Barral i Altet, Xavier: Le décor du pavement au Moyen Âge : les mosaïques de France et d’Italie. 433 p., pl. n/b et coul., ISBN 978-2-7283-0836-1, 162 €
(Ecole Française de Rome, Rome 2010)
 
Compte rendu par Valérie Serdon-Provost, Université de Nancy 2
 
Nombre de mots : 1441 mots
Publié en ligne le 2012-03-15
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1319
Lien pour commander ce livre
 
 

 

          Cet ouvrage de 433 pages, auxquelles il convient d’ajouter le cahier d’illustrations en couleur et en noir et blanc, se veut une synthèse sur la mosaïque de pavement décorée faite de tesselles de marbre, pierre et terre cuite dans les édifices religieux en France et en Italie, principalement durant la période romane. Publié en 2010, il remplit l’objectif qu’il s’était fixé, à savoir faire le point sur des recherches anciennes ― entreprises depuis le XIXe siècle à la suite de « découvertes » lors de travaux de restauration dans les églises pour leur redonner leur aspect médiéval ― et plus récentes, selon un choix géographique arbitraire mais parfaitement argumenté situé à l’intérieur des frontières actuelles de la France et de l’Italie pour la période de la plus grande diffusion de cette technique. Cette enquête est menée à bien à partir de sources et d’approches variées mais aussi d’exemples illustrés et abondamment commentés.

 

          Après une vaste remise en perspective historiographique dans l’introduction, l’ouvrage s’intéresse dans une première partie aux sources écrites, souvent plus explicites sur le contenu iconographique, sur la symbolique du pavement dans l’édifice que sur les techniques d’exécution. Le second chapitre est ensuite consacré à la maîtrise d’œuvre et à la maîtrise d’ouvrage alors que les suivants s’attardent sur les programmes iconographiques et les problèmes de style et de chronologie. La seconde partie de l’ouvrage tente d’opérer une étude régionalisée de ces pavements sous la forme de notices. Celles-ci approfondissent chaque pavement et alimentent le discours sans masquer la grande disparité de ces vestiges relevant de techniques, de thèmes et de sources d’inspiration très divers.

 

          La problématique de l’ouvrage correspond à un regain d’intérêt pour les études qui visent à restituer l’iconographie d’ensemble de l’édifice dans laquelle, bien entendu, le décor de pavement  tenait une large place même si l’on peine aujourd’hui à en restituer le contenu dans son emplacement d’origine – très souvent l’abside principale, plus rarement tout l’édifice ― tant  les vestiges conservés sont fragmentaires.

 

          Aussi, le premier chapitre montre l’attention portée par l’auteur à la relecture attentive des sources écrites relatives au pavement qui, comme il le souligne, sont d’autant plus précieuses qu’elles sont rares. La remise en perspective de larges extraits en latin et en français le conduit à démontrer que le pavement était souvent utilisé pour illustrer différents aspects de la foi et de la religion. Peu de pavements sont décrits en tant que tels et c’est surtout leur aspect symbolique qui a retenu l’attention au Moyen Âge, par exemple le pavement considéré comme fondement de la foi. Ces sources éclairent aussi le contenu iconographique avec souvent une idée cosmique et géographique où le Paradis terrestre est l’un des éléments importants.

 

          Plusieurs idées se dégagent à la lecture de la seconde partie : l’opus tessellatum occupait une place réduite par rapport aux autres types de pavement dans les édifices religieux médiévaux, la mosaïque était intimement associée à d’autres techniques de pavage et il était  réservé à des zones de choix dans l’édifice. Comme l’auteur le précise lui-même, seules l’enquête conduite à partir de recherches archéologiques récentes et l’observation de détails techniques nous renseignent sur le déroulement du chantier et permettent de renouveler les questions sur les matériaux employés (nature, provenance, éventuels réemplois), les techniques (lits de pose, dessins préparatoires, phases d’exécution), l’organisation du travail des mosaïstes et l’existence d’ateliers.

 

          L’auteur répertorie ensuite les œuvres signées et le rôle du commanditaire ― souvent un ecclésiastique ― dans le choix du programme iconographique. L’emplacement et les espaces réservés à la mosaïque de pavement dans les édifices, souvent autour de l’autel, font l’objet de toutes les attentions ; ils sont en effet susceptibles de souligner des dispositifs liturgiques qui ne se traduisent pas sur le plan architectural. Le volet suivant aborde la question du programme iconographique avec deux idées qui dominent : l’Ancien Testament et une vision encyclopédique, cosmographique et géographique du monde qui sont associés au décor végétal et géométrique, parfois très inspiré du tapis. L’auteur insiste sur l’originalité du répertoire décoratif des mosaïstes romans dans lequel se mêle parfois des traditions antiques. Malheureusement, le nombre de pavements étudiés est trop faible pour que l’on puisse en tirer une théorie générale claire, relative à l’emplacement de tel ou tel panneau figuré ; Seule l’idée que l’on connait déjà pour la fin de l’Antiquité de rapprocher les sujets bibliques de l’autel semble attestée.

 

          Le quatrième chapitre s’intéresse aux questions de style et de chronologie. Les mosaïques parfaitement datées par les inscriptions ou les noms de commanditaires sont très peu nombreuses et ce sont alors les caractéristiques de style qui sont déterminantes. Entre le VIIIe et le XIe siècle, l’héritage de l’Antiquité tardive est important et cette continuité s’affirme particulièrement dans certaines régions d’Italie et de France, notamment dans le sud-ouest de la Gaule. Au XIe siècle, les premières mosaïques romanes apparaissent et c’est au niveau régional que le style se manifeste avec des caractéristiques propres et différentes de celles d’autres régions. Seule l’Italie septentrionale conserve un riche patrimoine daté du XIIe siècle et ce corpus peut servir de support à une réflexion sur les cycles d’ateliers et les manières de faire iconographiques.

 

          La question de l’influence des arts figuratifs byzantins dans l’art occidental médiéval, et notamment la mosaïque, est posée. L’auteur souligne cependant qu’un corpus d’ensemble des XIe et XIIe siècles de la Méditerranée orientale pour alimenter cette enquête fait défaut ; il  permettrait en effet de fixer avec certitude la chronologie et les étapes de diffusion de la technique et du style. L’auteur insiste ensuite sur le fait que la fin de l’opus tessellatum en Occident n’est pas simplement due à des problèmes d’ordre économique et d’organisation de la production. Ce sont les images elles-mêmes qui, d’après lui, connaissent une véritable mutation avec un passage du pavement historié au pavement simplement décoré. Le problème des emprunts est ensuite souligné en fin de partie, notamment pour la composition parfois inspirée de la sculpture monumentale, de la peinture murale (dans les régions méridionales), des manuscrits et partiellement du vitrail (dans le nord de l’Europe). Un paragraphe est aussi consacré à l’influence des motifs islamiques diffusés par les tapis, les tissus et les ivoires.

 

          La conclusion rappelle tout l’intérêt d’un tel sujet, la mosaïque ayant été pendant trop longtemps négligée, considérée comme un art mineur au Moyen Âge. Plusieurs apports majeurs de cet ouvrage méritent d’être soulignés. La période de diffusion de la grande mosaïque à figures d’époque romane se situe dans la dernière décennie du XIe et au début du XIIe siècle : un peu partout on note des concentrations régionales qui se développent parallèlement aux grands axes de circulation  et l’influence entre la France et l’Italie est réciproque alors que l’on a longtemps cru que le courant créateur venait d’Italie. La place de la mosaïque était aussi importante dans l’édifice roman que la peinture murale ou la sculpture monumentale. Les grands traits iconographiques et le répertoire des thèmes sont communs à toutes les mosaïques alors que le style est lui, diffusé très localement ; il s’agit d’un art local sans rapport direct d’une région à l’autre. L’auteur souligne le problème de l’existence d’ateliers régionaux qui ne voyagent pas bien loin et dont on ne connaît, au mieux, que deux ou trois pavements. La production de chaque région est très distincte d’un point de vue stylistique et technique et cela plaide en faveur d’équipes de mosaïstes non itinérants. D’autre part, alors que l’on admirait en Occident le pavement byzantin, il ne semble pas avoir influencé directement le travail des ateliers de l’art roman occidental. La mosaïque se développe de façon autonome mais parallèle avec les autres arts monumentaux : par des sources d’inspiration analogues, les emprunts aboutissent à la définition d’un langage stylistique tout à fait original qui contribue à l’esprit unitaire de l’édifice.

 

          Dans le sillage de travaux novateurs mais bien souvent ponctuels, l’ouvrage de Xavier Barral I Altet comble indéniablement une lacune et rend accessible au spécialiste, outre un catalogue raisonné de toutes les œuvres connues répertoriées, une très bonne analyse technique et stylistique étayée de références précises. Sans doute aurait-il été utile d’envisager une campagne photographique systématique tant la qualité de certaines prises de vue nuit au discours scientifique mais cette remarque est secondaire au regard de l’ensemble de l’ouvrage. La richesse du catalogue iconographique ― par le nombre de plans, de relevés et de photographies ― ainsi que les indices très bien pensés font de cet ouvrage un outil de travail indispensable pour l’historien de l’art et l’archéologue, spécialistes des édifices religieux médiévaux.