Coralini, Antonella: Cultura abitativa nella Cisalpina Romana. 1. Forum Popili Flos Italiae. Documenti di archeologia della Cisalpina Romana 9. 344 p., CD-Rom, ISBN 9788878144149, 32.00 €

(edizioni All’insegna del Giglio, Firenze 2010)
 
Recensione di Vincent Jolivet, CNRS
 
Numero di parole: 2648 parole
Pubblicato on line il 2011-11-29
Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
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          Depuis 2001, la collection Flos Italiae (c’est le terme utilisé par Cicéron pour désigner la Gaule, Phil. 3.5.13), dirigée par Gemma Sena Chiesa, publie avec une belle régularité, presque chaque année, un ou plusieurs ouvrages consacrés à l’archéologie de la Cisalpine romaine – le volume présenté ici est déjà talonné par un nouveau titre, le dixième de la série : l’édition d’un colloque tenu à Pavie en mars 2009, qui rassemble une quinzaine de contributions éditées par Stefano Maggi (I complessi forensi della Cisalpina romana : nuovi dati, Florence,  All’Insegna del Giglio, 2011). Histoire, société, économie, architecture, sculpture, céramique, culture matérielle... la diversité des thèmes traités dans les volumes de cette collection témoigne éloquemment de la vitalité et de la diversité des activités archéologiques, programmées ou préventives, menées au cours de ces dernières décennies dans l’ancienne Gaule cisalpine.

 

          L’ouvrage dirigé par Antonella Coralini, issu du travail d’une équipe du département d’archéologie de l’université de Bologne, et qui inaugure une nouvelle série thématique à l’intérieur de la collection, reflète ce foisonnement. On aurait tort en effet, en se fiant aveuglément à son titre, de penser qu’il se limite à traiter de l’urbanisme de la colonie romaine de Forum Popili (aujourd’hui Forlimpopoli), fondée en 132 av. J.-C. par le consul Publius Popilius Laenas à un emplacement stratégique de la via Aemilia, une vingtaine de kilomètres au sud de Ravenne. Près du tiers de l’ouvrage s’attache en effet à contextualiser l’histoire de cette colonie par un effet de zooms successifs : y sont d’abord examinés l’habitat romain dans son ensemble (A. Coralini), puis le cas de la Cisalpine (R. Helg), enfin celui de la Romagne (S. Graziani). Ce n’est qu’au terme de cette longue entrée en matière, à sa centième page, que l’ouvrage atteint finalement son cœur de cible avec la principale contribution du volume, consistant en une carte archéologique exhaustive du site et de son territoire (A. Morigi), complétée par une étude spécifiquement consacrée aux pavements (M. Ceccaglia).

 

          L’introduction concise d’Antonella Coralini évoque en préambule les difficultés spécifiques de la recherche archéologique en Cisalpine, en raison du caractère périssable des matériaux utilisés dans les constructions antiques de cette région et de la continuité d’occupation des sites. L’éditrice du volume rappelle très brièvement ce qu’elle juge essentiel dans les approches récentes de l’habitat antique (1), dont la plus féconde s’inscrit pour elle (p. 8) dans une archéologie post-processuelle qui conditionne l’indispensable interprétation sociologique et anthropologique de la maison à une prise en compte globale de toutes ses dimensions (« architettura, decorazione, arredo, suppellettile »), selon une approche dont la correction ne peut guère être mise en doute – mais dont on peut observer facilement qu’elle est tout à fait inapplicable, et inappliquée dans les faits, au corpus de lambeaux de maisons arasées au sol présentés dans ce volume. En effet, les dernières recherches n’ont fait que confirmer trois caractéristiques saillantes de l’habitat cisalpin déjà mises en lumière par Guido Achille Mansuelli et Daniela Scagliarini Corlàita, en appliquant des méthodes classiques, voici près de trente ans, en contrepoint aux caractéristiques des maisons de la zone vésuvienne : spatialité transversale ; réduction des espaces ouverts ; indifférenciation des décors. Ces spigolature, comme les qualifie l’auteur, lui permettent ensuite de recadrer le travail des différents collaborateurs du volume, en insistant sur la fécondité des approches transversales et en soulignant l’apport des recherches menées en parallèle à Pompéi par l’université de Bologne.

 

          La bibliographie sur l’habitat en Cisalpine dressée ensuite par Riccardo Helg (il s’agit cette fois d’appunti) s’articule en deux volets thématiques – histoire des études relatives à la villa et à la domus et techniques de construction –, et en deux volets topographiques – la Cispadane (reg. VIII), correspondant à l’Émilie Romagne actuelle et la Transpadane (reg. IX-XI), qui regroupe le reste de l’Italie du Nord. L’auteur passe en revue un corpus de textes aujourd’hui en croissance exponentielle, mais qui a longtemps accusé un retard marqué par rapport à celui du reste de l’Italie : les deux contributions fondatrices de l’étude de la villa et de la domus cisalpines, dues toutes deux à G.A. Mansuelli, remontent respectivement à 1957 et 1971. Ce retard, dont les raisons avaient déjà été évoquées plus haut par A. Coralini (2), obère lourdement les possibilités d’exploitation de ses témoignages archéologiques qui composent, de l’avis de l’auteur, un cadre encore trop peu homogène pour permettre de construire des synthèses définitives.

 

          Ces deux premières contributions ne comportent pas d’illustrations, mais celles-ci sont largement présentes, en revanche, dans l’article consacré par Sara Graziani aux témoignages archéologiques de l’habitat dans les villes, entre le Ier siècle av. et le IIIe siècle ap. J.-C. L’auteur traite d’abord du tissu urbain des principaux sites (Forum Popili compris, dont l’urbanisme est bizarrement illustré, p. 29, par un plan aujourd’hui dépassé, cf. p. 245, à comparer avec celui de la pl. 1), avant de dégager et d’analyser différentes questions relatives à ces maisons : aspects typologiques et fonctionnels ; décors ; techniques de construction. Son corpus (p. 53-95) recense quelque 45 vestiges d’habitations (aucun plan n’est, évidemment, complet, même si certains ont pu être entièrement ou en partie restitués avec plus ou moins de vraisemblance) mis au jour sur sept sites, présentés par ordre alphabétique en fonction de leur nom antique : Rimini (12 maisons), Cesena (2), Faenza (7), Imola (3), Forlimpopoli (8), Ravenne (7), Sarsina (6).

 

          La seconde partie de l’ouvrage est constituée, pour l’essentiel, du copieux dossier archéologique réuni sur Forum Popili et son territoire par Alessia Morigi, qui en a recueilli tous les témoignages depuis le milieu du XVIIe siècle, et a pu puiser largement dans les archives – photographies, plans – de Tobia Aldini, l’infatigable fouilleur de sa ville à laquelle il a consacré une cinquantaine de publications parues entre 1972 et 2006. Ce chapitre se compose de douze parties, précédées d’une courte introduction : 1. Histoire des recherches ; 2. Études topographiques contemporaines ; 3. Situation hydrogéologique ; 4. Contribution des sources anciennes (littérature et itinéraires, épigraphie) ; 5. Témoignages archéologiques urbains ; 6. Témoignages archéologiques suburbains ; 7. Paléomorphologie et paléohydrographie de la ville ; 8. Catégories de témoignages (forum, lieux de culte, édifices de spectacles, thermes, habitat privé, ateliers de céramique, nécropoles) ; 9. Infrastructures (réseau hydraulique, réseau viaire urbain, centuriation et territoire) ; 10. Techniques de construction ; 11. Plan d’origine de la ville ; 12. Grandes étapes de l’urbanisme. On le voit, l’auteur ne s’est pas contenté de fournir un catalogue de fiches, mais propose ici une véritable réflexion fondée sur l’évidence archéologique. Les analyses sont complètes et approfondies, mais l’ordre de présentation, ainsi que la segmentation de certains dossiers, pourront décontenancer le lecteur : après la partie consacrée aux recherches antérieures (1 et 2), on se serait plutôt attendu à ce qu’elle traite du milieu physique – géologie, hydrologie...  (3, 7), des infrastructures et du plan de la ville (9, 11, 12), des techniques de construction et des édifices (8 et 10), en réservant pour la fin l’ensemble des sources sur lesquelles se fondent ses analyses, qu’elles soient littéraires (rares et peu explicites, elles méritaient cependant plus de 10 lignes), épigraphiques (il s’agit surtout d’inscriptions funéraires) ou archéologiques (4 à 6). Ces dernières composent un corpus formé de 114 fiches de sites (dont 68 considérés comme urbains : p. 113-163) occupés pour l’essentiel entre la Préhistoire et le IVe siècle ap. J.-C., clairement localisés sur les planches 1 et 2, et présentés synthétiquement en fonction de critères proches de ceux de la Forma Italiae ou de la Carta archeologica d’Italia – la partie d’étude étant réservée aux différentes analyses du chapitre. Alors que certaines informations fondamentales sont parfois noyées dans le texte (3), trois cartes de synthèse largement commentées permettent de suivre – en pointillés – le développement du site de l’époque préromaine et républicaine (p. 255) aux Ier-IIe siècles ap. J.-C. (p. 263) et à la fin de l’époque impériale (p. 270).

 

          L’étude des pavements, traitée par Marzia Ceccaglia, complète la présentation de ce cadre archéologique synthétique très riche, mais inévitablement partiel. S’ouvrant par une introduction qui traite plus en détail des trois plus intéressants pavements de mosaïque mis au jour sur le site, et suivi par un bref appendice de Massimo Zanfini relatif à la technique de relevé des mosaïques (p. 341), son corpus (qui aurait gagné à être présenté selon une numérotation progressive) comporte 56 pavements, pour la plupart complètement inédits, datables entre le début du Ier siècle ap. J.-C. et le milieu du siècle suivant, allant du simple béton de tuileau (pour lequel l’auteur, qui évite aussi bien cocciopesto qu’opus signinum, d’usage courant, recourt au terme non moins ambigu de cementizio) (4), décoré ou non, à la mosaïque à décor géométrique noir et blanc (bicromo), en passant par différents types d’opus figlinum ou spicatum – mais il ne comporte ni mosaïques polychromes, ni sols en opus sectile, ce qui peut étonner pour une cité encore prospère au milieu du IIIe siècle ap. J.-C. Les fiches relatives à chaque pavement sont complètes et synthétiques, et comportent des références aux principaux parallèles connus, dont certains sont illustrés. Chaque pavement est accompagné d’une photo graduée en abscisse et en ordonnée, qui permet de contrôler directement ses dimensions (mais elles auraient gagné à être regroupées par planches, plutôt que disséminées dans le texte). L’ensemble du dossier permet de dégager, selon l’auteur, un goût local spécifique pour la mosaïque à décor géométrique noir et blanc, différent, par exemple, de celui dont témoigne à la même époque la ville voisine de Rimini.

 

          Étant donnée la proximité des thèmes abordés par les différents auteurs du volume, les cinq bibliographies d’étape des p. 12, 22-23, 96-99, 277-296 et 342-344, dont les titres sont en grande partie redondants, auraient pu avantageusement, et plus commodément pour le lecteur, se fondre en une seule placée en fin de volume. En revanche, il aurait été opportun, compte tenu des subdivisions complexes de l’ouvrage, de reprendre dans l’index (p. 5) le détail des différentes contributions, au lieu de se contenter d’en indiquer les titres.

 

          Les très nombreux plans et photographies, tous en noir et blanc, souvent un peu pâles, sont de qualité satisfaisante – compte tenu celle de la documentation de base et des documents d’archives qu’ils reproduisent, souvent relatifs à des fouilles d’urgence. Dans bien des cas illustrés par les corpus de Sara Graziani et d’Alessia Morigi, ils montrent surtout les limites du crédit que l’on peut accorder à une documentation souvent exécutée rapidement, de manière sommaire, à partir de fouilles partielles, ou à des restitutions encore préliminaires mais audacieuses et qui, de ce fait même, ont connu un certain succès dans la littérature archéologique et dans les manuels (p. 61, fig. 17 ; p. 88, fig. 49) (5) ; l’absence d’échelle limite l’intérêt d’un certain nombre d’entre elles (p. 64, 80, 85, 86, 92, 106, 121, 146, 169, 239, 245) (6). On peut en outre s’interroger, dans la contribution d’A. Morigi, sur l’opportunité de faire figurer une trentaine de photographies de la ville actuelle (voir p. ex. p. 246-249), parfois avec des doublons (fig. 1=112=115), qui n’apportent pas grand chose au propos de l’auteur.

 

          Les acheteurs du livre y trouveront aussi glissés dans sa jaquette, avec une satisfaction que les bibliothécaires ne partageront probablement pas, deux types de documents. D’une part, deux bons plans imprimés recto-verso sur un seul dépliant, et qui présentent le même défaut – leurs légendes, portées en trop petits caractères, sont à peu près illisibles, alors que l’espace disponible sur la feuille permettait de les faire figurer très clairement : la planche 1, au 1:2000, superpose les vestiges antiques au réseau viaire de la ville actuelle ; la planche 2 est une carte archéologique du territoire au 1:10000, également superposée à la topographie actuelle, qui reporte l’emplacement des sites archéologiques et les traces des orientations des trois différentes limitationes repérées autour de la ville. D’autre part, et surtout, un CD-ROM. On peut sans doute regretter que ce dernier ait été conçu comme une simple version PDF du volume, et non mis à profit pour fournir, de manière interactive, un matériau supplémentaire qui ne pouvait trouver sa place dans le volume – documents d’archives, inventaires, dessins de céramique, photos en couleurs... – ce à quoi les prémisses engageantes de la p. 10 permettaient de s’attendre : on y trouvera seulement en mode consultation le texte intégral du volume (« consulta il libro »), ainsi que les deux planches qui le complètent (« consulta le piante »). Le premier volet du disque n’apportera pas grand chose au lecteur du volume papier – ce qu’il aurait pu faire, compte tenu de l’absence d’index détaillé au volume, si la fonction recherche du programme n’avait pas été fâcheusement désactivée. C’est le second volet du disque qui s’avérera donc le plus utile, puisqu’il permet à son utilisateur d’agrandir ad libitum les deux plans dont la plupart des détails et des légendes sont, comme on l’a vu, fort peu lisibles dans leur version papier.

 

          Outre sa qualité d’instrument désormais incontournable de gestion du patrimoine archéologique de Forlimpopoli et de son territoire, cet ouvrage, avec ses limites, présente donc l’intérêt de rassembler une documentation auparavant dispersée ou inédite, de l’inscrire dans une réflexion plus large sur l’urbanisme et l’habitat romains, et d’offrir le premier corpus exhaustif des pavements de la ville. L’ensemble pour une somme bien modeste en regard des prix pratiqués par les grands éditeurs d’archéologie italienne, dont on peut espérer qu’elle permettra à l’ouvrage de trouver de nombreux lecteurs (7).

 

 

Notes

 

(1) La bibliographie sur ce vaste thème (p. 12) ne pouvait évidemment être exhaustive, mais on peut s’étonner qu’aux côtés de trois références aux travaux de P.M. Allison ne soient citées, par exemple, ni la monographie de J.R. Clarke, The Houses of Roman Italy, 100 B.C. - A.D. 250. Ritual, Space, and Decoration, Berkeley, 1991, ni celles d’A. Wallace Hadrill – dont la plus récente, Rome’s Cultural Revolution, Cambridge, 2008, traite en partie des questions d’habitation dans le monde romain, avec référence à ses travaux antérieurs –, pas plus que le manuel de P. Gros, L’architecture romaine du début du IIIe siècle av. J.-C. à la fin du Haut-Empire, II. Maisons, palais, villas et tombeaux, Paris, 2001.

(2) Mais pour des raisons légèrement différentes : l’auteur met ici principalement en avant, outre la mauvaise conservation des matériaux de construction périssables, la récupération à peu près systématique de ceux qui ne l’étaient pas.

(3) Par exemple la date et le contexte historique de fondation de la colonie, p. 260 sq.

(4) Sur cette technique, l’auteur aurait pu utilement citer la monographie de V. Vassal, Les pavements d’opus signinum. Technique, décor, fonction architecturale, Oxford, 2006 (BAR Int. Series 1472).

(5) Je me permets de renvoyer à la publication de mon mémoire d’habilitation, Tristes portiques. Sur le plan canonique de la maison étrusque et romaine des origines au principat d’Auguste, Rome, 2011 (Coll. Ecole française de Rome, 342) où ces deux exemples, parmi d’autres, sont discutés.

(6) Aucune échelle ne figure, non plus, sur la seule planche de céramique du volume, qui présente la typologie des amphores de Forlimpopoli (p. 205), dont l’étude d’A. Morigi permet utilement de replacer les ateliers de production, autant que faire se peut, dans leur cadre urbain (p. 199-206).

(7) Deux autres comptes rendus sur cet ouvrage ont paru à ce jour : M. Cavalieri, Les Études Classiques 78, 2010, p. 280-283 ; S. Stevens, BMCR 29.04.2011, bmcr-l@brynmawr.edu.

Signalons pour finir un ouvrage spéculaire très riche de données (une vingtaine de contributions), paru l’année précédente à l’initiative, cette fois, de l’Université de Padoue et auquel les collaborateurs du volume présenté ici n’ont pu faire référence : M. Annibaletto et F. Ghedini (dir.), Intra illa moenia domus ac penates (Liv. 2, 40, 7). Il tessuto abitativo nelle città romane della Cisalpina, Rome, 2009 (Antenor Quaderni, 14).

 


Sommaire

A. Coralini, Sull’abitare nel mondo romano. Spigolature, p. 7-12.

R. Helg, Studi sull’edilizia residenziale urbana nella Cisalpina, Appunti per uno status quaestionis, p. 13-23.

S. Graziani, Abitare in città nella Romagna romana. La documentazione archeologica (I sec. a.C.-III s. d.C.), p. 25-99.

A. Morigi, Forum Popili : forma e urbanistica, p. 101-296.

M. Ceccaglia, I pavimenti di Forum Popili, p. 297-344.