Fourrier, Sabine - Hermary, Antoine: Amathonte VI. Le sanctuaire d'Aphrodite des origines au début de l'époque impériale. Etudes Chypriotes XVII.
Format 21 X 29,7 cm, 222 p., 104 p. de fig. N-B et couleurs in fine, 50 planches N-B et couleurs in fine, 1 plan couleurs hors texte
ISBN 2-86958-220-X, 100 Euros
(Ecole française d'Athènes 2006)
 
Reviewed by Amélie Le Bihan, Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne
 
Number of words : 1716 words
Published online 2007-11-12
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=132
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Ce volume constitue la première publication de fouilles proprement dite de la mission de l’Ecole française d’Athènes à Amathonte, sur la côte Sud de l’île de Chypre. Le sanctuaire d’Aphrodite a été fouillé par l’Ecole française d’Athènes à partir de 1976. Cette étude présente un bilan de l’histoire du sanctuaire depuis sa fondation (VIIIe siècle av. J.-C.) jusqu’au début de l’époque impériale.

L’ouvrage est divisé en cinq chapitres. L’étude débute par une présentation générale du sanctuaire, des circonstances de sa découverte et de son identification et par une analyse topographique. Les auteurs mettent ensuite en évidence les différentes étapes et modalités d’occupation du sanctuaire, de sa création à la construction d’un temple monumental dans le dernier quart du Ier siècle ap. J.-C. L’architecture du temple monumental et celle de la « chapelle » qui lui est contiguë seront publiées dans un autre volume. La troisième partie de l’ouvrage est consacrée à l’étude des deux dépôts archaïques découverts dans le bothros et la grotte. L’un des auteurs tente ensuite de dresser un bilan sur les pratiques cultuelles et les différentes catégories d’offrandes offertes dans ce sanctuaire. Enfin, dans la dernière partie, les auteurs s’intéressent aux aménagements et au mobilier archéologique liés aux sacrifices et aux offrandes. L’étude de ce sanctuaire est complétée par deux appendices, le premier sur les monnaies et le second sur l’architecture et les principes de restitution. A la fin de l’ouvrage on trouve des index très pratiques des noms de lieu, des auteurs anciens, des divinités et des figures mythologiques ainsi que des personnages historiques. Ce travail est illustré par une très riche documentation graphique composée de 508 figures, 50 planches photographiques et une carte en dépliant.

Etapes et modalités de l’occupation du sanctuaire

Les auteurs présentent une vue d’ensemble du développement du sanctuaire depuis sa création jusqu’à la construction du temple monumental à travers une présentation topographique et chronologique. Cette étude permet de mettre en évidence les différents états du sanctuaire :

  • 1ère partie de l’époque archaïque (1ère moitié du VIIIe et VIIe av. J.-C.) : tombe et bothros
  • Période archaïque (VIe et début du Ve av. J.-C.) : grotte
  • Fin de l’époque hellénistique (1ère moitié du Ier av. J.-C.) : construction du portique dorique
  • Début de l’époque impériale (Ier ap. J.-C.) : état intermédiaire entre le portique et le temple
  • Dernier quart du Ier siècle ap. J.-C. : construction du temple monumental

Les deux dépôts archaïques :

Il s’agit de dépôts secondaires qui ne permettent pas d’appréhender le matériel dans son contexte d’utilisation. Dans les deux dépôts, différents objets ont été mis au rebut : offrandes diverses et céramique. L’analyse des dépôts archaïques est l’occasion pour l’auteur, S. Fourrier, de mener une étude complète sur la céramique amathousienne archaïque. Elle établit un répertoire des productions céramiques amathousiennes d’époque archaïque à travers les différentes formes présentes :

- Bols

- Cruches

- Amphores

- Jarres

- Jarres-torpilles

- Couvercles.

Le répertoire amathousien archaïque, tel que le matériel du sanctuaire d’Aphrodite permet de l’appréhender, manifeste deux grandes tendances : d’une part, il existe à côté des formes communes à l’ensemble de la céramique chypriote, un bon nombre de types originaux, signes d’une production locale créative et cohérente, d’autre part, malgré une apparente diversité, les formes sont répétitives. Cette étude du répertoire amathousien est illustrée par de très nombreuses planches à dessins, environ 400 figures, et des tableaux récapitulatifs et comparatifs.

Après l’étude de la céramique, l’auteur dresse la liste des objets trouvés dans les dépôts ; en premier il présente les objets trouvés dans le bothros, puis ceux découverts dans la grotte. Concernant la catégorie des petits objets, on peut déceler certains changements ou évolutions dans les offrandes, par exemple les figurines en terre sont rares dans le bothros et deviennent nombreuses dans le remblai de la grotte.

Cependant le bilan invite à la prudence, avec d’un côté une masse de matériel hors de son contexte originel, de l’autre, des structures (tombe ou grotte), pour l’usage desquelles ce matériel ne donne qu’un terminus ante quem, sans objet sûrement associé à leur phase d’utilisation. Cette découverte permet de réaliser la première étude à grande échelle de vases appartenant à un contexte religieux.

Pratiques cultuelles et offrandes

Cette partie tente de dresser un bilan des pratiques cultuelles à travers les documents littéraires, épigraphiques et archéologiques, en prenant en considération l’ensemble de l’histoire du sanctuaire.

Tout d’abord, A. Hermary tente de définir l’image de la déesse à partir des offrandes. Il émet l’hypothèse que la déesse d’Amathonte était vénérée sous la forme d’un bétyle conique. Cependant il existe très peu de preuves qui pouvent confirmer cette hypothèse.

Ensuite, les auteurs s’intéressent à la nature des offrandes. Il faut tout d’abord souligner que les destructions et les réaménagements du sanctuaire qui ont jalonné son histoire ont entraîné la disparition et la dégradation massives des objets qui étaient entreposés dans le sanctuaire. Il faut distinguer deux types d’offrandes : les offrandes non utilitaires, comme les statuettes, les figurines ou les éléments de parure, et les offrandes d’objets fonctionnels comme les vases en argile, en métal et en pierre, les instruments associés aux sacrifices et aux repas rituels, les brûle-parfums. Dans le culte d’Aphrodite, les éléments de parure constituent un type d’offrande privilégié. Les auteurs dressent ensuite un catalogue des offrandes trouvées dans le sanctuaire, classées par catégories d’objets : perles, bagues, objets en ivoire, contenants et vaisselle de verre, brûle-parfum… Les objets qui nous sont parvenus sont assez banals, de même que les matériaux utilisés.

Puis A. Hermary s’interroge sur la pratique de la prostitution sacrée dans le sanctuaire d’Amathonte à travers l’étude d’un tronc d’offrande dédié à « la déesse de Chypre » par le roi Androklès dans les années 330-310 av. J.-C. Ce tronc recueillait certainement des pièces liées aux diverses activités cultuelles, mais il faut insister sur un aspect particulier de l’offrande d’argent dans un lieu de culte comme Amathonte, mise en relation avec le mariage, et sans doute la prostitution. Un ensemble de textes antiques amène à l’idée que le gain et/ou le don d’argent jouaient un rôle important dans le culte d’Aphrodite à Chypre et que ces rites avaient probablement un lien avec le mariage. Le paiement correspond à un service précis rendu par la divinité.

Enfin l’auteur s’intéresse à la place de l’eau dans le culte. Dès les époques anciennes, le stockage de l’eau était assuré par trois grands vases monolithes en pierre. La présence d’un vase de grandes dimensions au sein de l’espace cultuel est un aspect fondamental des sanctuaires chypriotes. Il faut sans doute distinguer l’usage de l’eau conservée dans les citernes de celui du liquide stocké dans les grands vases en pierre, qui était consacré à la divinité. L’usage de l’eau conservé dans les grands vases peut aller de la consommation par les prêtres, les fidèles, voire les animaux de sacrifice, à l’arrosage des plantes, au nettoyage des différentes zones du sanctuaire, à la cuisson des viandes dans les chaudrons et aux ablutions corporelles. L’auteur s’attarde ensuite sur la pratique des bains et des ablutions rituelles. Il dresse une liste des fragments de vasques retrouvées lors des fouilles de la basilique paléochrétienne. Les installations et le mobilier confirment l’importance de l’eau dans le culte d’Aphrodite mais il est impossible de déterminer les modalités de son usage dans les différents aspects du rituel.

Enfin, l’auteur s’attarde sur l’étude des autres cultes dans le sanctuaire d’Aphrodite : la tombe située sur le point le plus haut de l’acropole et les dieux souverains de l’Egypte ptolémaïque.

Ces conclusions sur les pratiques cultuelles nous permettent de mieux comprendre la religion chypriote, qui est, paradoxalement, plutôt mieux connue pour l’époque du Bronze Récent que pour le Iermillénaire.

Aménagement et mobilier archéologique :

Ph. Columeau aborde dans cette partie l’étude des restes de faune, témoignage le plus direct et le plus clair de la pratique du sacrifice animal et de la consommation des viandes. Il s’agit d’une étude très technique avec de très nombreux résultats présentés dans des graphiques et des tableaux. 3815 restes osseux déterminés ont été analysés dans cette étude. Ces restes ont été partagés en deux catégories : la faune de l’époque archaïque et la faune des remblais post-archaïques. Cette étude permet d’avoir une vue d’ensemble sur l’évolution des sacrifices d’animaux dans le sanctuaire d’Aphrodite. Elle met en évidence à la fois une stabilité de la « triade » des espèces : bœufs, moutons, chèvres et une prépondérance du mouton, en même temps qu’une absence de porc. Cependant, un examen plus détaillé indique que la pratique des sacrifices varie entre la période archaïque et les suivantes. Les périodes les plus récentes montrent que les restes de bœufs sont plus importants. Cela indique-t-il un changement dans la vie économique de la cité ? Les conclusions montrent une interdiction du sacrifice du porc et des oiseaux dans le culte d’Aphrodite et la prépondérance des viandes bouillies plutôt que rôties (pas de traces de calcination). Cette étude d’archéozoologie est très intéressante, mais il existe encore trop peu d’études comparatives sur le sujet pour pouvoir en tirer des conclusions sur les rituels de la consommation des viandes.

Dans les aménagements du sanctuaire liés au sacrifice, l’auteur signale la présence d’anneaux destinés à attacher les animaux de sacrifice. Onze anneaux ont été découverts au cours des fouilles. Ensuite, l’auteur s’intéresse à divers aménagements : trous de poteaux, canalisations, autel-bothros.

Cet essai de restituer l’histoire d’un sanctuaire est naturellement lacunaire et se heurte à différentes difficultés : les plus évidentes proviennent des remaniements et des destructions subis par le sanctuaire tout au long de son histoire, mais aussi du caractère limité des fouilles de la mission de l’Ecole française d’Athènes sur le plateau supérieur de l’acropole. Cependant les résultats obtenus sont très intéressants dans le contexte de l’archéologie chypriote. Les fouilles de la mission française permettent en effet, pour la première fois à Chypre, de présenter un bilan d’ensemble sur les aménagements et le fonctionnement d’un grand sanctuaire urbain, de l’époque archaïque au début de l’Empire romain. A travers la découverte des deux grands dépôts archaïques, la céramique amathousienne des VIIIe-VIe siècles av. J.-C. apparaît sous un angle entièrement nouveau. Cette contribution constitue donc une adjonction significative aux recherches menées depuis plusieurs décennies sur d’autres sanctuaires de Chypre au Ier millénaire av. J.-C., en particulier à l’Ancienne Paphos, Salamine, Kition, Kourion, Marion.