Friese, Wiebke: Den Göttern so nah: Architektur und Topographie griechischer Orakelheiligtumer, 488 p., xvi p. of plates., €74.00 (pb). ISBN 9783515093767.
(Franz Steiner Verlag, Stuttgart 2010)
 
Compte rendu par Sylvain Perrot, Université de Paris IV – Sorbonne / École Normale Supérieure (Paris)
 
Nombre de mots : 3345 mots
Publié en ligne le 2011-06-29
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1334
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          Le livre de W. Friese est la publication de la thèse qu’elle a soutenue sur l’architecture et la topographie des sanctuaires oraculaires grecs. C’est du moins ce que laisse entendre le titre, car le pacte de lecture ainsi formulé est rapidement transgressé, le sujet étant élargi aussi bien thématiquement que géographiquement. C’est que l’auteur se laisse enfermer dans la forme de catalogue qui, en fin de compte, est à la fois le point de départ et l’aboutissement de son travail (le dixième chapitre). De fait, comme on le voit à la succession des chapitres, l’auteur propose plus un commentaire de son catalogue, au demeurant très utile, des sanctuaires oraculaires grecs et non-grecs, qu’une réflexion problématisée centrée sur la question de l’architecture et de la topographie : il faut attendre les derniers chapitres pour que la réflexion s’affranchisse un peu du carcan des tableaux et traite le fond du problème, avec des remarques judicieuses et bien argumentées. On ne peut que regretter un tel parti pris formel qui conduit l’auteur à se répéter régulièrement.

 

          Dans son introduction, qui matériellement correspond à son premier chapitre, l’auteur fait une bonne synthèse de l’état des lieux dans la recherche sur les oracles, depuis les travaux de A. Bouché-Leclercq jusqu’aux dernières fouilles faites dans les sanctuaires, qui parfois posent encore plus de questions qu’elles n’apportent de réponses, comme l’a bien illustré la fouille du temple d’Apollon à Delphes.

 

          Le deuxième chapitre est consacré aux divinités oraculaires et aux méthodes utilisées pour les consulter. Il est clair que ce chapitre ne se rapporte pas directement au sujet de l’ouvrage et consiste davantage en une présentation générale des oracles. L’auteur distingue deux grands groupes de divinités : d’une part, les dieux et héros liés à la terre (et d’une manière ou d’une autre aux déesses mères primitives) et, d’autre part, un groupe limité à une figure, celle d’Apollon. De ce point de vue, Zeus se situe dans un entre-deux, étant un dieu météorologique et poliade. Il semble qu’Apollon est toujours second, remplaçant une divinité tellurique déjà présente.

 

          Pour ce qui est des méthodes, l’auteur cède plus que jamais à son goût de la classification. Elle propose de distinguer les oracles où la suggestion vient du consultant lui-même et ceux où la suggestion est faite par une personne extérieure au consultant. L’auteur est conduite à cette distinction, car celle opérée par A. Bouché-Leclercq, qui s’appuyait sur Cicéron, entre les oracles intuitifs et inductifs ne rend pas suffisamment compte de la personne qui mène le dispositif oraculaire. Appartiennent ainsi aux oracles autosuggestifs l’oniromancie et la nécromancie. Pour ce qui est des oracles dont la suggestion vient d’une personne extérieure, la principale méthode est l’oracle à inspiration (selon les mots de l’auteur : « hydromantique intuitive », c’est-à-dire boire l’eau prophétique, « sangiomantique » et « vaporomantique »), dont elle souligne les origines liées aux cultes de la nature. C’est là que se joue l’approche originale de l’auteur du phénomène oraculaire, mais on regrette qu’elle n’en ait pas fait une claire problématique et qu’elle ait préféré en faire une sorte de leit-motiv pesant. Après les oracles à inspiration viennent les oracles à interprétation, fondés sur les omina (« arbitomantique », « empyromantique », l’« hydromantique inductive », c’est-à-dire l’interprétation du flottement ou de la chute d’un corps dans un liquide, et la « thériomantique », ichthyomantique et ornithomantique). Enfin, les oracles de hasard, placés surtout sous le patronage d’Hermès, regroupent l’astragalomantique et les oracles à dés, ainsi que les oracles à lettres et la cléromantique. Si l’auteur se livre à un examen complet et critique des sources, on s’interroge sur la terminologie retenue : alors qu’elle parle volontiers d’oracles autosuggestifs, elle ne qualifie pas les autres d’hétérosuggestifs. Plus encore, un certain nombre de termes créés pour les besoins de l’enquête témoignent d’une pratique étymologique douteuse, consistant à mêler grec et latin : peut-être « sangiomantique » est-il plus parlant qu’« hématomantique », mais il est gênant de voir la  terminologie taxonomique l’emporter sur les sources grecques elles-mêmes.

 

          Le troisième chapitre s’intitule « Topographie et chronologie des oracles grecs », mais le propos est plus large : l’auteur propose une grille de lecture précise (situation topographique, en particulier le lien éventuel avec une polis ; dieu tutélaire ; divinités secondaires ; méthode oraculaire ; éléments naturels ; architecture ; datation), qu’elle applique de manière systématique à chacune des trois grandes régions qu’elle a choisi de distinguer (Grèce continentale et îles grecques, Orient et Occident), puis à chacun des sanctuaires. Le principal défaut est de faire précéder l’analyse par la synthèse, mais il reste que certaines conclusions sont tout à fait utiles. Ainsi, en Grèce continentale, les oracles se concentrent en Béotie ; Apollon est le principal dieu, souvent accompagné d’une divinité féminine, une déesse primitive qu’il a spoliée ou Létô et Artémis ; les oracles à inspiration sont les plus nombreux, prenant tous, de près ou de loin, le modèle de Delphes ; la triade « source / bosquet sacré / grotte » est bien représentée ; l’architecture semble prolonger les éléments naturels ; enfin, la grande phase de construction des oracles est à situer à la fin de l’époque archaïque et au début de l’époque classique. Mais trop souvent l’auteur se disperse et commet de grossières erreurs. Pour Délos, qui connaissait d’après les sources textuelles une divination par les poissons, elle place le bouleuterion au nord des trésors, alors qu’il est au sud-est, le Nord étant mal placé sur le plan (p. 125-126), qu’elle dit reproduire du Guide de Délos, dans son édition de 1983, et non celle à jour de 2005. Voilà qui est gênant dans une publication consacrée à la topographie. Et pour Delphes, elle donne l’impression de ne pas vraiment maîtriser le Guide de Delphes et négliger toute la bibliographie française. Le lecteur aura d’ailleurs soin de se reporter au volume consacré au temple du IVe siècle cosigné par P. Amandry et E. Hansen dans les Fouilles de Delphes, que W. Friese ne pouvait connaître. Toutefois, sur certains dossiers, l’auteur dispose d’une bibliographie à jour, notamment sur la question d’éventuels mouvements telluriques à Delphes : elle se fait en effet l’écho de deux récents articles qui se sont attachés à démontrer qu’il pouvait bien s’être échappé des gaz de roche (p. 132), mais ne fait preuve ici d’aucun sens critique : elle ne discute ni la validité des méthodes ni la fiabilité des résultats, qu’elle considère pour acquis. Pour le reste, la synthèse est généralement correcte, même si l’ordre dans lequel l’auteur étudie les sites n’a d’autre justification qu’alphabétique ; il faut par ailleurs ajouter au catalogue une pratique hydromantique attestée à Amorgos (Haghios Georgios Valsamitis). Pour l’Orient grec, les oracles sont en quelque sorte plus grecs que les oracles grecs eux-mêmes : essentiellement extra-urbains et consacrés à Apollon, secondé par Artémis et Létô (notamment en Lycie), ils présentent peu de différences par rapport à la Grèce continentale pour les méthodes, quoique certains phénomènes locaux (ichthyomantique) soient à remarquer. Tous reposent sur la présence d’éléments naturels, et plus le sanctuaire a d’importance politique, plus l’architecture s’y développe. Si les sanctuaires sont d’époque hellénistique et/ou romaine, ils peuvent s’être appuyés sur des cultes plus anciens. Enfin, pour l’Occident grec, les sanctuaires sont tous extra-urbains sauf Cumes que l’auteur considère comme étant suburbain ; Apollon ici est minoritaire par rapport aux héros locaux, voire aux phénomènes naturels personnifiés. Si l’Italie privilégie la cléromantie, la Grande-Grèce utilise des méthodes grecques. Mais ces conclusions sont à nuancer dans la mesure où il n’y a que trois sites. En somme, c’est plutôt le cas par cas qui s’impose ici. En conclusion, l’auteur souligne trois grandes phases architecturales : l’oracle consiste en un temenos avec autel dont les limites correspondent à un élément naturel ; puis on construit des bâtiments annexes puis cultuels : plus le sanctuaire est important, plus il se monumentalise, ce qui conduit à rendre invisible l’élément naturel, qui, enfin, à l’époque romaine, redevient le plus important.

 

          Les quatrième et cinquième chapitres, me semble-t-il, n’avaient pas leur place dans l’étude de W. Friese, du moins sous cette forme. Respectivement consacrés à la topographie et la chronologie des oracles non-grecs et aux oracles des cultures non-grecques, ils ne reflètent pas de vraie différence thématique. Dans les deux il est question de l’Italie, de l’Égypte, de l’Orient (au sens le plus large du terme). Il est intéressant de comparer les pratiques oraculaires grecques aux autres, pour mettre en évidence leur spécificité : en Italie on préfère la cléromancie, en Égypte la divination par procession et en Orient l’interprétation des omina et des entrailles. Mais deux chapitres ainsi isolés ne se justifient pas, d’autant que l’auteur ne semble guère avoir construit méthodiquement son propos et procède à des raccourcis pour le moins condamnables : ainsi la culture mycénienne est rangée dans la catégorie des non-grecs (p. 231). Néanmoins, l’auteur précise que les oracles de type interprétatif ont pu être transmis à la culture grecque archaïque par les Mycéniens, tandis que l’intégration d’un phénomène naturel par l’architecture semble être une invention de l’époque archaïque.

 

          C’est à partir du sixième chapitre que l’ouvrage prend tout son intérêt, portant sur les rapports entre nature, architecture et culte. La  nature peut être perçue de deux manières complètement différentes, ce que reflète l’opposition antique locus amoenus et locus horridus. Mais l’auteur peine à hiérarchiser ses idées : aux trois espaces naturels (bosquet sacré, source et grotte) succèdent sans lien logique l’autel, le temple, le bâtiment oraculaire (manteion ou chresmologion) et le bâtiment à incubation. L’architecture des sanctuaires oraculaires a bien un lien étroit avec des espaces naturels, et en cela l’étude topographique est essentielle ; il faut donc voir ce qui dans ces sanctuaires relève de la nature et ce qui relève de l’homme, avec des degrés divers. Mais encore eût-il fallu penser ces différents niveaux, ce que la parataxe systématique de ce livre interdit. Mais il y a là aussi des remarques justes, voire fines. Par exemple, pour le bosquet sacré, l’auteur invite à bien définir ce concept, alsos en grec et lucus en latin, afin de ne pas le confondre avec ce que l’auteur aurait dû appeler la dendromantique à Dodone. Dans la distinction des loca, on retiendra l’opposition des espèces (arbres fruitiers, chênes, lauriers contre oliviers, peupliers, cyprès), celle des divinités tutélaires (Apollon contre déesses mères, héros) et celle des symboliques (le locus amoenus comme lieu de repos, à but profane, contre le locus horridus, symbole de fertilité dans ce qu’elle peut avoir de chthonien et de sauvage). La source est généralement connotée positivement, à moins qu’elle n’ait un lien avec le monde des morts : de fait, elle est « apprivoisée » par les dispositifs de canalisation et de fontaines. La grotte en revanche est plutôt un lieu mystérieux, relativement épargné par l’architecture, de sorte que même dans un contexte apaisant, elle reste ambivalente. L’auteur considère ensuite les différentes formes d’autel, pour souligner à juste titre qu’il est seul nécessaire au culte, et non le temple, mais pour en conclure que, si le temple n’abrite pas l’oracle, il ne serait qu’un trésor parmi d’autres : l’oracle en effet n’est jamais exclusif d’autres formes cultuelles, par exemple les rites liés à la statue du dieu. Ce qui est certain, c’est que l’oracle n’a pas besoin d’architecture complexe, tant l’environnement prédomine, à moins d’être dans l’adyton d’un temple. Enfin, le bâtiment à incubation est une forme particulière du manteion et c’est le type architectural qui doit répondre au plus grand nombre de critères : lieu relativement fermé, pour empêcher les perturbations extérieures, et offrant assez de place pour plusieurs incubations simultanées. Les fouilles ont même montré qu’il n’était pas besoin de bancs. En somme, la question est de déterminer la place de la nature dans l’oracle, de voir si elle a une simple fonction de décor ou si elle prend une part active dans le rituel : locus amoenus, elle fait avant tout office de coulisses ; locus horridus, elle appartient au noyau cultuel.

 

          Dans le chapitre suivant, l’auteur dresse un catalogue des bâtiments qu’on peut trouver dans un sanctuaire oraculaire et ce n’est que par moments que le propos est problématisé. Mentionnant d’abord les bâtiments administratifs (bouleuterion et prytanée), l’auteur commet une regrettable étourderie, en plaçant le bouleuterion de Delphes à l’ouest du Trésor des Athéniens (p. 289), au lieu de l’est. Pour le prytanée, l’auteur remarque qu’il se trouve dans le péribole pour les sanctuaires à dimension régionale. Reste enfin le problème du chresmographion/tamieion de Didymes, dont on ne sait presque rien à l’heure actuelle : était-ce une salle où les consultants recevaient l’oracle ? Ou un logement de fonction pour le prêtre ?

 

          La deuxième catégorie est celle des édifices de spectacle (théâtre, stade et hippodrome). L’auteur a tendance à minimiser, à tort, la dimension sacrée des prestations qui y ont lieu, sans doute parce que le lien avec l’oracle est souvent lointain.

 

          La troisième catégorie est celle des trésors, où W. Friese veut relativiser l’interprétation traditionnelle (le trésor conserve et protège les offrandes ; il est une manifestation de piété), en insistant sur l’hypothèse que Ph. Bruneau et J. Ducat ont faite sur les trésors de Délos (le trésor sert d’hestiatorion). Mais elle force le trait, en affirmant que le contenu du Trésor des Athéniens à Delphes était sans importance (p. 301) ou que les trésors sont totalement indépendants de l’oracle, ce qui est discutable à Delphes.

 

          La quatrième catégorie est celle des communs (bâtiments relatifs à l’accueil et au séjour des consultants), question étudiée par P. Amandry dans « La fête des Pythia » (PAA 65, 1990, p. 279-317), que l’auteur paraît ne pas connaître. Elle insiste sur le caractère multifonctionnel de la stoa, qui peut abriter aussi bien les offrandes que les pèlerins et accueillir des repas comme des sièges pour assister aux processions. Concernant les auberges, elle étudie le cas du Leonidaion d’Olympie, mais oublie celle de Délos (voir Guide de Délos, n° 113, p.  295-296). Elle insiste sur le cas particulier de Lébadée, où la préparation à la consultation est plus longue, et donc nécessite un hébergement à plus long terme, ce qui explique la présence de l’auberge à l’intérieur du temenos. Pour les salles de banquet, elle met en évidence que cette fonction est assurée à l’époque archaïque par des bâtiments qui n’y étaient pas exclusivement destinés, comme les trésors ou les portiques, mais que l’importance politique croissante peut conduire à la construction de bâtiments spécifiques (Palike, Perachora), conçus comme des lieux de rencontres à échelle régionale. Enfin, dans les édifices liés à l’hygiène (bains, thermes et gymnases), elle précise à ce propos qu’il faut distinguer l’usage commun de l’eau et le rôle de l’eau sacrée dans les rites de purification. La canaliser et la diriger vers des fontaines empêche que les pèlerins puisent directement à la source pour un usage profane. Restent enfin les installations liées à la vie économique, dont il ne subsiste que peu de traces, puisqu’il s’agissait surtout de marchands ambulants ; il y a tout de même une halle commerçante et un macellum à Didymes.

 

          En somme, à l’époque archaïque, les principaux espaces de réunion sont la stoa et le trésor, destiné à un public plus élitiste. À l’époque classique, on construit moins de trésors mais le besoin en salles de banquets est de plus en plus grand. À partir du IVe siècle, les oracles se dotent de plus en plus d’édifices de spectacle en pierre, ce que l’auteur oublie de lier à l’expansion du théâtre en Grèce. L’évolution de l’architecture reflète une évolution des pratiques : à l’époque archaïque, le consultant est un pèlerin de passage ; aux époques suivantes, il a besoin de s’installer pour des séjours de plus longue durée.

 

          Le huitième chapitre, sur l’aménagement spécifique des sanctuaires oraculaires par rapport à leur fonction, est des plus maladroits : l’auteur semble y distinguer deux fonctions, panhellénique et cultuelle, ce qui n’a pas de sens. En fait l’auteur pose deux problématiques différentes : la première est de savoir si le statut panhellénique de certains sanctuaires oraculaires crée une spécificité dans la topographie et l’architecture, ce à quoi elle répond déjà précédemment ; quant à la deuxième question, elle relève de l’anthropologie et de l’histoire des mentalités, car il s’agit de voir comment l’évolution de l’architecture suit des changements de modes de pensée du phénomène oraculaire dans l’Antiquité.

 

          Pour l’étude des sanctuaires panhelléniques, l’auteur veut montrer que c’est la neutralité territoriale qui a fait le succès des sanctuaires panhelléniques oraculaires et non leur indépendance politique ou topographique par rapport à une cité précise, et qu’ainsi cette neutralité aurait garanti la fiabilité de l’oracle. Cette position paraît peu convaincante, dans la mesure où l’histoire politique de Delphes ne saurait être résumée au seul concept de neutralité, d’autant que les Grecs sentaient bien parfois que l’oracle était de parti pris. En revanche, la dimension panhellénique fait bien la différence dans l’architecture des sanctuaires en termes de chronologie : les programmes de constructions commencent à Delphes et à Olympie environ deux cents ans plus tôt qu’ailleurs. Mais il n’y a plus guère de différence à partir de la fin de l’époque classique et c’est à peu près la même évolution que suivent tous les sanctuaires oraculaires : développement de la grande architecture cultuelle (temples), notamment pour dissimuler l’oracle lui-même (par des constructions faites au-dessus ou tout autour), construction des bâtiments de spectacles et multiplication des bâtiments secondaires, en particulier à vocation de rassemblement, notamment pour les concours qui devaient compenser la perte d’intérêt à l’oracle. Mais il aurait fallu replacer ce constat dans le cadre de la multiplication des concours à l’époque hellénistique.

 

          Quant à l’étude anthropologique de l’oracle, elle est rendue nécessaire par l’apparent paradoxe qu’il y a entre l’intimité du rituel oraculaire et l’architecture monumentale : en réalité, l’architecture masque l’oracle et facilite le contact avec le divin. Si au début l’architecture n’avait aucun lien avec l’oracle, il s’agit ensuite d’incorporer les éléments naturels dans l’architecture, ce qui démystifie les oracles ; à l’époque romaine, un besoin de redonner un certain sens aux phénomènes religieux conduit à leur remise en valeur. Le lien fort entre oracle et nature est à lier à ce que l’auteur appelle la « somatique rituelle », c’est-à-dire les rites de passage (séparation de la communauté / changement personnel / agrégation) : chemin jusqu’au sanctuaire extra-urbain ; rituels ; retour dans la patrie (p. 336). On voit toutefois ce que cette théorie a de fragile, puisque le consultant d’un oracle ne revient pas nécessairement aussi transformé que lors de rites de passage. En tous les cas, cela n’explique pas l’évolution architecturale, mais bien plutôt le rapport que l’homme entretient avec la nature. Si aux époques archaïque et classique, la nature apparaît comme la propriété des dieux, aux époques hellénistique et romaine, la nature est domestiquée et maîtrisée sous la forme des jardins. Dans les oracles, la nature alors est réduite au rôle de coulisses, avec un certain nombre d’aménagements artificiels, ce qui favorise le déclin général des oracles ; seul un certain regain de spiritualité a pu garder leur notoriété aux grands sanctuaires.  Toutefois, imiter la nature ne servait pas seulement à diminuer les risques d’une nature non maîtrisée, mais aussi à influencer la volonté des consultants et augmenter l’effet de l’oracle. En somme, mettre le pèlerin dans un certain état physique permet d’influer sur son état psychique.

 

 

          Pour conclure, il faut retenir des idées pertinentes dans un ouvrage toutefois très mal construit. L’auteur met bien en évidence que l’évolution de l’architecture va de pair avec celle de la clientèle. Les oracles grecs sont fondés là où il y a un phénomène naturel, qui a généralement un caractère menaçant. À l’inverse des sanctuaires à mystères, un oracle ne peut se délocaliser ou se multiplier, du fait de son attachement à un lieu, qui correspond aussi à un point stratégique dans les rapports politiques. Cette nature primordiale, à la limite du sauvage, s’estompe avec la monumentalisation des sanctuaires, où Apollon remplace des déesses mères. Le phénomène naturel est caché et les oracles perdent leur dimension inquiétante. Mais à l’époque romaine, on cherche à donner un nouvel éclat aux oracles et l’architecture en devient le moyen, servant à accentuer le caractère mystique de l’oracle. Il s’agit de répondre à l’horizon d’attente du client habitué à l’architecture tout en promouvant son besoin d’une nature sauvage. C’était là sans doute une problématique pertinente et stimulante, mais elle est trop mal mise en œuvre et se noie dans un besoin de classer qui frise le pur artifice.