Maës, Gaëtane - Blanc, Jan (éd.): Les échanges artistiques entre les anciens Pays-Bas et la France, 1482-1814, 365 p., 150 ill. NB, 210 x 297 mm, ISBN: 978-2-503-53095-6, 75€
(Brepols publishers, Turnhout (Belgique), 2010)
 
Reseña de Amélie Bernazzani, Université de Tours
 
Número de palabras : 1678 palabras
Publicado en línea el 2012-04-02
Citación: Reseñas HISTARA. Enlace: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1234
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          Brepols publie en 2010 les actes du colloque international intitulé Les échanges artistiques entre les anciens Pays-Bas et la France, 1482-1814, qui s’est déroulé au palais des Beaux-arts de Lille du 28 au 30 mai 2008. L’ouvrage rassemble 24 contributions réparties de manière harmonieuse dans cinq thématiques intitulées « Voyages et transferts », « Réseaux et échanges », « Collections et commerces », « Modèles et emprunts » et « Règles et valeurs ». Le plan adopté est cohérent et justifié par les directeurs scientifiques dans une introduction structurée qui présente les partis pris scientifiques du colloque (p. 10-11), mais au vu du nombre important des contributions, on pourra toutefois regretter l’absence d’une conclusion qui valorise les points communs de certains articles artificiellement séparés. Le plan adopté se fonde en effet sur la nature des « échanges » artistiques entre la France et les Anciens Pays-Bas, mais leur succession ne valorise pas encore assez la cohérence d’ensemble, que la diversité des sujets et l’imbrication des problèmes rendaient sans doute difficile à établir.

 

          De fait, si les communications de Joëlle Raineau, de Pierre-Yves Kairis ou de Jean-Philippe Huys, et de Laurence Riviale appartiennent à des thématiques différentes, chacune montre pourtant bien comment la situation politique et/ou religieuse de l’un ou de l’autre des deux territoires est décisive pour l’interaction artistique. Ainsi, dans la partie « Voyages et transferts » (I), Joëlle Raineau (p. 75-88) montre que le projet de Jean-Baptiste de Bouge pour la création d’une école de gravure à Amsterdam est une réponse à Louis Napoléon, qui appelle de ses vœux une équivalence entre les institutions officielles de la France et de la Hollande. De même, dans la partie « Réseaux et échanges » (II), Pierre-Yves Kairis (p. 129-144) prouve que la France n’hésite pas à accueillir des œuvres trop osées pour la principauté épiscopale de Liège, comme le Tonnelier de Léonard Defrance (p. 141-142). Toujours dans cette deuxième partie, Jean-Pierre Huys (p. 155-169) met au jour les incidences pour la vie artistique locale de la présence dans le Nord de la France, à la frontière avec les Anciens Pays-Bas, des deux frères électeurs Maximilien II Emmanuel et  Joseph-Clément de Cologne. Dans la partie « Modèles et emprunts » (IV), Laurence Riviale (p. 251-264) défend l’hypothèse séduisante selon laquelle la circulation des modèles n’est pas uniquement liée à une histoire du goût ou à une histoire des formes : en analysant un vitrail champenois daté entre 1590 et 1593, ainsi que son modèle anversois, elle démontre que les situations politiques et religieuses des Pays-Bas et de la France sont comparables au moment où celle-ci adopte et adapte les modèles venus du Nord. 

 

          Une présentation générale plus longue ou une synthèse finale aurait permis de valoriser encore ce qui fait le point fort de ce colloque et des actes qui en découlent : la diversité des disciplines abordées et des méthodes employées. Il convient en effet de souligner à la fois l’ambition et l’originalité de ce colloque, deux qualités qui sont indissociables l’une de l’autre. L’ambition se mesure en particulier à l’ampleur de la chronologie adoptée, qui s’étend sur quatre siècles couvrant des périodes historiques habituellement cloisonnées par la recherche universitaire. L’originalité se mesure, quant à elle, grâce à une approche quasi-inédite des échanges entre la France et les Anciens Pays-Bas – qui aurait au demeurant été mise en valeur par une bibliographie critique. Pour une fois, les études envisagent une réciprocité entre les deux territoires, sans les considérer au filtre de l’Italie et sans se restreindre au siècle d’or. De fait, aucune des contributions ne considère uniquement la France ou uniquement les Anciens Pays-Bas. Même si les enjeux se situent à des échelles différentes – du simple voyage des artistes ou des œuvres à la stratégie commerciale, politique ou religieuse –, tous les articles envisagent les interactions ou les transferts culturels de l’un à l’autre. D’après l’introduction (p. 7), ce sont justement « ces relations sur le mode du rapport réciproque et interactif » – relations par conséquent intrinsèquement liées au commercium – qui ont induit le choix du terme « échanges » se trouvant dans le titre de l’ouvrage. Or, de ce point de vue, le lecteur reste un peu sur sa faim : en plus de la justification de l’utilisation du terme « échanges », on aimerait une discussion des autres concepts – anciens ou actuels – tels que l’imitation, l’influence, la réappropriation, la translation, les transferts ou les interactions, qui peuvent eux aussi engager une réciprocité mais qui sont abandonnés ici. Jamais vraiment théorisés ou justifiés, ces termes se retrouvent d’ailleurs en passant dans les développements de certains articles.

 

          Tout en prenant en compte la réciprocité des échanges, ce sont les disciplines abordées et les méthodes employées qui constituent la véritable originalité de ce volume. Le lecteur est en effet bien loin d’une histoire des arts majeurs et des grands noms. Ainsi, l’ouvrage s’ouvre par la contribution de Gary Schwartz (p. 17-31) qui  tente de faire un point sur la carrière et la production du peintre de marines Jean-Charles Dominique van Beecq. Si l’approche reste classique, le travail n’en est pas moins à faire. Si, Augustin Jal se plaignait déjà à la fin du XIXe siècle du peu d’informations connues sur ce peintre hollandais, un siècle plus tard, l’auteur de la contribution corrobore cette lacune en montrant que même le prénom du peintre, tour à tour francisé, germanisé ou anglicisé n’est pas certain. De même, si la contribution de Michel Lefft (p. 91-101) s’intéresse à la sculpture – précisément  à « la petite statuaire de Brou » –, c’est surtout la méthodologie qu’il emploie qui importe. Il s’agit pour l’historien de l’art de revenir à ses fondamentaux : les œuvres elles-mêmes. L’auteur propose en effet de retourner à une observation et à une analyse minutieuse des œuvres afin d’en déterminer la (ou les) mains(s). Plus que le contexte – sans toutefois l’omettre totalement –, c’est donc l’analyse stylistique – appelée « analyse morphologique » – qui est à juste titre mise en avant. Grâce à des analyses comparatives fines, en particulier dans le traitement des drapés, l’auteur emporte l’adhésion lorsqu’il conclut – non sans une certaine prudence – que les statues de grande taille en albâtre aujourd’hui conservées au musée de Brou ont été exécutées par « une ou plusieurs personnalités du groupe Borman » (p. 100).  Dans un autre domaine, la méthodologie employée par Everhard Korthals Altes (p. 181-194) est à peu près similaire : en étudiant la présence des gravures françaises dans les collections allemandes, il s’agit cette fois d’analyser la circulation de certaines configurations et de certains motifs d’une œuvre à l’autre et d’un territoire à l’autre. Si Michel Lefft est le seul à consacrer sa contribution à la sculpture, Krista De Jonge (p. 277- 286) est également la seule à consacrer la sienne à l’architecture. Avec cette étude, il ne fait pourtant aucun doute que, dans l’architecture comme dans les autres domaines, les « échanges » étaient féconds.

 

          Ce qu’on pourrait prendre pour une lacune à la lecture du plan de ce volume – le peu de contributions s’intéressant aux arts dits majeurs –, devient en fait une qualité à la lecture. Comment, en effet, parler « des échanges » artistiques et culturels entre deux territoires, de la fin du XVe siècle au premier quart du XIXe, sans donner une place de choix au medium de la gravure qui permet une large diffusion des modèles, des motifs, mais aussi des compétences. De fait, sur les 24 contributeurs, 4 s’intéressent directement à la gravure (Nelke Barteling, Pierre Wachenhieim, Everhard Korthals Altes et Isabelle Lecocq). Plus encore, dans certains cas – comme celui de Bernard Picart étudié par Nelke Barteling ou celui de Pierre Lombard étudié par Isabelle Lecocq – l’étude des gravures permet de (re)valoriser la place de certains artistes dans le champ de l’histoire des arts à l’échelle européenne. On touche ici à une autre qualité de ce volume, qui se refuse à réduire les « échanges » à de simples influences et à restreindre l’histoire des arts à ses grands noms. Aussi, Natasja Peeters (p. 117-128) ne s’intéresse pas directement à Frans Floris, mais plutôt à ses disciples. De même, Pierre Wachenheim (p. 55-74) ne s’intéresse pas directement à « l’étoile » Bernard Picart, mais bien plutôt à ses élèves français venus à Amsterdam se former auprès de lui. Pareillement, si Michèle-Caroline Heck (p. 317-330) s’interroge sur la réception de Rembrandt en France, elle sort des sentiers battus en analysant finement la circulation et l’adaptation de la pratique du « houding ».

 

          Aux côtés de la gravure, qui reste toutefois une pratique bien représentée dans la recherche française et européenne, saluons la présence de contributions qui ont l’intérêt de se consacrer au vitrail (Laurence Riviale), aux costumes (Maria Teresa Caracciolo) ou encore aux matières premières (Sophie Mouquin) et, surtout, au livre à la fois en tant qu’œuvre et en tant que source. On compte en effet 5 contributions qui s’intéressent à des entreprises éditoriales (Gaétane Maës, Aude Prigot, Cécile Tainturier, Adriana Van De Lindt et, bien que de manière différente, Marianne Cojannot-Le Blanc). Or, tout comme la gravure, ce support de l’analyse est fécond puisqu’il permet notamment de démontrer l’étroite imbrication – somme toute assez logique – qui existe entre l’histoire du goût et les échanges commerciaux. De ce point de vue, l’étude des collections et des archives mise en œuvre essentiellement dans la troisième partie de l’ouvrage – et par Laure Fagnart dans la deuxième  (p. 103-116) – est aussi une idée heureuse, même si on aurait pu souhaiter une plus grande diversité des approches. La contribution d’Olivier Bonfait se différencie cependant des autres à la fois par l’ampleur des sources étudiées (115 inventaires contenant 9000 peintures), et par la méthode employée. L’auteur privilégie en effet une approche statistique de son corpus empruntée à l’Histoire, ce qui lui permet d’effectuer une analyse globale, mais aussi une analyse au cas par cas.

 

          Pour conclure, il convient de souligner que les apports scientifiques et méthodologiques de ces actes de colloques sont indéniables, et qu’ils ont pour qualités majeures de multiplier les approches et de valoriser des disciplines souvent laissées pour compte. A ce titre, un second volet à ce colloque serait le bienvenu, qui pourrait prendre en compte les arts décoratifs et les arts du spectacle qui ont été mis de côté ici pour des raisons évidentes de cohérence (p. 10). Quelques regrets néanmoins méritent d’être soulignés. Ils sont d’abord d’ordre éditorial : si l’ensemble du volume sur papier glacé est élégant et agréable, on regrettera que les illustrations soient exclusivement en noir et blanc (même si elles sont de bonne qualité), et que l’éditeur ait succombé au déplacement des notes en fin de chapitre, ce qui est peu pratique. Mais les regrets sont aussi d’ordre théorique : si le volume ne laisse pas assez de place au développement d’une véritable réflexion théorique sur le terme « d’échange », on regrettera également que l’épineux problème de l’identité nationale des artistes, qui est latent à la question des déplacements et des échanges, ne soit abordé que par Jan Blanc (p. 303-316), et pas mis en perspective tout au long de l’ouvrage.