Gatier, Pierre-Louis - Geyer, Bernard - Rousset, Marie-Odile (dir.): Entre nomades et sédentaires. Prospections en Syrie du nord et en Jordanie du sud. 288 p., 224 illustrations N/B; 30 cm, (Travaux de la Maison de l’Orient ; 55 / Conquête de la steppe ; 3), ISBN 978-2-35668-014-3, 28 €
(Maison de l’Orient et de la Méditerranée – Jean Pouilloux, Lyon 2010)
 
Recensione di Frédéric Alpi, Institut français du Proche-Orient (Beyrouth)
 
Numero di parole: 1714 parole
Pubblicato on line il 2011-07-18
Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1289
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          Cette troisième livraison de l’équipe du programme de recherche sur les « Marges arides de la Syrie du Nord », dirigé par B. Geyer et diligenté par le laboratoire Archéorient (UMR 5133), Maison de l’Orient et de la Méditerranée (Université Lyon 2 – CNRS), associé à plusieurs autres institutions scientifiques, présente la suite des résultats d’une prospection géo-archéologique effectuée au sud-est d’Alep entre 1993 et 2002. Si les deux premiers volumes de la série (Conquête de la steppe et appropriation des terres sur les marges arides du Croissant fertile = TMO 36 et Les marges arides du Croissant fertile : peuplements, exploitation et contrôle des ressources en Syrie du Nord = TMO 43) présentaient une réelle unité thématique, celui-ci constitue au contraire un premier recueil de varia qu’un second tome doit suivre, lequel sera muni d’un index général couvrant les quatre volumes. Au-delà de ceux-ci, une publication finale est annoncée, tandis qu’une bibliographie de tous les travaux parus à ce jour sur les « Marges arides de la Syrie du Nord », avec indication complémentaire des pages web afférentes, nous est d’ores et déjà fournie (p. 11-16). C’est dans cette économie éditoriale assez complexe qu’il faut donc situer 12 contributions qui paraissent ici, diverses de propos mais réunies par une Carte générale de localisation (p. 17 – légendée comme Fig. 1 mais les autres illustrations reçoivent une numérotation particulière, selon leur position au sein de chaque chapitre).

 

          Une première contribution, toutefois, Géographie, environnement et potentiels productifs de la région de Pétra (Jordanie), article posthume de feu J. Besançon (p. 19-71 et dépliant cartographique en troisième de couverture), ne concerne pas la Syrie du Nord ni le programme des « Marges arides », sinon pour illustrer, dans un cas extrême, combien de sévères conditions environnementales influent toujours sur le développement des sociétés humaines. Le site de Pétra constitue un exemple et une limite à cet égard. L’auteur s’attache à rendre compte d’un paradoxe redoublé : dans un milieu particulièrement ingrat, défini par une éco-géographie très contraignante, les Nabatéens ont réussi d’abord à se sédentariser, puis à installer leur capitale caravanière qui a connu un développement urbain remarquable. Ces nomades du désert arabique ont su maîtriser en effet le potentiel productif (eau, sol ou végétation) d’une zone apparemment défavorable et, pour ce faire, ont développé des modes techniques d’utilisation (équipements hydrauliques, aménagements de terrain, réseaux de circulation ou répartition de l’habitat) dont l’efficacité reste riche d’enseignements devant les défis que connaît aujourd’hui le secteur, devenu touristique. L’histoire géologique et climatologique de cette région du Sud jordanien, avec restitution de son paléo-environnement, fonde cette étude savante dont les conclusions paraissent définitives mais qu’un recueil centré sur la Syrie du Nord n’était peut-être pas le lieu le mieux adapté à accueillir.

 

          Avec M. Traboulsi, Les précipitations dans les marges arides de la Syrie du Nord (p. 73-95), on retrouve le sujet principal. L’auteur présente et quantifie les facteurs contraignants spécifiques qui conditionnent l’occupation spatiale à l’est d’une ligne Alep/Salamya. La variabilité annuelle et interannuelle de la pluviométrie, mensuellement enregistrée par une vingtaine de stations entre 1961 et 1995, y définit les limites des cultures possibles et donc les modes d’occupation du sol, comme la répartition de celui-ci entre pasteurs nomades et cultivateurs sédentaires.

 

          Les quatre contributions suivantes intéressent l’épigraphie de la zone prospectée. H. Gonnet donne la lecture d’Une stèle hiéroglyphique louvite (découverte) à Tall Štīb (p. 97-99), dans le Ğabal al-‘Ala, document exceptionnel dont la photographie (Fig. 1-2) fait aussi la vignette de couverture du livre. Il s’agit du quatrième exemplaire connu d’un texte de fondation de ville par Urhilima, roi de Hama au milieu du IXe s. av. J.-C. Deux parallèles proviennent d’al-Rastan et de Qal‘at Mudīq (et un quatrième fragment de Hines en Iraq). Une page complémentaire de M.-O. Rousset, Note sur le site de Tall Štīb (p. 101-103), apporte des précisions sur les circonstances de la découverte et son contexte archéologique, qu’on aurait vu peut-être aussi bien figurer dans l’article précédent. J.-B. Yon présente ensuite Une bilingue gréco-palmyrénienne de la région de ‘Aqīrbāt (p. 105-107), gravée sur un autel conjointement dédié à ‘Aziz et à une divinité topique inconnue, mais dont le nom peut correspondre à celui du site de la découverte. Enfin, J.-C. Decourt fait le point sur le corpus des Inscriptions grecques de Salamya/Salamias (p. 109-125), présentant 12 textes, dont 8 inédits (n° 1, 2, 3, 4, 5, 7, 8, 10), ainsi qu’un monogramme (n° 9) et 3 inscriptions reprises des IGLS V (n° 6 = IGLS 2530, n° 11 = IGLS 2548 et n° 12 = IGLS 2547). À une exception près (l’épitaphe n° 12), ces documents remontent à l’époque protobyzantine et possèdent tous un caractère chrétien, dans le formulaire ou le décor associé. On relève notamment trois chapiteaux inscrits, probablement issus d’une église de monastère (n° 7, 8, 9), à laquelle se rapportent sans doute aussi deux bases de colonnes inscrites (n° 4, 5), la dernière ornée d’un Ες Θεός. De cette ferveur religieuse témoigne également la dédicace fragmentaire du linteau n° 6, qui invoque la Trinité et atteste l’implantation du culte de saint Serge. Se limitant ici à quelques commentaires, l’auteur nous invite à attendre, pour plus de détails, la refonte des IGLS V, préparée par ses soins.

 

          L’archéologie des périodes classiques fait l’objet des trois contributions qui suivent, sous les plumes conjointes ou séparées de M.-O. Rousset et de P.-L. Gatier. Le premier auteur présente Deux assemblages de céramique hellénistique et romaine de la steppe syrienne (p. 127-145), issus des sites de ’Ard Ahmad Ğāsir (Ier  s. - milieu IIe s. apr. J.-C.) et de Tallat Mintār al-Bādūr (IIe s. av. J.-C. - milieu IIIe s. apr. J.-C.). En association avec le second, elle propose ensuite la première partie d’un Inventaire des Temples romains et mausolées de la Syrie centrale (p. 147-167) qui, après avoir présenté en modèle le temple de ‘Itryā  (Seriana), bien conservé et connu (p. 147-149), rassemble 5 autres monuments. Si les temples de ‘Arfa (p. 149-158), Hirbat al-Hibat (p. 163) et al-Šayh Hlāl (p. 164-167), ainsi que le mausolée de Msaytba (p. 161-163), étaient déjà diversement décrits, ces nouvelles prospections ont permis de réviser sensiblement les rapports et les interprétations respectifs de Lassus (1935), Butler (1920) et Mouterde-Poidebard (1945). Interprété comme un temple ou un tombeau-temple d’époque romaine, le petit bâtiment reconnu à Abū ‘Ağwa 1 était inédit, quant à lui (p. 158-160). À al-Šayh Hlāl, on propose une nouvelle lecture de l’inscription IGLS IV, 1848, où le sens de membres d’une confrérie religieuse se voit justement préféré à celui de compagnons d’armes pour le génitif ἐταίρων. P.-L. Gatier publie enfin Un relief d’époque romaine à ‘Aqīrbāt (p. 169-173), fragment de stèle funéraire en basalte, retaillée pour un usage secondaire, qui trouve de nombreux parallèles en Émésène, attestant la floraison, au IIe s. apr. J.-C., d’un art provincial encore peu étudié.

 

          Deux articles d’ethno-archéologie concernent ensuite la période protobyzantine. Sur des sites datés par la céramique des Ve-VIe s. apr. J.-C., C. Duvette a reconnu les vestiges d’Habitats byzantins dans la steppe : maisons et villages de terre (p. 175-207). Ils s’organisent en agglomérations à partir du schéma très simple d’une maison de plusieurs pièces accolées qui s’ouvrent sur une cour et leur développement témoigne très clairement de l’expansion démographique que connut alors la région. Si une récession se dessine ensuite, ne laissant plus subsister que la signature au sol de ces antiques villages, hameaux ou écarts aujourd’hui complètement dérasés, les habitats traditionnels d’époque moderne fournissent d’instructives comparaisons [on se permettra de signaler ici la parution récente du livre de photographies par H. Kassatly et K. Puett, De terre et de lumière : les maisons à coupoles du Nord de la Syrie, Beyrouth 2011]. C’est d’ailleurs ce mouvement d’expansion des sédentaires vers l’est qu’étudie M. Rioval dans l’article suivant : Le peuplement des massifs basaltiques de la Syrie centrale : modalités d’occupation du sol et stratégies de mise en valeur (p. 209-240). Si la géologie distingue bien trois plateaux (Ğabal al-‘Ala, Ğabal al-Has et Ğabal Šbayt), le régime des précipitations, plus abondantes sur le premier, définit en fait deux zones climatiques, diversement mises en valeur à l’époque byzantine et selon une chronologie que les inscriptions datées permettent de préciser. L’étude de M.-O. Rousset sur les Qanāts de la steppe syrienne (p. 241-270) examine justement les modalités d’aménagement des sols, par l’analyse détaillée de deux canalisations aquifères réalisées aux Ve-VIe s. apr. J.-C., à ’Umm al-Qalaq et Ma‘aqar al-Šamāli, qui ont facilité l’exploitation agricole continue, du VIe au IXe s., de la grande dépression centrale autour d’Andarin. Le catalogue des Monnaies trouvées dans les « Marges arides » est enfin présenté par O. Callot (p. 271-287), qui s’attache à interpréter en termes d’économie monétaire, mais non sans prudence, les 85 pièces hellénistique (n° 1), impériales ou provinciales romaines (n° 2-39), byzantines (n° 40-49), islamiques (n° 50-73) ou modernes (n° 74-85) que l’on aura pu recueillir.   

 

          Ce livre présente des informations souvent argumentées, toujours précieuses. Quelques imperfections formelles ou rédactionnelles n’en gênent pas la lecture. Si l’on se gardera de discuter l’accord militant « auteure » (p. 101), la simple grammaire autorise en revanche à refuser, en toute première ligne (p. 9), le pluriel « quelques » dans un usage adverbial de l’indéfini (il faut écrire en effet : quelque 10 000 km2). C’est plutôt l’hétérogénéité du genre des varia qui fait ici problème. De vraies études, parfaitement abouties, côtoient de simples notes ou des réflexions inachevées, au détriment de la cohésion d’ensemble. On y verra le souci de ne pas différer trop longtemps la diffusion de l’information scientifique et de fournir des rapports d’étape qui annoncent et préparent la publication finale. 

 

 

Sommaire

 

Pierre-Louis Gatier, Bernard Geyer, Marie-Odile Rousset

Introduction, p.9

 

Jacques Besançon

Géographie, environnements et potentiels productifs de la région de Pétra, p.19

 

Myriam Traboulsi

Les précipitations dans les Marges arides de la Syrie du Nord, p.73

 

Hatice Gonnet

Une stèle hiéroglyphique louvite à Tall Štīb, p.97

 

Marie-Odile Rousset

Note sur le site de Tall Štīb, p.101

 

Jean-Claude Decourt

Inscriptions grecques de Salamya/Salamias, p.109

 

Marie-Odile Rousset

Deux assemblages de céramique hellénistique et romaine de la steppe syrienne, p.127

 

Pierre-Louis Gatier, Marie-Odile Rousset

Temples romains et mausolées de la Syrie centrale (1), p.147

 

Pierre-Louis Gatier 

Un relief d’époque romaine à ‘Aqīrbāt, p.169

 

Catherine Duvette

Habitats byzantins dans la steppe : maisons et villages de terre, p.175

 

Marion Rioval

Le peuplement des massifs basaltiques de la Syrie centrale : modalités d’occupation du sol et stratégies de mise en valeur, p.209

 

Marie-Odile Rousset

Qanāts de la steppe syrienne, p.241

 

Olivier Callot

Monnaies trouvées dans les « Marges arides » (Syrie), p.271