelle il apporte maint éclairage. Se trouve contredite en passant l’opinion établie selon laquelle, en 1675, les réussites du jeune Hardouin, alors quasi inconnu, avec le château de Clagny et le pavillon du Val lui valent d’être admis dans le cercle restreint des « architectes du roi » puis, à la fin de la même année, à l’Académie d’architecture. L’érudition sans faille de Claude Mignot lui permet par ailleurs des intuitions et des conjectures toujours plausibles, lorsque la base documentaire fait défaut.
Benjamin Ringot et Thierry Sarmant ont étudié la carrière exceptionnelle de Hardouin-Mansart au service de Louis XIV, qu’aucun autre architecte n’a connu, à partir du brevet d’architecte ordinaire du roi (1675), mérité par « la suffisance, et capacité que ledit Sieur Mansart s’est acquise tant dans la théorie que dans la pratique de l‘architecture » (la mention de la théorie laisse quelque peu perplexe, mais les auteurs ne s’attardent pas sur cette question), jusqu’à la fin de sa vie en 1708. Carrière au long de laquelle il a participé à tous les grands chantiers de la monarchie, et a cumulé distinctions et offices : premier architecte du roi en 1681, anobli en 1682, inspecteur général en 1691, surintendant des Bâtiments du roi en 1699, obtenant ainsi un pouvoir inconnu de ses confrères, aussi bien avant lui qu’après lui. Parallèlement à cette ascension personnelle et professionnelle, l’importance de ses chantiers, ainsi que son implication personnelle dans les projets, diminuent : les auteurs le comparent avec raison au cas de Vauban, qui déléguait lui aussi de plus en plus de travaux à son équipe.
Joëlle Barreau et Yoann Brault ont consacré une étude très détaillée au patrimoine personnel d’Hardouin-Mansart, bâti avec beaucoup de prudence après une longue période de précarité, qui lui permit d’appartenir « à la petite élite des nantis » (p. 39).
Dans une deuxième contribution, Claude Mignot précise les relations qu’entretenait Hardouin-Mansart avec l’équipe de l’« agence des Bâtiments du roi », sa relation au dessin d’architecture au long du processus créatif de l’élaboration d’un projet, restituant sa démarche habituelle, et contredisant la vision bien ancrée d’un « architecte sans dessin ».
Le travail d’Hardouin-Mansart administrateur, à la surintendance des Bâtiments, est présenté par Benjamin Ringot et Thierry Sarmant, et la riche iconographie de l’architecte est explorée par Alexandre Gady dans l’article « Le compas et la perruque. Portraits de l’architecte ». Ce dernier a abordé, dans une contribution riche d’observations stimulantes, les éléments du « style d’Hardouin-Mansart ». Quels sont-ils en effet, au-delà des qualificatifs désuets classique et baroque, ou vides de sens comme le discours sur l’architecture française faite « d’équilibre et de mesure » ? Gady analyse les emprunts à la tradition, aux prédécesseurs, au grand-oncle bien sûr, qui l’avait formé ; il observe la manière de traiter le mur, les bossages, les baies, les ordres (surtout l’ordre ionique), les combles, les courbes des volumes. S’en dégage une appréciation nuancée de la manière de Mansart qui, « sans innover, ou presque », opère en épurant : « ce qui est neuf consiste peut-être d’abord en l’effacement, la disparition même de formes héritées, plutôt que de nouveaux traits, en n’ayant garde d’oublier », ajoute l’auteur prudemment, « les inclinations, les préférences, parfois les contradictions de son royal et principal commanditaire » (p. 89). Il va de soi que l’exercice de l’analyse n’est pas toujours élevé au-dessus de toute contestation possible : les colonnes libres de la chapelle de Versailles sont-elles une reprise de la colonnade du Louvre (comme le présente Guillaume Fonkenell, p. 93), ou plutôt, comme le voit Gady, une relecture plastique du système gothique habillé à l’antique ? On pourrait tenter de trouver une réponse en interrogeant l’idéal de la colonne libre auquel l’architecture française s’adonne en général avec un enthousiasme croissant à partir de la fin du XVIIe siècle. Un autre détail : Gady signale p. 84 que Mansart n’hésite pas à superposer dorique et corinthien : c’est évident dans le cas de l’avant-corps de l‘église des Invalides, mais ça l’est moins dans le cas de Clagny (dont il ne reste que les dessins), Vincent Maroteau y voyant le ionique et le composite (p. 134). Gady a, nous semble-t-il, raison : le second ordre du pavillon central de Clagny (fig. 55, p. 84) suit littéralement le corinthien de l’exemple de Barbaro (qui lui suit Vitruve), donné en 1650 par Fréart de Chambray dans le Parallèle de l’architecture antique avec la moderne, entablement ionique, avec sa frise bombée, sur la colonne corinthienne. À propos d’ordre ionique : faut-il voir, comme Gady, dans le traitement des toitures, une « marque de l’architecture à la française » ? L’assise semble bien mince pour résumer une prétention aussi ample.
L’article de Guillaume Fonkenell relatif à Hardouin-Mansart constructeur, sur ses savoirs techniques et sur l’utilisation de ces savoirs, apporte des éclaircissements précieux. L’auteur examine les sources des techniques mansartiennes dans les usages de son époque (Mansart ne cherche pas des solutions dans les œuvres antiques ou médiévales), interroge son goût pour les formes complexes (la voûte de l’hôtel de ville d’Arles est à titre d’exemple examinée minutieusement), son emploi de la stéréotomie, pragmatique comme l’ensemble de ses techniques constructives, ne se fixant jamais en système (p. 111).
Enfin, à l’issue de la première partie, dans une dernière contribution, Claude Mignot présente l’apport d’Hardouin-Mansart à l‘art des jardins, qui, sans être négligé jusque-là, notamment par B. Jestaz, demeurait sous-évalué.
Le catalogue de l’œuvre bâtie, où tout n’est évidemment pas inédit, est exhaustif, contenant cent entrées précisément, auxquelles se joignent sept « œuvres problématiques » et quatre « œuvres rejetées ». Derrière ce compendium impressionnant d’informations, se lit un travail de coordination et d’harmonisation auquel il convient de rendre hommage. Excellemment documentées et illustrées, les entrées sont précieuses pour la qualité de leurs exposés, leur sobriété, leur ouverture vers presque tous les aspects des œuvres partout où cela était possible (ceci est vrai notamment des campagnes menées dans les intérieurs des bâtiments). L’on aurait parfois souhaité une analyse plus complète de tel ensemble décoratif, ou de tel mobilier important (par exemple les orgues de l’église des Invalides). Mais en somme, le catalogue demeurera longtemps une référence pour l’approche des œuvres mansartiennes. Les photographies de Georges Fessy, enfin, toutes en couleur, méritent une mention particulière : elles sont le résultat de missions spéciales en relation avec le projet, dont le regard à la fois intelligent et nouveau donne à tout l’ouvrage un aspect élégant et unifié.
Préface : Andreas Beyer, p. VII La renommée de Jules Hardouin-Mansart : Jean-Marie Pérouse de Montclos, p. I
Première partie : L’homme et l’architecte « Monsieur Mansart » Le jeune prodige (1646 –v 1675) : Claude Mignot, p. 11 Au service du roi (1675 – 1708). Une carrière exceptionnelle : Benjamin Ringot et Thierry Sarmant, p. 21 « Un homme de rien gâté par la faveur » ? Essai sur la fortune de Jules Hardouin-Mansart : Joëlle Barreau et Yoann Brault, p. 32
La fabrique de l’architecte Mansart et l’« agence des Bâtiments du roi » : Claude Mignot, p. 45 La surintendance des Bâtiments du roi sous Jules Hardouin-Mansart : Benjamin Ringot et Thierry Sarmant, p. 59 Le compas et la perruque. Portraits de l’architecte : Alexandre Gady, p. 69
Manière royale et « grand goût » L’art et la manière. Sur le style d’Hardouin-Mansart : Alexandre Gady, p. 79 Hardouin-Mansart constructeur : Guillaume Fonkenell, p. 91 En compagnie d’Hortésie : Claude Mignot, p. 113
Deuxième partie. Catalogue de l’œuvre bâti Sommaire du catalogue, p. 126 Edifices royaux, p. 130 Châteaux, p. 304 Hôtels, p. 374 Palais abbatiaux, p. 428 Edifices religieux, p. 436 Places royales et édifices publics, p. 480 Ouvrages d’art, p. 538 Œuvres problématiques, p. 554 Œuvres rejetées, p. 564
Annexes Vie manuscrite de Jules Hardouin-Mansart, p. 567 Arbres généalogiques : Philippe Cachau, p. 570
Sources et bibliographie, p. 573 Index des noms de personnes, p. 586 Index des noms de lieux, p. 594 Table des illustrations, p. 598 Crédits photographiques, p. 608 Remerciements, p. 610
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Éditeurs : Lorenz E. Baumer, Université de Genève ; Jan Blanc, Université de Genève ; Christian Heck, Université Lille III ; François Queyrel, École pratique des Hautes Études, Paris |