Poursat, Jean-Claude - Knappett, Carl: Fouilles exécutées à Malia. Le Quartier Mu IV. La poterie du Minoen Moyen II : production et utilisation. Etudes crétoises 33.
Format 21 x 29,7 cm, 316 p., 44 fig. in texte, 76 planches en N-B et couleurs in fine
ISBN 2-86958-179-3, 120 Euros
(Ecole française d’Athènes, Athènes 2005)
 
Reviewed by Ludovic Lefebvre, Université de Rouen
 
Number of words : 1940 words
Published online 2008-08-19
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=133
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Cette étude est le quatrième volume d’un ensemble de fouilles effectuées depuis plus de quarante ans et dont les trois premières synthèses ont été publiées en 1978, 1980 et 1996. L’ouvrage est centré sur une période bien précise : le Minoen Moyen II (MM II) car les découvertes des autres périodes ainsi que les objets autres que les vases constitueront des études distinctes. Ainsi, cet ouvrage de 314 pages et de 76 planches a deux parties principales : la première traite de la production des vases et la seconde, de leur utilisation. À partir de la page 201, les appendices, index, tables et sources sont consacrés stricto sensu aux objets exhumés (figures, photographies, plans et concordances).

 

Il faut rappeler en préambule que les conditions de préservation des vestiges de Malia sont exceptionnelles, en raison de la catastrophe qui advint dans cette cité et qui fut accompagnée d’un incendie. Comme le soulignent les auteurs, plusieurs facteurs conditionnent notre intérêt pour le site de Malia : la quantité des objets trouvés, l’état de conservation, l’homogénéité stratigraphique et le contexte précis de leur utilisation. Le bilan du travail accompli par cette équipe cosmopolite impressionne : le matériel recensé comprend mille cinq cents vases complets, deux cents formes établies et plus de vingt mille tessons…On comprend à cet énoncé l’importance accordée par les spécialistes aux plans et photographies en fin d’ouvrage qui donnent un bon aperçu du travail effectué pendant des années. Après le tri des éléments trouvés, le parti pris a été de conserver dans leur intégralité les vases restaurables, les spécimens rares ou inédits ainsi que les exemplaires à fragments décorés. Signalons que certains types ont été systématiquement conservés, telles les amphores de Messara ou encore les tasses hémisphériques de Canarès ; des échantillons ont été gardés pour chaque couche stratigraphique (l’arasement au fil des siècles a notamment entraîné une dispersion inégale).

 

Il est utile de souligner que la terre de Malia n’est habituellement pas propice à la conservation des pigments colorés, mais la couche de brique qui a scellé les ruines a créé une perméabilité idoine pour ladite conservation. C’est donc en tout dix bâtiments et soixante pièces qui ont été mis à jour.

 

La première partie, comme il a été souligné plus haut, traite de la production des vases. On constate à Malia pour cette production l’utilisation de deux types de terre : les terres calciques (prenant une teinte claire à la cuisson) et les terres non calciques (couleur rouge).  En tout sept groupes de pâtes ont été identifiés, dont l’une correspond justement aux terres calciques non maliotes et six autres à l’emploi de terres calciques locales et non locales. Les études prosopographiques et géomorphologiques ont révélé un certain nombre de données instructives. La zone géographique de Malia est assez aisée à cerner : le site se trouve sur une étroite plaine, au pied des montagnes de Lassithi « constituées principalement de calcaires dolomitiques de la nappe tectonique de la zone de Tripolis (du Jurassique à l’Eocène), ainsi que d’affleurements extensifs des séries phyllite-quartzite » (p. 8). Le calcaire (« sidéropétra » local) forme par  conséquent la base géologique ainsi que les bandes côtières d’une dune fossile. Les chercheurs ont effectué une analyse approfondie des échantillons prélevés dont l’on peut trouver en partie l’analyse aux pages 11-29 (par C. Knappett).

 

Les modes de façonnage sont ensuite réexaminés par J.-C. Poursat qui rappelle la distinction entre façonnage au tour (motte et élaboration au tour proprement dite) et aux colombins. Cette distinction nette est toutefois à relativiser car la fabrication composite existe (notamment pour les tables à offrandes et les vasques). L’auteur souligne que les vases de table fine ont été modelés au tour, tandis que pour les autres types c’est plus diversifié (il est à noter que trois types de matrices ont été trouvés à Malia).

 

Les différents traitements de surface sont analysés aux pages 35-37 et l’on distingue un grand nombre de variétés allant des céramiques n’ayant reçu aucun traitement de surface, jusqu’à différents types de céramique polie, de pièces monochromes, de céramique à décor sombre sur clair et à décor clair sur sombre, de céramique à décor trichrome et, enfin, de production décorée à la barbotine (cette dernière fut très utilisée à la fin du MM II contrairement à Cnossos et Phaistos).

 

On traite ensuite des formes des pièces découvertes (pages 39-112) avec un classement par catégories morpho-fonctionnelles. Quatre catégories sont relevées : les vases de transport et/ou de stockage (avec une explication pour mesurer les capacités des amphores), les récipients utilitaires et culinaires (ceux-ci définis notamment par un rapport embouchure/diamètre de 2/3, donc des vases à ouverture large), la vaisselle de table (pâte fine). J.-C. Poursat y ajoute toutefois deux ensembles à part, ceux qui ont une forme particulière et les couvercles. Il faut souligner que certaines formes sont en effet des réductions de vases de grande dimension sans avoir de fonction pratique. Dans l’ensemble on constate une corrélation assez poussée entre la fabrication et les formes ; sept pâtes principales ont de même été définies. Si la plus grande partie de la vaisselle de table est faite au tour, presque tous les vases de stockage/transport ont été façonnés aux colombins.

 

La majorité des vases n’est pas colorée et une grande partie ne fait l’objet d’aucun traitement de surface particulier (notamment ceux en pâte locale). Le polissage sur pâte claire est fréquent sur les cruches, mais est absent pour les tasses. Il est habituel sur les vases de Chamaizi et certaines formes particulières (ainsi les cuvettes). Le polissage sur pâte rouge prédomine quant à lui sur les vases destinés à supporter la chaleur ; celui d’un engobe clair sur pâte rouge est réservé à peu de formes (souvent, semble-t-il, celles à vocation culinaire). L’engobe monochrome consiste en un engobe sombre sur une pâte claire. Il est observé fréquemment sur la vaisselle de table, mais est presque absent pour les formes de stockage et de cuisson. L’engobe blanc est plus rare. Le décor sombre sur clair est régulier sur les formes importées, contrairement au décor blanc sur sombre qui est inexistant sur les amphores, pithoi ou les jarres à col. Le décor polychrome, quant à lui, est destiné aux formes fines de la vaisselle de table, mais le décor trichrome est très rare.

 

Au total, plus de deux cents formes (et variantes) ont été recensées, mais la plus grande variété se trouve dans la vaisselle de table (cruches et tasses constituent la moitié de l’ensemble). Néanmoins on note une variété assez importante des formes des vases de stockage, à l’inverse des vases culinaires (peut-être est-ce dû en partie « aux contextes de découverte, où les zones de préparation de la nourriture sont rares », p. 103). On relève en outre une importation de vases de Messara, mais également un héritage sauvegardé des formes anciennes, ainsi que des formes imitant la vaisselle de pierre. Plus particulièrement concernant les vases de stockage/transport, cinq formes locales d’amphores ont été relevées mais avec une omniprésence des deux anses verticales reliant le col à l’épaule, la forme la plus commune étant de type ovoïdo-conique. Les jarres et les pithoi forment également une catégorie assez variée. La diversité de la vaisselle de table (vingt-cinq types de cruches et trente de tasses et gobelets) pose problème. Cette variété prononcée est-elle le fruit de « choix stylistiques ou des préférences d’ordre social » ?  L’auteur souligne également l’importance des formes miniaturisées et notamment des cupules (dont le diamètre est d’environ 1 cm) dont la fonctionnalité reste à définir (s’agit-il de jouets ou d’objets comptables ?). Concernant la fréquence des formes, J.-C. Poursat rappelle que la rareté d’une forme peut s’expliquer tout simplement par les hasards de la découverte (aussi bien que par la fabrication en petite série) mais il s’étonne de la grande standardisation des vases de stockage/transport.

 

Les pages 119-139 sont consacrées à l’analyse des décors des récipients. Tout d’abord en première analyse, les décors incisés ou en relief ne concernent qu’un nombre limité de formes et les décors peints sont par conséquent les plus fréquents. Les décors incisés sont « d’une part des lignes et rainures exécutées avec l’aide du mouvement rotatif sur des formes faites au tour, et d’autre part de courtes stries obliques parallèles » (p. 113). Trois décors incisés sont décelables : les lignes horizontales incisées (ainsi les cruches trilobées), les rainures (notamment les tasses hémisphériques mais aussi des pithoi miniatures) et stries obliques incisées (vases de Chamaizi). Concernant les décors en relief, on relève davantage de types, à savoir : les imitations de vases en métal, les décors de lignes en relief (décors cordés sur pithoi et jarres pithoïdes), le décor à la barbotine (vaisselle de table), les décors en relief appliqués (plus rares) et, enfin, les moulages de vannerie et de vases en métal (recouverts d’un engobe blanc). Le décor peint comporte, quant à lui, deux types principaux (eux-mêmes subdivisés puisqu’il existe des variantes) : le décor sombre sur clair (peinture brune sur pâte claire) et le décor clair sur sombre (pouvant être blanc sur sombre ou polychrome). Le décor trichrome existe également et se singularise par une exécution sur pâte claire associant à la couleur de l’argile et à une couleur sombre une peinture blanche. L’organisation du décor comporte en lui-même deux points importants : une conception par zones (la plus répandue) qui consiste en « zones délimitées par bandes ou lignes horizontales qui découpent le vase en segments successifs »  divisées en décors en frise et facial (p. 127) et une conception unitaire (qui, aux deux subdivisions précédentes, joint le décor en surface).

 

J.-C. Poursat s’attache, aux pages 139-152, à la définition des « ateliers » et des « modes de production ». L’analyse n’est pas seulement sémantique puisqu’il revient sur la théorisation et la conceptualisation des méthodes de l’archéologue quant à l’objet précis de son étude et sa finalité. L’auteur insiste donc sur le travail de ses prédécesseurs au sujet de l’organisation de la production dans les sociétés anciennes et rappelle à cet égard que la fonction des vases n’est pas toujours aisée à déterminer, le lieu de découverte important autant que la forme et les dimensions. Le contexte du rangement, le problème des réserves (et trésors) ainsi que l’effondrement des parties supérieures d’un édifice constituent autant de dilemmes dont le spécialiste doit s’affranchir.

 

En conclusion, le site de Malia améliore de façon indéniable notre connaissance du MM II. La distinction est nette avec les vases anciens qui font figure d’héritage (survivance) des époques antérieures. J.-C. Poursat, revenant sur les analyses de spécialistes tels que Demargne, Pendlebury et Van Effenterre, pense que l’identification du site de Malia est claire : il commence et se termine au MM II, se séparant nettement du MA III et du MM I A. Le site est donc contemporain des destructions de Cnossos, Phaistos et Myrtos Pyrgos. Mais jusqu’où s’étendait l’influence de la cité ? À l’Ouest, les zones respectives entre Cnossos et Malia sont nettes ; à l’Est, cela est plus flou. Ainsi la cité entretenait des liens avec Gournia, Kastellos Tzermiadho, Vassiliki, Pseira, Mochos et Chamaizi (les découvertes archéologiques le confirment). Mais qu’en était-il de Pétras par exemple ? Au Sud, Myrtos Pyrgos semble avoir été dans sa sphère d’influence. En définitive, Malia semble avoir eu une emprise importante sur la partie centre-orientale crétoise incluant l’isthme de Hiérapétra jusqu’à Pétras. Sur les bâtiments principaux (outre les maisons) stricto sensu, J.-C. Poursat, après analyse des objets découverts, pense que des principaux bâtiments fouillés, le bâtiment A devait avoir la prééminence et pourrait (le conditionnel est de rigueur) avoir été le palais (importance économique pour la gestion des importations et vaisselles de table).

 

On l’aura compris à la lecture de ces lignes, l’étude livrée par Jean-Claude Poursat et Carl Knappett est particulièrement riche et quiconque souhaitera approfondir sa connaissance de cette partie de l’histoire crétoise devra se référer aux pages essentielles de cette analyse fouillée, dense et méticuleuse.