Muntal-Garcia, Hélène - Pasqualini, Michel - Thernot, Robert : L’amphithéâtre de Fréjus - Archéologie et architecture, relecture d’un monument. 226 pages, 1,21 kg, 22,5cm x 29cm x 2cm, ISBN : 978-2-356-13027-3, 70 €
(Ausonius, Pessac 2010)
 
Compte rendu par André Buisson, Université Lyon III
 
Nombre de mots : 1779 mots
Publié en ligne le 2012-06-27
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1326
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          Classé monument historique depuis 1840 (MH PA00081603), l’amphithéâtre romain de Fréjus (les "Arènes") a été construit à la fin du Ier siècle après J.-C. ; c’est l’un des plus anciens amphithéâtres de la Gaule (sur la trentaine recensée). Écrit avec la collaboration de 12 autres auteurs, cet ouvrage vient compléter la riche documentation bibliographique sur le patrimoine archéologique de cette ville, aujourd’hui mieux connu. Dédié par les auteurs à la mémoire de Paul-Albert Février, dont l’activité s’est sans relâche tournée vers une meilleure connaissance de la ville, ce livre a été écrit après une dernière étude très approfondie de l’amphithéâtre, menée depuis la signature en 2000 du Plan patrimoine antique.

 

          L’ouvrage est divisé en sept chapitres et quatre annexes. Le premier d’entre eux, en forme d’introduction et sous la plume de Xavier Lafon, présente les monuments de spectacle en Gaule Narbonnaise ; il va donner le cadre historique et typologique à l’étude particulière menée dans les chapitres suivants. Tout d’abord dans la chronologie, il montre que l’époque flavienne est celle de la construction des grands amphithéâtres de Nîmes, Arles ou Fréjus, suivant une mode lancée (ou relancée) sous les Flaviens avec la construction de l’amphithéâtre de Rome. Après les théâtres, et avant les cirques, ces grands monuments complètent la parure monumentale des agglomérations majeures de la province ; ils permettent aussi à l’ordre social de se positionner visuellement dans des espaces clos, et à l’évergétisme local de se manifester.

 

          L. Rivet et al. présentent ensuite l’étude du monument lui-même, en débutant par un historique des recherches. Contrairement au théâtre, construit intra-muros dans le premier tiers du Ier siècle, l’édifice est bâti hors les murs. Il a été repéré et identifié comme tel dès le XVIe siècle, mais sa proximité de la ville en avait fait, depuis le début du Moyen-Âge, une carrière de pierres de construction (comme beaucoup d’autres édifices romains !). Ses derniers gradins furent détruits lors de la construction de la route et d’un pont sur le Reyran en 1780. Il fut redécouvert au début du XIXe siècle, particulièrement par Ch. Texier.

 

          Les recherches récentes correspondent aux fouilles menées en 2006-2007 dans le cadre du Plan patrimoine antique. Ces fouilles ont été étendues à une surface correspondant à plus de 25% de la superficie totale du monument, mais elles ont également exploré l’espace situé entre l’amphithéâtre et l’enceinte (distants de quelques mètres seulement). Les archéologues ont ainsi pu atteindre des niveaux correspondant à l’époque antérieure à la construction de l’amphithéâtre, où la pente a subi plusieurs phases d’érosion et de dépôts de limons fluviaux, nécessitant de la part de l’homme des remblais de sol et des drainages avant la construction de l’enceinte puis de l’amphithéâtre. La construction de ce dernier est intervenue à la fin du premier siècle, son abandon à la fin du IIIe ou au début du IVe siècle, puis il fut réoccupé partiellement au Ve siècle, sans doute en lien avec la récupération du matériau. Enfin, à la fin du XVIe siècle, un couvent dominicain fut installé.

 

          La construction du monument s’est faite autour du plan d’une ellipse presque parfaite. Les dimensions de l’édifice sont de 114 m sur 82 m et l’arène centrale mesure 68 m sur 39 m. Il pouvait accueillir environ 10 000 spectateurs et a été construit en grès vert de la carrière de la Baume ou du Colombier, situées à quelques kilomètres de là. Certaines pierres de la construction portent encore des traces visibles de l’action d’extraction par les carriers (pics, doucine, grain d’orge). Les archéologues ont pu mettre au jour des traces du déroulement du chantier de construction, avec un épandage de mortier dans une des pièces, des traces des échafaudages et du coffrage des voûtes. Le chantier a nécessité l’extraction d’un volume important de matériaux, pour aplanir l’espace (environ 4 000 m3). Enfin, après la découverte par P.-A. Février, en 1960, de la fosse cruciforme au centre de l’arène, la fouille récente a permis la mise au jour d’autres excavations, notamment d’une fosse devant la tribune officielle, ainsi que d’un nombre important de blocs d’architecture. Trois techniques principales de construction ont ainsi été utilisées : le grand appareil pour les façades (presque entièrement disparu), le blocage parementé en petit appareil et les arases de briques.

 

          Enfin, un chapitre important contient, comme son titre l’indique, la « Synthèse : les apports de l’archéologie » (M. Pasqualini, R. Thernot). En premier lieu, on trouvera un retour sur la période antérieure à la construction de l’amphithéâtre : une zone de pente, dont la partie inférieure se situe dans la plaine alluviale du Reyran, que l’on tente d’assainir avec un épandage d’amphore (comparable à ceux de Lyon ou de Narbonne) ; une résurgence d’eau douce captée dans un cuvelage de bois… toutes situations indiquant la difficulté de construire dans une zone en constant souci de gestion des eaux alluviales, et des eaux de ruissellement contraintes à traverser le secteur à travers le mur d’enceinte et canalisées dans un collecteur. En second lieu, l’édifice lui-même : on revient alors sur les données de la fouille. La construction de l’amphithéâtre est assez tardive par rapport à celle de la ville : la colonie augustéenne a déjà reçu un premier plan d’urbanisme (réseau A) dès l’époque de la fondation, un agrandissement ou un remodelage sous Tibère a conduit à rectifier ce dernier (réseau B) dans lequel est intégré le théâtre, puis l’enceinte est bâtie avant le milieu du premier siècle et un collecteur en évacue les eaux de ruissellement ; la densité de l’habitat intra-muros induit la construction de l’amphithéâtre à l’extérieur de l’enceinte, dans une position « ostentatoire » (J.-C. Golvin), à la fin du premier siècle et le début de son utilisation s’effectue sous le règne de Trajan. L’amphithéâtre est abandonné à la fin du IIIe ou au début du IVe siècle, réoccupé partiellement (squat, chantier de déconstruction) au Ve siècle et ses matériaux sont pillés systématiquement à partir de ce moment-là, peut-être en relation avec l’élévation de la cité au rang de ville épiscopale (remplois de pierres de grand appareil notamment dans la construction du baptistère).

 

          Ces données sont confortées par les apports des deux dernières contributions, « L’amphithéâtre de Fréjus et son image » (J.-C. Golvin) et « Une chronique monumentale de 20 siècles ou la ruine réversible » (F. Flavigny et P. André).

 

          Les données de l’archéologie aboutissent notamment à la correction de certaines idées reçues : tout d’abord, l’édifice a sans doute succédé à un premier édifice de spectacles plus petit et des travaux spectaculaires de décaissement ont eu lieu à cette occasion ; ensuite, tout lien entre amphithéâtre et aqueduc est écarté (ce qui exclut toute possibilité d’y organiser des naumachies) ; le creusement de galeries souterraines est lié à l’aménagement de locaux et d’espaces pour le service ; la restitution des gradins (aujourd’hui détruits) montre un aménagement de la cavea en trois sections, de cinq, cinq encore, et enfin douze gradins. Enfin, les problèmes de drainage des eaux de ruissellement de la ville ont nécessité des travaux importants, et récurrents, dans l’arène. Accessoirement, l’étude des matériels céramiques, et particulièrement des amphores trouvées dans les zones de drainage, offre un regard précis sur le « marché » de Forum Iulii au premier siècle, avec une prédominance (75%) des amphores espagnoles.

 

          Voilà donc un très bel ouvrage, qui bénéficie d’une présentation sous reliure cartonné, d’une illustration soignée et très riche. À nuancer toutefois, p. 31 : « le Colisée est restauré au Ve siècle pour accueillir 50 000 spectateurs ». Il aurait été plus exact d’écrire que le Colisée a été restauré pour la dernière fois après le tremblement de terre de 429 et que sa capacité d’accueil est estimée, dès l’époque flavienne, à plus de 40 000 places (même si les Régionnaires du IVè siècle lui attribuent 80 000 places… voir en dernier lieu Coarelli F., Guide archéologique de Rome) ; également sur la même page, « les inventeurs des combats de gladiateurs seraient les Étrusques » (on peut penser pourtant que l’origine de cette pratique, funéraire à l’origine, remonte à la Grèce mycénienne).

 

          Enfin, et ce n’est pas abordé par le livre, l’amphithéâtre de Fréjus s’apprête, après la fouille, à débuter une seconde vie. À l’instar de la restauration de l’amphithéâtre de Grand (Vosges), il reçoit une nouvelle peau, mais qui fait couler beaucoup d’encre dans le landerneau fréjusien ! Car, depuis le début du XXe siècle, l’amphithéâtre romain sert à l’organisation de spectacles, de cérémonies, de concerts et de corridas et, comme celui de Nîmes, il va être réutilisé.

 

 

ADDENDUM

 

- sur la restauration :

« Le projet de restauration est lancé en 2008 » (article dans Var Matin le 9 juin 2008) http://www.varmatin.com/article/frejus/frejus-amphitheatre-romain-renover-accueillir-conserver.52758.html

« Les travaux prévus portent sur les deux séquences inférieures de cinq gradins ou maeniana, ainsi que sur le traitement de l’entrée principale. Il s’agit de rétablir la cavea dans sa forme originelle avec des structures contemporaines assurant la protection aux intempéries, la stabilité aux risques sismiques et les exigences d’accueil du public. » (http://www.culture.gouv.fr/culture/politique-culturelle/Amphitheatre%20de%20Frejus.pdf), accompagné dans la presse locale par une série d’articles : http://www.varmatin.com/article/saint-raphael/%C2%AB-lamphitheatre-de-frejus-sera-un-cas-decole-%C2%BB.780301.html

 

- sur la campagne d’oppositions à sa restauration jugée « abusive » :

http://www.sfac-info.fr/?p=121 « note d’information : l’amphithéâtre de Fréjus en danger » (et note d’information de Mme F. Dumasy)

Anne Le Meur, « Patrimoine en danger : Un énorme scandale voit le jour à Fréjus dans le département du Var » http://www.associations-patrimoine.org/article.php?id=1241&dossier=11

Airton Pollini, Histoire Antique & Médiévale n° 60 Page : 40-45 http://www.histoire-antique.fr/numero-60/frejus-ville-romaine/defiguration-l-amphitheatre-romaine-frejus.30889.php#article_30889

Claire Bommelaer, « Du béton dans les arènes romaines de Fréjus » http://www.lefigaro.fr/culture/2010/08/26/03004-20100826ARTFIG00349-du-beton-dans-les-arenes-romaines-de-frejus.php

 

 

Table des matières


Remerciements, p. 9

 

Préface,

par Xavier Delestre, p. 13

 

Les monuments de spectacle en Gaule Narbonnaise,

par Xavier Lafon, p. 15   

 

Le monument,

par Michel Pasqualini, Lucien Rivet, Robert Thernot, p. 21   

 

Les recherches récentes,       

par Lise Damotte, Pierre Excoffon, Hélène Garcia, Jean-Marie Michel, Michel Pasqualini, Sylvestre Roucoule, Robert Thernot, p. 37   

 

La construction du monument,

par Pierre Excoffon, Bruno Fabry, Robert Thernot, p. 113   

 

L’architecture de l’édifice,

par Robert Thernot, p. 157   

 

Synthèse. L’amphithéâtre de Fréjus : les apports de l’archéologie,

par Michel Pasqualini, Robert Thernot, p. 173   

 

L’amphithéâtre de Fréjus et son image,

par Jean-Claude Golvin, p. 177   

 

Nouvelle étape d’une chronique monumentale de vingt siècles, ou la ruine réversible,

par Francesco Flavigny, Pierre André, p. 177

 

Annexes     

 

Le mobilier céramique,

par Lise Damotte, Pierre Excoffon, Michel Pasqualini, p. 190   

 

Les monnaies,

par Joël Françoise, p. 215    

 

Étude de la faune et travail de l’os,

par Isabelle Rodet-Belarbi, p. 216

 

Bibliographie