Valbelle, Dominique - Yoyotte, Jean-Michel (dir.): Statues égyptiennes et kouchites démembrées et reconstituées. Hommage à Charles Bonnet. 21x28 cm, 200 p., 122 ill. coul., ISBN : 978-2-84050-712-3, 32 €.
(Pups, Paris 2010)
 
Compte rendu par David Lorand, FNRS (Belgique) – Université libre de Bruxelles
 
Nombre de mots : 1325 mots
Publié en ligne le 2011-05-23
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1267
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          Le présent ouvrage rassemble une partie des communications présentées à l’occasion d’un colloque précisément intitulé Statues égyptiennes et kouchites démembrées et reconstituées et organisé à Paris en 2007 par D. Valbelle et Ch. Bonnet.

 

          L’avant-propos (Membra Dispersa) est dû à R.E. Freed qui y présente les diverses contributions de l’ouvrage assorties d’une mise en perspective de chacune d’elles dans le cadre général de la publication. Le texte anglais (p. 7-8) – dans lequel manquent quelques mots « perdus » lors de la mise en page – est suivi par sa traduction en français (p. 9-10) due à M.-C. Cuvilier.

 

          La première partie est consacrée au Soudan et comporte trois études. La première d’entre-elles est due à la plume de D. Valbelle (p. 13-20) et aborde « Les statues égyptiennes découvertes à Kerma et Doukki Gel ». L’auteur y évoque les multiples statues égyptiennes datées du Moyen Empire et de la Première Période Intermédiaire retrouvées dans les tumulus de la ville de Kerma, ainsi que les raisons de leur mise en œuvre dans des structures funéraires nubiennes. La diversité des pièces statuaires et les particularités de leur réutilisation dans un contexte nubien a aboutit à la création, en 2004, d’un groupe de travail international regroupant plusieurs institutions universitaires et muséales. L’objectif principal est de répertorier les nombreux fragments, d’effectuer tous les raccords possibles et, in fine, « écrire l’histoire mouvementée de ces sculptures. »

 

          La deuxième étude, consacrée aux « destructions perpétrées durant la campagne de Psammétique II en Nubie et les dépôt consécutifs » et rédigée par Ch. Bonnet (p. 21-32), évoque le démembrement soigneusement organisé – et probablement confié à un sculpteur – de plusieurs statues royales en vue de les disposer dans une cache et d’ainsi les soustraire à d’éventuelles déprédations. La cachette de Doukki Gel – Kerma renferme en effet les fragments – sinon intacts – de sept statues de la 25e dynastie et du début de la période napatéenne. Leur enfouissement correspond très certainement à la réhabilitation d’un quartier de la ville après sa destruction lors d’une campagne militaire menée en Nubie depuis l’Égypte par le pharaon Psammétique II. On regrettera peut-être que la présente contribution fasse la part belle aux structures architecturales et au contexte historique tandis qu’elle ne s’intéresse en définitive que peu aux statues à proprement parler (guère plus qu’un paragraphe au total). La parution récente d’une monographie sur ce même sujet et par les mêmes auteurs n’y est sans doute pas étrangère. Voir D. Valbelle, Ch. Bonnet, Des pharaons venus d’Afrique. La cachette de Kerma, Paris, 2005.

 

          La troisième contribution, traduite de l’anglais par M.-C. Cuvilier, est celle de J. Haynes et est dévolue aux « assemblages de fragments de sculptures du Gebel Barkal et de Giza retrouvés durant les travaux de rénovation des caves du Museum of Fine Arts de Boston » (p. 33-49). L’auteur fait état de l’étude des quelques 631 fragments statuaires découverts au Gebel Barkal par la mission du musée bostonien et de l’université de Harvard à la fin des années 1920. Nombreux sont ceux qui, à leur réception aux États-Unis, ont été classés « inintéressants », « inutiles » ou pour lesquels un remontage était pressenti comme impossible. Or, un tri par matière de ces très abondants éléments statuaires a permis de faire des avancées significatives et, régulièrement, de compléter des œuvres majeures de la collection du Museum of Fine Arts de Boston. Il s’agit notamment d’une statue de faucon d’Amenhotep III (MFA XX), d’une grande sculpture de cobra (MFA 21.11699), d’une statue du pharaon Amenhotep III et de plusieurs fragments nommant le Vice-Roi de Kouch Merymès (règne d’Amenhotep III). De même, plusieurs visages du pharaon Khephren ont pu être complétés, en particulier la tête en calcite MFA 21.351, à la suite d’un tri similaire dans les caisses de matériel provenant des fouilles de Giza.

 

          On notera quelques petites erreurs dans les légendes des illustrations de cet article. La figure 12 n’est ainsi pas un parallèle à la statue MFA 21.11699 mais bien cette dernière en cours de dégagement (un parallèle est plus justement renseigné à la note 13). La figure 19 fait mention d’un roi Amenemhat II en lieu et place du pharaon Amenhotep II. Les figures 30A et 31 sont censées illustrer le même visage MFA 21.351 de Khephren alors qu’il s’agit de toute évidence de deux statues différentes du même souverain. Enfin, on soulignera, dans l’argumentaire de l’auteur, que la statue JE 38245 du Musée du Caire présentée comme datable du règne de Thoutmosis III ou de Hatchepsout, pourrait également être datée de la Troisième Période Intermédiaire selon D. Laboury (présence d’anomalies stylistiques pour une œuvre sensée être de la 18e dynastie). Voir D. Laboury, La statuaire de Thoutmosis III. Essai d’interprétation d’un portrait royal dans son contexte historique (AegLeod 5), Liège, 1998, p. 378-381 (cat. P5).

 

          La deuxième partie de l’ouvrage est consacrée à l’Égypte, et s’ouvre par la contribution de O. Perdu dédiée à « Neshor brisé, reconstitué et restauré (statue Louvre A90) » (p. 53-64). L’auteur propose ici une analyse serrée de l’histoire des diverses interventions de restauration opérées sur la statue depuis sa première mention par A. Kircher en 1666. L’étude menée permet ainsi d’évaluer au plus juste l’importance de l’œuvre originale et les multiples adjonctions faites au 17e siècle d’une part, puis au 18e siècle d’autre part, avant son intégration définitive dans les collections du Louvre en 1816. Malgré ce qui pourrait apparaître comme des jugements de valeur sur l’esthétique et la stylistique des restaurations anciennes, l’auteur constate lui-même que ces approximations sont surtout imputables aux pratiques d’alors, et sa contribution remet à l’honneur une œuvre importante de la statuaire égyptienne. Nul doute d’ailleurs que cet important travail historiographique sera suivi par de nouvelles études que l’on souhaite aussi fructueuses.

 

          Faisant suite à l’étude des restaurations récentes de la statue de Neshor, l’article de Chr. Barbotin (p. 65-70) aborde « un cas antique de restauration au Musée du Louvre » avec un buste du dieu Amon (inv. E 10377). L’œuvre est en effet l’ultime vestige d’un groupe statuaire dégradé par les zélateurs d’Akhénaton et dont il a fallu, sous le règne de Toutankhamon ou de Horemheb, restaurer le buste du dieu Amon. C’est d’ailleurs la pièce rapportée qui est aujourd’hui conservée et non plus son réceptacle. L’auteur détaille avec intérêt les multiples préparations de l’œuvre en vue de son insertion dans le groupe statuaire désormais perdu.

 

          La dernière contribution est celle de H. Sourouzian (p. 71-92) et dresse un inventaire de « la statuaire du temple d’Amenhotep III à Thèbes ». L’auteur fait état des dernières avancées sur l’étude de la statuaire qui ornait jadis le temple funéraire d’Amenhotep III et révèle l’immensité de la tâche encore à accomplir. Les milliers de fragments sont ainsi étudiés, triés et patiemment rassemblés en vue de leur possible remontage in situ. Au fil des ans, cette vaste zone qui apparaissait encore comme un grand champs stérile il y a une dizaine d’années, se peuple irrémédiablement de ses anciens habitants de pierre et laisse apercevoir la magnificence de ce qui fut sans doute le plus grand temple de la rive ouest à Thèbes.

 

 

          En définitive, l’ouvrage dirigé par D. Valbelle et J.-M. Yoyotte évoque, à travers ces six contributions et en moins d’une centaine de pages, quelques unes des principales tâches auxquelles sont confrontés les égyptologues et les archéologues d’aujourd’hui : reconstituer l’histoire de pièces fragmentaires, leur histoire antique jusqu’à leur lieu de découverte, mais aussi leur histoire plus récente et les restaurations dont elles ont fait l’objet. C’est également faire l’histoire d’une science en reprenant des pièces parfois injustement écartées des vitrines et laissées en souffrances dans les réserves. C’est enfin travailler à l’évocation d’une richesse matérielle, impressionnante par son nombre, sa taille ou son esthétique. Malgré quelques coquilles, voici un ouvrage bien ficelé doté d’une solide illustration de qualité et qui vient fort à propos soutenir les réflexions des divers contributeurs.

 

 

Table des matières

 

Membra dispersa

Rita Freed, p. 7

 

Membra dispersa (traduction), p. 9

 

Les statues égyptiennes découvertes à Kerma et Doukki Gel

Dominique Valbelle, p. 13

 

Les destructions perpétrées durant la campagne de Psammétique II en Nubie et les dépôts consécutifs

Charles Bonnet, p. 21

 

Assemblages de fragments de sculptures du Gebel Barkal et de Giza retrouvés durant les travaux de rénovation des caves du Museum of Fine Arts de Boston

Joyce Haynes, p. 33

 

Neshor brisé, reconstituté et restauré (Louvre 190)

Olivier Perdu, p. 53

 

Un cas antique de restauration au Musée du Louvre

Christophe Barbotin, p. 65

 

La statuaire du temple d’Amenhotep III à Thèbes

Hourig Sourouzian, p. 71

 

Liste des abréviations, p. 93

Table des matières, p. 95