Vanderheyde, Catherine: La sculpture architecturale byzantine dans le thème de Nikopolis. BCH Supplément 45.
Format 18,6 x 24 cm, XVI + 186 p., fig. au trait in texte, 163 plans in fine, XLVI planches en N/B in fine. 70 euros.
ISBN 2-86958-164-5
(Ecole française d' Athènes ; De Boccard Édition – Diffusion 2005)

 
Reviewed by Gaëlle Dumont, archéologue, Université libre de Bruxelles
 
Number of words : 1633 words
Published online 2007-11-24
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=124
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Cet ouvrage de Catherine Vanderheyde, spécialiste de l'architecture et de la sculpture architecturale byzantines, maître de conférences en archéologie et histoire de l'art byzantin à l'Université Marc Bloch de Strasbourg, constitue la publication de sa thèse soutenue en 1996 à l'Université de Paris I Panthéon-Sorbonne, intitulée "La sculpture architecturale mésobyzantine en Épire du Xe au XIIIe siècle".

Le cadre géographique est le thème de Nikopolis, qui correspond aujourd’hui au territoire qui s’étend du sud de l’Albanie jusqu’à Naupacte. Étant donné les montagnes qui marquent sa frontière orientale, la région est assez isolée des contacts avec Constantinople, et développera plutôt des échanges avec l’Europe occidentale, notamment les Pouilles, grâce aux ports de Naupacte, Nikopolis et Bouthrote, situés sur sa côte occidentale. Deux routes reliant les mers Adriatique et Égée et deux fleuves assurent les communications avec les régions voisines.

Nikopolis est la capitale du thème (unité administrative byzantine à caractère essentiellement militaire) du même nom, qui est instauré dans la seconde moitié du IXe siècle. À la fin du IXe siècle ou au début du Xe, la ville de Nikopolis cède son titre à Naupacte. À partir du XIe siècle, alors que le pouvoir se centralise autour de la capitale, la province s’isole de plus en plus et se divise progressivement en unités administratives plus restreintes ; la prise de Constantinople par les Croisés en 1204 favorisera l’autonomie de la région. Dans la première moitié du XVe siècle elle sera conquise par les Turcs et restera sous domination ottomane jusqu’en 1913. L’étude couvre l’époque mésobyzantine, depuis la fondation du thème jusqu’à son éclatement au début du XIIIe siècle.

L’ornementation sculptée occupe une place particulièrement importante dans les églises byzantines, car elle structure l’espace religieux et met en valeur certains éléments liturgiques. Pourtant, les études consacrées exclusivement au décor architectural sont rares, et souvent intégrées dans des synthèses plus vastes consacrées à l’ornementation en général.

Catherine Vanderheyde a basé son étude sur 122 reliefs issus d’églises et de musées situés dans les régions actuelles d’Épire, d’Étolie-Acarnanie et du sud de l’Albanie. Le nombre peu élevé de vestiges peut étonner pour une région aussi vaste, mais plusieurs obstacles se présentent en vue de la constitution d’un inventaire exhaustif : le matériel n’est pas toujours facilement accessible, peu de reliefs ont été publiés, le contexte de bon nombre d’entre eux est aujourd’hui perdu, et les fouilles menées dans la région sont peu nombreuses.

La plupart de ces reliefs proviennent des villes d’Arta (46) et de Naupacte (38), la première occupant une position stratégique sur le fleuve Arachtos, avec par conséquent un accès privilégié au marbre importé, et la seconde possédant le titre de capitale militaire et administrative. Les autres reliefs, de qualité inégale, se répartissent sur l’ensemble du territoire du thème.

Dans la première partie de l’ouvrage, l’auteur décrit systématiquement les 122 reliefs mésobyzantins retenus ainsi que le contexte dont ils font partie. Les sculptures répertoriées appartiennent au décor architectural des églises : il s’agit donc de chapiteaux, d’épistyles, de linteaux, d’encadrements d’arcs, de piliers de templon, de colonnettes, de frises et de plaques.

La seconde partie de l’étude dresse la synthèse des observations faites à partir de l’inventaire.

Dans un premier temps, c’est la question des matériaux qui est examinée. La plupart des reliefs étudiés sont taillés dans le marbre, mais la région n’en possède aucune carrière. Les villes d’Arta et de Glyki se situant sur des fleuves navigables, on peut supposer que du marbre importé transitait par ces cités. Mais devant les coûts élevés, des solutions alternatives ont dû être trouvées : on observe une utilisation – assez rare toutefois – d’une pierre calcaire locale, appelée « marbre de Ioannina », de plâtre, et surtout des remplois de sculptures antiques et paléochrétiennes. D’une part, les marbres anciens possèdent une connotation prestigieuse, conférant à l’édifice dans lequel ils sont utilisés un caractère particulier. D’autre part, un relief païen réaffecté dans un monument chrétien est considéré comme « purifié ». La présence de remplois dans une église byzantine indique souvent l’existence d’un bâtiment antique ou paléochrétien à proximité ou sur le lieu même du sanctuaire. Deux cas de figure peuvent se présenter : le plus fréquemment, le relief ancien est resculpté, le nouveau motif reprenant en partie l’ancien, mais il peut également être utilisé tel quel, sans rapport avec sa fonction d’origine, uniquement pour le « goût de l’antique ». Cette dernière pratique est cependant peu répandue dans les provinces et se trouve surtout à Constantinople ou à Athènes.

Trois types de taille peuvent se rencontrer : le bas-relief, le champlevé et la technique dite « à deux niveaux », où les sujets principaux sont sculptés en haut-relief et le décor de fond en bas-relief. Des variantes peuvent intervenir : par exemple, les creux taillés en champlevé peuvent être comblés à l’aide de morceaux de pierre colorée ou de pâte de verre. Il faut ajouter que les reliefs étaient peints, comme l’indiquent des traces de couleur sur bon nombre d’entre eux.

Le type de décor est déterminé non seulement par l’emplacement qu’occupe le relief au sein de l’église, mais également par la forme du support. Il faut également noter que les mêmes motifs sont utilisés dans d’autres domaines artistiques, mais de manière différente : ainsi, dans la sculpture et les arts somptuaires, ils constituent l’essentiel du décor, tandis que dans la mosaïque, l’enluminure et la peinture ils rythment et enjolivent la composition figurée ou le texte. Ces ornements se retrouvent dans des régions très éloignées les unes des autres : il faut probablement y voir l’influence des textiles et des petits objets, qui permettent la circulation et la diffusion à grande échelle des modèles. Il existe donc un répertoire en vigueur dans tout l’empire byzantin, sans qu’il y ait de distinction régionale.

La typologie élaborée par Catherine Vanderheyde classe les motifs en différentes catégories (motifs géométriques, végétaux, zoomorphes, architecturaux et croix), chaque terme étant accompagné d’une illustration et d’un renvoi à l’inventaire. Chaque motif joue un rôle particulier au sein de la composition : les motifs géométriques peuvent servir à l’encadrement ou au remplissage des décors ; les motifs végétaux sont d’abord utilisés pour le remplissage avant de constituer, dès la fin du XIe siècle, l’essentiel du décor ; les motifs zoomorphes possèdent souvent une signification symbolique, tout comme les croix qui, disposées sur les encadrements de portes et de fenêtres, remplissent une fonction apotropaïque et de protection du sanctuaire.

Ces motifs ne sont bien entendu pas utilisés tels quels, mais au sein de compositions plus ou moins complexes et tellement variées qu’il est impossible de dégager des schémas directeurs. En outre, ils sont présents dans d’autres domaines artistiques tels que la mosaïque, la peinture monumentale, la miniature, la céramique, le textile et la sculpture de petits objets en ivoire, en métal ou en stéatite, même si – comme on l’a déjà signalé – leur mise en œuvre diffère selon le support.

Aucune création régionale ne peut être distinguée, ce qui pose la question de la circulation des modèles et des artistes. Étant donné la pauvreté des témoignages écrits sur le travail des sculpteurs, ce sont les reliefs eux-mêmes qui peuvent livrer des indices. L’exportation du marbre, florissante à l’époque protobyzantine, périclite fortement à l’époque mésobyzantine, obligeant les artistes à s’installer à proximité des carrières, afin de réduire les coûts de transport. Outre les officines locales, il faut supposer l’existence de grands ateliers fixes disposant d’équipes itinérantes actives dans tout l’empire. En effet, dans certains cas, l’homogénéité des formes et des motifs d’une église à l’autre renvoie indéniablement à un seul et même atelier. Cependant, la grande disparité dans la qualité – qui est à porter au compte non seulement de l’habileté des artistes, mais aussi de la qualité du support, surtout s’il s’agit d’un remploi – interdit de distinguer des groupes de sculpteurs. Le seul exemple probant est celui de l’église Saint-Donat à Glyki, d’où proviennent 18 reliefs d’une qualité exceptionnelle : la proximité d’un site ancien a favorisé le remploi de marbres anciens – ce qui explique la quantité de reliefs malgré l’éloignement des centres névralgiques du thème –, tandis que les motifs et les compositions présentent des ressemblances frappantes avec des reliefs de Verria, en Macédoine. Il est donc pratiquement certain qu’une équipe macédonienne ait été dépêchée à Glyki afin d’assurer la décoration de l’église.

La production de reliefs moulés en plâtre semble quant à elle être le fait d’un atelier spécialisé, officiant dans toute la région, comme en témoignent la grande homogénéité des motifs.

L’intérêt de cette étude est de mettre l’accent sur un domaine peu étudié, dans une région au sujet de laquelle les sources écrites sont presque muettes. Malgré l’isolement naturel du thème de Nikopolis, il est intéressant de remarquer que le répertoire décoratif est celui qui a cours partout ailleurs dans l’empire byzantin – quel que soit le domaine artistique – attestant une circulation aisée des motifs et des artistes. Par contre, le commerce du marbre ne semble pas avoir été très florissant, la pénurie de ce matériau dans la région ayant poussé les artistes à se rabattre sur des pierres locales ou sur des sculptures anciennes.

Il faut noter que le cadre chronologique doit être considéré avec souplesse : une certaine continuité s’observe entre les reliefs de la fin du XIIe siècle et ceux du début du XIIIe. En effet, la chute de Constantinople en 1204, qui marque le début de l’époque tardobyzantine, n’implique pas forcément des changements stylistiques nets ; au contraire, face à la menace latine, l’identité artistique byzantine s’affirme par un certain archaïsme, rendant parfois très difficile, en l’absence de contexte, une attribution à l’époque méso- ou tardobyzantine.

Pour conclure, nous ne pouvons qu’insister, avec Catherine Verheyden, sur la nécessité de compléter l’étude par la publication de nouveau matériel et par la réalisation de nouvelles fouilles, qui permettront de donner une vision plus complète de la sculpture architecturale dans cette région relativement méconnue.